61% des Français seraient favorables au dispositif, selon L’observatoire des rythmes de travail du site Welcome to the Jungle, et « 65% des cadres rêvent de bosser dans une entreprise qui aurait mis en place la semaine de 4 jours sans perte de salaire » d’après le site cadremploi.fr. Mais début 2022, seules 5% des entreprises françaises avaient adopté la semaine de 4 jours.
On en est donc loin, surtout pour les femmes : avec les “doubles journées” qu’elles effectuent, elles en seraient plutôt à compresser 10 jours en 5. Pour beaucoup d’entre elles, le petit malaise du dimanche soir peut carrément tourner à la psychose.
La semaine de 4 jours permettrait-elle de faciliter la vie des femmes et de réduire les inégalités femmes-hommes ? C’est ce que j’ai voulu savoir en enquêtant auprès de ceux qui l’expérimentent.
Les tops et les flops de la semaine de 4 jours
Avez-vous déjà pensé à intégrer la semaine de 4 jours dans vos critères de recherche d’emploi ? Quand j’ai tapé « semaine de 4 jours » dans la barre de recherche Linkedin de la rubrique Offres d’emploi, j’ai obtenu une dizaine de résultats. Pas dingue, mais pas le néant non plus.
Pour autant, il ne s’agit pas forcément de la « vraie » semaine de 4 jours. Certaines entreprises vous proposent de faire jusqu’à 39 heures en 4 jours… un peu comme ce qui a été testé en Belgique depuis le 21 novembre 2022. On peut y travailler 38 ou 39 heures sur 4 jours, soit des journées de 9h30… Ou alterner des semaines de 4 jours et des semaines de 5, notamment pour les parents séparés avec des enfants. Au final, ce modèle de compression et non de réduction du temps de travail a fait un flop, et pas seulement en Belgique…
À l’Urssaf Picardie aussi : il s’agissait d’effectuer des journées de 9 heures de travail au lieu de 7h20 (sans compter le transport). Le test avait été lancé début 2023 par Gabriel Attal, alors ministre délégué aux comptes publics. Un « fiasco total » : seuls trois agents sur 200 ont décidé de participer à l’expérience ! Dans la structure, les trois quarts des employés sont des femmes, et les trois volontaires, trois femmes également, n’avaient pas d’enfants à charge. Il en ressort que ce modèle de « compression » est incompatible avec les contraintes familiales des femmes.
La « vraie » semaine de 4 jours, c’est celle qui correspond à une réduction du temps de travail. Soit 32 heures par semaine sans baisse de salaire, comme le défend depuis les années 1990 Pierre Larrouturou, aujourd’hui député européen Nouvelle Donne, et qui propose sur son site web de signer électroniquement un appel au gouvernement en faveur du dispositif. Il rappelle que la semaine de 4 jours avait été testée dès 1996 avec la loi de Robien, abrogée quelques années plus tard lors de l’adoption des 35 heures. Dans un tweet d’avril 2023, il explique que le dossier progresse puisqu’un rapport a été remis au ministre Olivier Dussopt dans le cadre des Assises du Travail, recommandant l’évaluation « des organisations alternatives des temps de travail, notamment les différents types de semaines de 4 jours ».
Comme le télétravail à la faveur de la crise du covid, la semaine de 4 jours pourrait bien arriver plus vite que prévu.
Des avantages pour les employés comme pour les employeurs
« 71% des employés déclarent ressentir moins de symptômes d’épuisement professionnel, et 39% déclarent qu’ils sont moins stressés ». Il y a eu « une réduction de 65% des arrêts maladie et une baisse de 57% du nombre d’employés ayant quitté les entreprises participantes ».
C’est le constat positif établi par l’université de Cambridge à la suite de l’essai de la semaine de 4 jours mené pendant 6 mois par 61 entreprises au Royaume-Uni, soit 2900 employés, à partir de juin 2022. La productivité et le chiffre d’affaires ont augmenté, comme spécifié dans les résultats détaillés par l’autre partenaire de l’expérimentation, l’association 4 Day Week Global, disponibles ici. 60% des personnes ont déclaré qu’il était plus facile de cumuler vie professionnelle et vie privée. 92% des entreprises disent qu’elles ont l’intention de poursuivre la semaine de 4 jours.
De manière générale, le dispositif présente de nombreux avantages, pour les employés comme pour les employeurs. Dans les métiers à forte pénibilité, c’est un moyen de reposer et d’épargner les corps. Ce rythme moins intense permettrait aux séniors de travailler plus longtemps, et au gouvernement de mieux faire accepter le recul de l’âge de la retraite à 64 ans. On se souvient de cette phrase qui était sur beaucoup de lèvres, notamment celles des infirmières ou des auxiliaires de vie : « Mais comment je vais tenir jusque-là ? » La semaine de 4 jours, c’est aussi une alternative pour les personnes dont la fonction est incompatible avec le télétravail.
Et il n’y a pas que les humains qui s’économisent : la semaine de 4 jours génère des économies d’électricité, d’essence, et optimise l’utilisation des équipements et des machines. Elle apporte un regain d’attractivité aux secteurs qui peinent à recruter, comme la restauration ou l’industrie.
« Un modèle qui bénéficie aux femmes »
« On ferait passer la normalité à 4 jours. Aujourd’hui, toute femme qui est à temps partiel n’est pas « normale ». C’est donc un modèle qui bénéficie aux femmes » explique Isabelle Rey-Millet, professeure de management à l’ESSEC, spécialiste de la transformation dans les entreprises.
80% des temps partiels sont occupés par des femmes aujourd’hui. Avec la semaine de 4 jours, elles n’auraient plus besoin de demander un 4/5ème, une requête qui les met souvent en porte-à-faux vis-à-vis de leur patron et collègues qui peuvent les considérer comme moins engagées, alors qu’elles abattent souvent en quatre jours le travail qu’elles effectuaient en cinq. A cela s’ajoute une baisse de salaire, qui a aussi un effet néfaste sur leur future pension de retraite. Bref, c’est la double peine.
Quant aux corvées ménagères et aux tâches parentales, on sait que les femmes en assument encore plus des deux tiers. Or les résultats de l’expérience britannique rapportés par 4 Day Week Global montre que la semaine de 4 jours tend à rééquilibrer cette inégalité, comme le fait le congé paternité rallongé : le temps passé par les hommes à s’occuper des enfants a plus que doublé par rapport à celui des femmes (+27% versus +13%) et ils prennent davantage leur part de tâches ménagères.
La semaine de quatre jours n’est donc pas qu’un fantasme, elle est économiquement viable. Qu’en disent ceux qui la vivent en France ?
« Les gens nous envient, c’est indéniable ! »
Dans l’entreprise Alu Sud de Toulouse qui emploie une quinzaine de personnes, Martine Romeuf, secrétaire assistante, bénéficie de la semaine de 4 jours et c’est son patron qui en a pris l’initiative. « On est dans une menuiserie-miroiterie et les poseurs portent des charges lourdes, donc l’objectif c’est de reposer les corps. Il y a aussi les économies d’énergie : on a des grosses machines qui coupent l’aluminium, qui sont très énergivores. On est aussi plus attractif pour le recrutement. »
Aidante de ses parents et de son frère handicapés (60% des aidants sont des femmes), Martine peut mieux assumer ses responsabilités familiales le week-end et ressent « moins de stress ». « Le temps de récupération est beaucoup plus long, on le sent vraiment » assure-t-elle. Et si elle devait repasser aux 5 jours ? « Ce serait vraiment une reculade, je le vivrais très mal » s’exclame-t-elle. Même son de cloche chez sa collègue Marie-Hélène de Sousa, comptable, qui lance : « L’essayer c’est l’adopter ! » Marie-Hélène vit en couple et quand je lui demande si la mesure peut améliorer le partage des tâches ménagères entre hommes et femmes, elle en rit : « Ça dépend de la personne ! » Et précise néanmoins : « Ça permet aux couples d’avoir plus de temps ensemble et de faire davantage de choses à deux, les courses par exemple. »
Qu’en disent les hommes ? Mathieu Bargagna est comptable, il a 30 ans et il travaille près de Lyon chez LDLC, une entreprise d’e-commerce informatique de 1000 personnes. Son patron, Laurent de la Clergerie, a mis en place la semaine de 4 jours en 2021. Il en est devenu un fervent porte-parole et a écrit le livre Osez la semaine de 4 jours ! afin de convertir davantage d’acteurs économiques.
Avec le sens du timing, la petite fille de Mathieu est née deux mois après l’instauration de la semaine de 4 jours dans l’entreprise. Sa femme est infirmière dans le privé et travaille 3 grosses journées de 12 heures par semaine, entre le lundi et le samedi. Lui est off le mercredi.
« Je ne pense pas qu’il y ait un équilibre meilleur que celui-là », m’explique-t-il. « Ma femme et moi profitons énormément de notre famille et de notre fille, elle ne va que 3 jours chez la nounou. Je prends mon rôle de père extrêmement à cœur. » Concernant la répartition des tâches ménagères, « on n’est peut-être pas encore à 50/50 car ma femme travaille un jour de moins que moi, mais on est à 40/60. Ma fille fait des siestes de trois heures donc j’en profite pour faire les machines et le ménage ». Pour Mathieu, s’impliquer dans sa vie familiale est aussi important que de faire avancer sa carrière professionnelle. « J’avais l’exemple de mes parents et avec le recul je remarque que ma mère faisait tout à la maison en plus de son travail. Je trouve ça tellement énorme tout ce qu’elle faisait à l’époque ! Je ne veux pas que ce soit le cas pour ma femme. Je veux que ce soit mieux réparti. »
Un équilibre qui ne concerne pas tout le monde dans son entreprise : « Pour mes collègues femmes, certaines sont passées à 4 jours mais leurs conjoints sont toujours à 5 donc le partage des tâches ménagères et parentales n’a pas évolué. Dans tous les cas, elles ont plus de temps pour le faire ». Lui aussi aurait « beaucoup de mal à repasser à cinq jours », d’autant plus qu’il souhaite avoir d’autres enfants. « Les gens nous envient, c’est indéniable ! » conclut-il avec lucidité.
La semaine de 4 jours ne résoudra pas automatiquement les inégalités entre hommes et femmes, comme le montre l’exemple espagnol. A Valence, l’expérimentation a révélé que « si 42% des hommes disent avoir fait davantage de sport durant cette période, seules 33% des femmes ont fait de même. En revanche, 51% des femmes ont consacré davantage de temps à leurs proches en situation de dépendance (contre 36% des hommes) et 53% d’entre elles à leurs enfants (contre 30% des hommes) ».
Il faut donc veiller à ce que cette nouvelle manière de travailler ne soit pas l’occasion pour les femmes d’en faire davantage durant leur troisième jour de week-end. Comme le dit l’écrivaine Leïla Slimani dans le podcast Femmes puissantes : « Notre prochain combat, ce n’est pas de faire plus, c’est de demander à faire moins. »
Illustration : un grand merci à Jon Krause.