Du métier subi au métier choisi
Nous sommes mi-décembre. Comme Frédéric organise un goûter pour les fêtes, il arpente les rues du centre-ville de Laon pour trouver les cadeaux de Noël des 5 enfants dont il assure la garde. Lucien, le plus jeune, a 5 mois. Lola, la « doyenne » âgée de 7 ans, vient chez lui depuis septembre 2020.
Avant cette date, le CV de Frédéric décline des métiers bien différents. Entre 2004 et 2011, il est gendarme mobile à Saint-Quentin. Puis dans la foulée, agent de sécurité durant neuf ans. « À la base, je voulais être dans la gendarmerie pour aider les gens et les conseiller, se souvient-il. Mais petit à petit, j’ai senti que pour la hiérarchie, ma mission consistait surtout à réprimander et à dresser des PV. Dommage car c’est un super boulot en soi ! » La dimension répressive des missions l’incite à fuir. Outre la mobilité sur de longues durées qu’impose son activité, il prend conscience de la dangerosité de l’emploi après deux décès de collègues. Pour lui qui veut devenir père, ce n’est pas facile à assumer. Dès la naissance de Chloé, il comprend qu’il adore passer du temps avec elle. Mais son métier d’agent de sécurité, un choix par défaut, le contraint à travailler la nuit. Qui plus est, la relation avec la nounou chargée de garder sa fille laisse à désirer. Frédéric décide donc de négocier un licenciement pour se consacrer à son éducation. « Ma femme travaille dans la banque. Elle a un bon salaire. Pour elle, c’est plus compliqué de s’arrêter. Alors que moi, en tant qu’agent de sécurité, il était plus facile de rebondir et de retrouver un poste ensuite. »
Passage à l'acte !
Pendant son chômage, l’idée de devenir assistant maternel germe. Afin de glaner des infos concrètes, Frédéric prend contact avec le seul homme nounou du département. « Il m’a fortement déconseillé de choisir cette voie. Notamment parce qu’il n’arrivait pas à joindre les deux bouts, ne parvenant pas à « recruter » suffisamment de bébés à garder. » Dissuadé, Frédéric repart vers le secteur de la sécurité et opte pour un poste d’encadrement d’équipe.
C’est à la naissance de sa deuxième fille qu’il décide de sauter le pas. « Je m’ennuyais vraiment dans mon travail. Je me suis dit qu’il était temps de tenter l’examen d’assistant maternel. » Auparavant, il assiste à une journée sur le métier, organisée par la PMI (Protection maternelle et infantile). Entre février et juin 2020, en parallèle de la préparation au diplôme SST (Sauveteur secouriste du travail), il effectue la première partie de la formation obligatoire du CAP Accompagnant éducatif Petite Enfance qui dure 80 heures. « Comme j’étais le seul homme, j’étais le chouchou de la formation ! J’ai réussi le premier examen. Ce n’est pas très compliqué. Les questions tournaient autour du cadre légal, des vaccins obligatoires, de l’alimentation. » Cette année, il participera à la seconde partie de formation de 40 heures qui lui permettra de valider deux autres épreuves et d’obtenir l’agrément.
Avant de pouvoir démarrer son activité, Frédéric a dû soumettre son logement à un premier contrôle de la part de la PMI. Objectif : vérifier la conformité aux obligations d’accueil, nombre de couchages, espaces dédiés aux enfants, etc. « J’ai profité de la crise sanitaire, bloqué chez moi, pour créer un site web et présenter mon activité. Pour rassurer les parents sur le fait que je suis vraiment professionnel, j’ai suivi des tas de formations non obligatoires, bien plus que mes collègues femmes, sur l’éveil des enfants, leur autonomie, les repas, mes droits et devoirs dans l’exercice du métier, etc. » Frédéric a choisi de ne travailler qu’avec deux bébés au maximum afin d’avoir le temps de se consacrer aux enfants plus âgés et de pouvoir répondre individuellement à leurs besoins.
Naviguer entre bon accueil et réticences
« Le fait d’être un homme et d’exercer les fonctions d’assistant maternel n’a posé aucun problème à la municipalité », témoigne Frédéric. Dans son village de Bruyères-et-Montbérault, ils sont deux hommes à être « nounou » de profession. Lui travaille seul. Le second avec son épouse. Dans les groupes de parole entre assistantes maternelles, il n’entend aucune remarque désobligeante de la part de ses collègues. « Ils ont même tendance à conseiller aux parents de venir chez moi ! Cependant, quand je reçois un appel pour Madame Simonet et qu’on comprend que je suis un homme, souvent ça raccroche. Certaines personnes m’ont aussi dit que comme c’est pour leur garçon et non pour une fille, ça va. Dans ce cas, je refuse la garde car cela connote le rapport. »
Des parents trouvent ça moderne, d’autres pensent que parce qu’il est un homme, il sera plus sévère. « Sur ce point, c’est plutôt l’inverse, lâche-t-il. J’ai plutôt tendance à sauter dans les flaques d’eau avec les enfants. Un vrai retour en enfance. Je me définis plus comme accompagnateur de jeux qu’autre chose. Ça plaît ou ça ne plaît pas ! On me choisit par rapport à mon projet ou aux formations que j’ai suivies, pas pour autre chose. »
Des stéréotypes et freins à lever
Les seules remarques qu’il essuie portent sur les représentations liées au métier, considéré aujourd’hui encore comme féminin et au fait de travailler à la maison. « En gros, on sous-entend que je n’ai rien à faire ou que ça n’est pas important. Avec 5 enfants chez moi, j’ai pourtant de quoi m’occuper. Même quand c’est l’heure de la sieste, j’en profite pour ranger, préparer les goûters et organiser la suite. »
Côté rémunération, Frédéric perçoit environ 1 600 euros net par mois (tous frais divers déduits) pour un agrément qui l’autorise à garder 5 enfants, avec 40 à 45 heures hebdomadaires de travail effectué. Et quand les enfants sont partis, la journée n’est pas terminée ! « Il reste le travail invisible et qui n’est pas rémunéré : tout nettoyer (jouets, table à langer, biberons, cuisine, salon), préparer des repas équilibrés pour le lendemain, répondre aux questions des parents… ) »
Comme on peut le lire dans un rapport d’information édité par l’Assemblée Nationale en 2021 : « Si la discrimination freine les ambitions de certains aspirants assistants maternels, les associations du secteur pointent aussi les conditions de travail d’un métier précaire et dévalorisé. »
À quand des mesures qui changeront vraiment la donne, à commencer par le salaire, pour encourager et retenir celles et ceux qui s’occupent de nos bébés et tout-petits ?
Illustration : un grand merci à Laurence Bentz et l’agence Virginie.
Série Vives : Des hommes dans les métiers dits de femmes