«J’ai de la bouteille, de l’expérience en management, je suis à l’écoute, j’aime bien conseiller. J’aide déjà mon mari, mes enfants, mes copines. Et on me dit empathique. Je pourrais devenir coach!»
Combien de fois avez-vous entendu cette réflexion? Combien d’amies ont sauté à pieds joints dans l’aventure, convaincues d’avoir les compétences? Convaincues aussi de tenir le job idéal, au tournant de la cinquantaine, après des années épuisantes en entreprise, à jongler entre carrière et famille, à repousser le plafond de verre à coups de talons jamais assez pointus pour le briser. Vous-même avez peut-être été tentée, quand une petite voix intérieure vous a sussuré cette phrase enjôleuse : «Tu veux du sens, de l’humain, et plus de temps, c’est pour toi…» Vos amies n’auraient pas hésité à vous encourager (on encourage toujours ses amies) sur le mode «je te verrais très bien dans ce métier».
Un diplôme d’État en coaching: ça ne suffit pas
C’est ce qui est arrivé à Muriel: après une brillante carrière dans la mode et le retail, où il est toutefois difficile de survivre passés 45 ans, elle s’est payé le master 2 en coaching de Paris 8, l’une des deux formations universitaires reconnues, avec celle de Dauphine. Histoire de décrocher un diplôme d’Etat pour démarrer sa reconversion professionnelle avec les meilleurs atouts.
Son directeur de master le disait pourtant: «On ne vit pas du coaching». Elle l’a vite compris. «Si tu te mets à ton compte, il faut te former en comptabilité, en communication, etc. Tout cela a un coût. Ensuite, il faut aller chercher les clients: les réseaux sociaux ne suffisent pas. Il faut sortir, participer à des clubs, des événements. Cela a aussi un coût. Et là tu te retrouves avec dix autres coachs, et on te demande: c’est quoi ta spécialité?»
La France compterait près de 10 à 15000 coachs en activité, dont 8 sur 10 qui sont à leur compte. Plus des deux-tiers sont des femmes. «La plupart ont voulu sortir d’un environnement où la pression était trop forte, ou alors les perspectives bouchées, analyse Emmanuelle Gagliardi, cofondatrice de Connecting Women. Elles veulent retrouver une qualité dans les relations, une humanité. Mais elles ne mesurent pas les contraintes du métier: il faut savoir communiquer, prospecter, vendre et délivrer. Tout cela en même temps!»
Coach en solo : l’impossible équation
Si l’agenda est plein de rendez-vous, impossible de prospecter. Et si on ne prospecte pas, après trois à six mois, l’agenda se vide… Car le coaching n’est pas une thérapie: l’accompagnement est ciblé sur un problème à résoudre et ne dure que quelques mois. «Après, les clients s’envolent, et il faut en trouver d’autres, raconte Muriel. En outre, si leurs ressources baissent, le coaching est la première dépense qu’ils sacrifient».
Pour s’assurer un flux régulier de clients, intégrer des structures qui assurent la prospection (mais prendront une commission) peut être une solution. Décrocher des contrats auprès d’entreprises en est une autre; mais, attention, le filon de l’ex-employeur qui vous fait bosser s’épuise vite. Et la concurrence est rude.
Pour Emmanuelle Gagliardi, se reconvertir dans le coaching en seconde partie de carrière expose à un risque élevé de paupérisation: «C’est un métier où l’insécurité financière est permanente. A côté, le salariat, c’est le Club Med!»
As-tu de quoi tenir trois ans?
Ce n’est pas Muriel qui la contredira: à raison de 100-150 euros la séance avec des particuliers, elle se souvient de mois à 2500 euros, d’autres à 500… ou 0 quand elle s’octroyait une pause. Sans compter les séances de supervision qu’il faut se payer pour garantir l’éthique de sa pratique. D’où son conseil (qui vaut de l’or): «La vraie question à te poser si tu veux te reconvertir coach, c’est “as-tu assez de finances pour tenir 3 ans?” Car il faut trois ans pour construire une clientèle. Si tu n’as pas de matelas ou pas de mari, c’est très dur!»
À moins de développer d’autres activités en parallèle : formation, conseil, enseignement… Certaines vont jusqu’à se former en psychothérapie pour compléter leurs revenus.
Prendre le temps de tout, tout bien peser
Mais l’enjeu, ce n’est pas seulement le revenu (qui décroche), c’est aussi la retraite future, pour laquelle on cotise moins si on devient indépendant. «À 45 ans, les femmes ont vingt ans de carrière derrière elles, et vingt ans à construire devant elles, plaide Emmanuelle Gagliardi. Si elles n’ont pas diversifié leurs sources de revenu au-delà du salaire dans les vingt premières années, c’est très risqué de quitter le statut de salarié. Mieux vaut apprendre à gérer sa situation dans l’entreprise, reprendre le contrôle pour retrouver du sens, et réfléchir à ce qu’on souhaiterait faire dans cinq à dix ans. Il faut soigneusement préparer la reconversion en s’assurant d’avoir un solide back-up financier».
Femmes et coaching : encore du care?
Bien sûr, le coaching est un métier passionnant, et valorisant : on peut aider, soulager les autres, avec la puissance de son intellect, en les écoutant, en analysant les propos et les situations, en identifiant les signaux faibles, le non-verbal. Mais en attirant majoritairement des femmes, ce métier nous renvoie à la représentation stéréotypée selon laquelle le care serait forcément notre affaire. Céline Julien, ex-DRH devenue coach, en est bien consciente : «Beaucoup d’anciennes directrices des ressources humaines se forment au coaching. Cela témoigne d’une déception quant à leur capacité de faire changer les choses en entreprise et d’une envie d’être davantage dans une posture d’accompagnement.» Elle-même confie se sentir aujourd’hui bien mieux à sa place: «J’ai le sentiment d’assumer désormais plus de responsabilités que lorsque j’étais DRH.»
Non sans reconnaître : «Cela renforce quand même l’idée que le rôle des femmes est plus de prendre soin que de prendre le pouvoir.»
Et tout cela, au péril de leur situation financière. Après deux années à exercer comme coach, Muriel a décidé de s’orienter vers la gestion d’Ehpad. Secteur d’avenir, à coup sûr!