C’est une question qui revient constamment chez les candidats à la mobilité que j’accompagne depuis 2009, sur mon site dédié au changement de métier. On imagine sans peine les réticences à tout envoyer balader, même lorsque le projet de reconversion semble défini, les objectifs clairs et les étapes bien planifiées.
“ Certains employeurs soutiennent ce genre d’aspiration en l'intégrant comme un avantage social ”
Heureusement, il existe une alternative pour s’engager dans cette démarche sans lâcher son poste : le side project, ou « projet parallèle » en français. C’est une manière de concrétiser ses envies, tout en douceur, sereinement et surtout, sans se mettre sous pression financière. Condition sine qua non : avoir du temps à consacrer, le tout sans empiéter sur ses heures de travail. Cette méthode s’adresse à celles que l’entrepreneuriat séduit, mais pas uniquement, et quel que soit le domaine de prédilection visé, y compris la création artistique.
Certains employeurs soutiennent d’ailleurs ce genre d’aspiration en l’intégrant comme un avantage social qui permet à leurs salariés de se consacrer à leurs propres projets durant une part normalement travaillée, pourcentage ou période définie. Si cela ne se pratique pas dans votre entreprise, vous pouvez l’informer par devoir de loyauté, mais aussi pour présenter un solide argumentaire soutenant votre démarche et l’intérêt direct ou indirect qu’elle peut en tirer : nouveaux potentiels ou concepts, stimulation de l’équipe, etc. C’est grâce à ses employés que Google a par exemple initié Gmail et AdSense. Ce principe qu’on nomme « intrapreneuriat » permet aux salariés de mener à bien leur projet tout en conservant leur statut. En revanche, si l’entreprise refuse et pour se prémunir contre les sanctions, il faut veiller à mener vos démarches hors de votre temps de travail et à n’utiliser ni ordinateur, ni imprimante ou fournitures en tous genres mis à disposition dans l’exercice de vos missions. Attention aussi à vérifier votre contrat de travail avant de vous lancer. Il peut inclure une clause d’exclusivité qui vous interdit de mener toute activité secondaire. Vous pouvez demander une dérogation en adressant un courrier dans lequel vous précisez la nature du projet. Mais votre employeur peut refuser. Si vous passez outre, vous vous exposez à des sanctions, voire à un licenciement pour faute grave. Autre cas de figure : si votre contrat contient une clause de non-concurrence, votre side project doit n’avoir aucun rapport avec vos missions contractuelles.
“ L’objectif du side project est de le faire avancer petit à petit, d’en tester et d’en juger la pertinence, sans angoisse ni stress ”
Si vous ne souhaitez pas informer votre entreprise, une seule solution, concrétisez vos objectifs sur votre temps libre. Le week-end, vous piquez, cousez et fabriquez des modèles de vêtements que vous commercialiserez. Chaque soir après le travail, vous alignez des lignes de codes sur l’ordinateur pour réaliser le jeu vidéo que vous avez imaginé. Les jours de RTT, vous donnez des cours d’espagnol à de futurs expatriés. Si le side project n’a pas forcément vocation à entraîner une rémunération -au moins au début, ce n’est pas une activité de loisirs pour autant. C’est avant tout une opportunité de mettre votre projet à l’épreuve de la réalité, de le faire évoluer, de vérifier s’il correspond à vos aspirations, ou de savoir si les débouchés sont réels. L’objectif du side project est de le faire avancer petit à petit, d’en tester et d’en juger la pertinence, sans angoisse ni stress. Puis de franchir le pas au moment où vous serez prête.
“ Nous pouvons, quasiment sans limite, nous former, nous informer, nous transformer : salarié le jour, aventurier de notre propre vie le soir et le week-end ”
Jessica, assistante administrative dans le milieu du sport, à temps complet depuis douze ans, a finalement créé une appli, Mon agenda sur-mesure, en 2018. Cette idée d’agenda idéal s’est appuyée sur un travail de réflexion et une étude de marché, le lancement d’un blog et d’une newsletter. Tout s’est mis en place en parallèle de son travail. On peut découvrir ce témoignage ainsi que d’autres dans l’ouvrage S’investir dans un projet créatif sans lâcher son job de Sophie-Charlotte Chapman et Sandrine Franche. Toutes deux se sont intéressées au side project afin d’inciter les femmes tentées de s’y mettre : « La bonne nouvelle, celle qui nous a encouragées à écrire ce nouvel ouvrage et à aller à la rencontre de toutes celles qui l’expérimentent, c’est que nous ne sommes plus forcées de choisir entre une activité ou une autre. Les récentes évolutions technologiques, mais aussi juridiques et sociétales, permettent aujourd’hui de cumuler, superposer, alterner nos différents projets. Le Web donne accès à une multitude d’outils, souvent gratuits, pour travailler de chez nous comme de n’importe où. Nous pouvons, quasiment sans limite, nous former, nous informer, nous transformer : salarié le jour, aventurier de notre propre vie le soir et le week-end. » Dans leur livre, elles proposent des pistes pour réussir à concilier les activités, via le statut d’auto-entrepreneur ou micro-entrepreneur créé en 2009 par exemple, mais pas uniquement.
“ Vous devez cultiver votre réseau et vous ouvrir au maximum aux autres ”
Les autrices donnent aussi des conseils pour gérer les aspects financiers et organisationnels. Un side project est souvent synonyme de travail à la maison. Il est nécessaire de s’équiper et d’aménager un espace de travail. Avant de se lancer, il faut lister précisément les besoins et les investissements nécessaires. On doit se projeter avec un second travail, apprendre à scinder les deux et à grapiller du temps ici ou là : repenser son quotidien, optimiser son agenda en passant moins de temps sur les réseaux sociaux ou devant la télévision, en se levant un peu plus tôt le matin, etc. Il existe en effet un risque de « trop plein » à prendre en compte. Concernant les besoins en m2, vous pouvez vous appuyer sur les espaces de coworking et autres tiers lieux. Autre impératif : vous devez cultiver votre réseau et vous ouvrir au maximum aux autres pour éviter de tourner en rond, seule dans votre coin. Il sera peut-être aussi nécessaire d’apprendre ou de vous perfectionner. Grâce au CPF (Compte personnel de formation), vous pouvez bénéficier de quelques heures de formation. Finalement, le principe du side project est un moyen de bâtir votre projet, de la réflexion à sa mise en œuvre, en passant par l’étude de sa faisabilité, mais aussi de développer les ressources qui vous seront indispensables au moment de passer à l’acte : méthode, ouverture d’esprit, confiance en soi, etc. Bonne route à vous !
Illustration : Un grand merci à Louise de Lavilletlesnuages