Un voyage c’est aussi un tourbillon d’émotions. Ça a commencé par un rappel de dates peu glorieuses comme 1965, année à partir de laquelle nous, les femmes, nous avons enfin pu ouvrir un compte en banque sans l’autorisation d’un mari. C’est peut-être pour cette raison que les femmes sont davantage co-titulaires d’un compte que les hommes, comme l’explique Benoît Grisoni, directeur général de Boursorama.
Gagner, garder, investir : pas une, mais des compétences à acquérir
Durant la journée, nous parlons d’éducation financière. Aurore Bergé, ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes, déclare: « l’éducation financière est essentielle pour toutes les femmes. Maîtriser son argent, c’est garantir sa propre liberté ». Elle a évidemment raison mais une phrase de Benoît Grisoni prononcée quelques heures auparavant me revient en mémoire : « Avant de parler d’éducation financière, il faut déjà que les femmes aient leur propre compte ». Car avoir un compte bancaire personnel est un pas important à franchir pour l’émancipation des femmes. Et c’est un premier pas plutôt simple à faire, non ?
Une fois qu’elles détiennent leur compte personnel, il faut « aller prendre l’argent » comme dirait Emmanuelle Gagliardi, coach et présidente de Connecting Women. C’est le premier plafond de verre à franchir ! « Ensuite, il faut le garder, et c’est une autre compétence », poursuit-elle. Celle-ci est étroitement liée à l’histoire que l’on entretient avec l’argent (notre histoire personnelle mais aussi l’Histoire avec un grand H). « Enfin, il faut savoir l’investir et c’est là encore une autre compétence ». Est-ce l’apanage des hommes ? Quand on regarde les chiffres, on pourrait le croire. Pourtant, « les hommes n’ont pas plus d’éducation financière que les femmes », rappelle Benoît Grisoni. |
Aux USA, on vous dit “Bonjour, combien vas-tu ?”
« Je sais que pour les femmes il y a deux points importants avec l’argent : la sécurité et la source de liberté qu’il représente. Dire aux femmes qu’elles ont cette liberté de donner du sens à leurs investissements est primordial » déclare Françoise Neige, directrice au sein de la gestion de fortune Natixis Wealth Management. « On n’a plus à choisir entre rendement et impact : on peut concilier les deux ». Je dois bien l’avouer, cet argument fait mouche plus que n’importe quel autre, plus que la simple notion de rendement pur.
Françoise Neige nous exhorte à parler d’argent : « Osez prendre la parole sur le sujet ! Les banquiers ne sont pas méchants et l’argent n’est pas sale ». Rires dans la salle. Elle a raison : saisissons-nous du sujet ! « Aux USA, on vous dit “Bonjour, combien vas-tu ?” », témoigne Emmanuelle Gagliardi. La salle s’esclaffe. « Libérer la parole sur l’argent doit être engagé par les femmes », poursuit-elle. C’est ça aussi le forum ViveS : donner l’élan de l’empowerment économique des femmes.
Aujourd’hui, la place financière est encore trop occupée par les hommes. Les raisons à cela sont multiples : l’Histoire, le patriarcat, les inégalités de salaires… Après le forum, je ressors avec la certitude que les choses bougent et avec la conviction que le monde va changer. Surtout quand j’écoute Nathalie Collin, DG adjointe du groupe La Poste qui a réussi un tour de force. Elle est parvenue à avoir un comité exécutif “puissamment paritaire” (sic), à monter une école de l’IA et de la data elle aussi paritaire. Elle a dû se battre pour y arriver mais les résultats sont là. Former les nouvelles générations aux métiers du numérique, et notamment les femmes, pour avoir un monde plus égalitaire est capital. Elle nous alerte : « Le numérique est extraordinaire mais il est tenu par une poignée d’hommes ! C’est un danger pour nous. Car peut-on imaginer que le monde de demain se construise avec des cerveaux uniquement masculins ? » questionne-t-elle. Elle rappelle ensuite, avec beaucoup d’humour, que depuis la loi Copé-Zimmermann (qui impose des quotas de femmes dans les conseils d’administration des entreprises), il n’a pas été signalé de faillites en cascade ! |
Il n’y a pas d’âge pour prendre sa place
Les femmes sont victimes de nombreux biais qui les relèguent au second plan, empêchent leur promotion ou leur ascension. L’avancée dans l’âge en fait partie… Mais Tina Kieffer, ex directrice de la rédaction de Marie-Claire, tord le cou aux idées reçues et démontre qu’on peut avoir 60 ans, être en activité et avoir de l’impact ! À trois semaines de ses 50 ans, elle quitte Marie-Claire pour se consacrer à l’humanitaire et à l’école qu’elle a ouverte au Cambodge pour les petites filles pauvres. À 50 ans donc, elle change totalement de métier : elle embrasse celui de l’éducation mais aussi celui de “leveuse de fonds”. Il faut bien financer son ONG Toutes à l’école. Alors, elle se lance : “J’ai toujours eu du mal à demander une augmentation pour moi mais pour les petites filles en haillons, j’ai tous les courages. J’ai débarqué dans le bureau de Jean-Paul Agon, alors président de L’Oréal, totalement décomplexée. Je lui ai raconté mon projet, montré des images… Et c’est comme ça que L’Oréal m’accompagne depuis le premier jour.”
Aujourd’hui, Toutes à l’école scolarise 1700 jeunes filles qui auront un impact certain sur l’avenir de leur pays.
Les femmes ont donc toute leur place dans l’économie et à tout âge. Tout le monde a à y gagner. C’est d’ailleurs l’avis de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, quand il avoue: « Nous gagnons en pragmatisme, en finesse et en sincérité » lorsque les femmes sont là. Il sait de quoi il parle, ce père de quatre filles ! |
Plaidoyer pour un égoïsme au féminin
Prendre notre place. C’est finalement ça le sujet. Je pourrais d’ailleurs le relier à l’audace : oser candidater à un poste pour lequel nous n’avons pas 100% des compétences, oser faire partie d’un comex, oser parler d’argent, oser investir, oser s’exposer…
Et si pour oser, il fallait simplement faire preuve d’un peu plus d’égoïsme ? C’est ce à quoi nous invite Corinne Maier, économiste, psychanalyste et essayiste dans son Manifeste pour un égoïsme au féminin. Elle a clôturé la journée avec les 10 commandements de l’égoïste parfaite. La salle est hilare. Ses conseils résonnent chez beaucoup d’entre nous : ils sont grinçants, interpellants, parfois dérangeants… J’en retiens un : refuser les rôles tout faits, ces rôles qu’on pousse les hommes et les femmes à adopter comme le mythe de la bonne mère ou de la fameuse mamie gâteau qui est supposée adorer les enfants… Une supposition de genre.
Alors mesdames, refusons les suppositions de genre, prenons notre place et notre destin en main en nous intéressant notamment davantage aux questions économiques. Le monde a besoin de nous, et j’en suis plus que jamais persuadée. Pour commencer, suivons donc le conseil de Sibylle Le Maire, directrice exécutive de Bayard et co-fondatrice de ViveS : « Occupez-vous de vos finances ! Quand on est amené à le faire, c’est qu’il est souvent un peu tard. Dans votre téléphone, ayez donc le numéro de votre banquier, de votre notaire, de votre avocat et de votre assureur. » Go !
Photos : Zaëli Bellerose pour Bellerose Photographie |