Pourquoi une telle réalité ?
La maternité, on le sait, entraîne une disqualification des femmes : le congé maternité, le congé parental, le temps partiel mettent les mères sur le banc de touche dans le monde de l’entreprise. Quand on ajoute la composante « mère seule », c’est un peu la double peine. Nathalie Bourrus, autrice de Maman solo, les oubliées de la République, parle du «plafond de mère» auquel ces femmes sont confrontées. Une réunion d’une heure qui débute à 17h30, c’est impossible pour elles ! Un déplacement professionnel de plusieurs jours, idem. Et les after-works dans lesquels on élargit son réseau, on saisit l’information d’un poste à pourvoir : on oublie ! Or la réalité des parents solos est encore trop souvent ignorée des entreprises.
Une charge mentale et émotionnelle permanente
Le quotidien d’un parent seul est ardu : en période de rentrée scolaire c’est le rush, mais toute l’année est une course de fond épuisante.
Émilie, 38 ans, consultante dans un cabinet RH, me raconte : «Être maman solo, c’est penser à tout, tout le temps, et sans back up. C’est exigeant émotionnellement car je n’ai aucun sas de décompression, jamais de temps off entre la journée de travail et la seconde journée où je dois m’occuper des enfants. C’est avoir une charge mentale et émotionnelle permanente».
Côté travail, Émilie vit parfois mal le fait de ne pas avoir assez de temps avec ses petits : «le plus compliqué pour moi, c’est de me priver d’eux à cause de déplacements ou de formations qui finissent tard».
Et toute progression dans la carrière devient difficile : «Je me sens limitée vis-à-vis des postes que je peux prendre. Demain si je veux viser un poste à grandes responsabilités, je ne sais pas comment ça pourrait rentrer dans mon timing».
Alors l’idée de se mettre à son compte lui passe par l’esprit, mais très vite un autre frein –réel– surgit : «Je pourrais avoir envie de lancer mon entreprise mais je ne le ferai pas. Le risque de me casser la bobine et de ne plus avoir de quoi entretenir la famille est trop grand». Émilie ajoute : «Chaque sortie du cadre que j’ai fixé a un impact financier».
Les finances, c’est le point névralgique des mamans solos. Elles doivent gérer leur budget au centime près.
D’ailleurs, 40,5% des familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté, soit 2,6 fois plus que les familles « traditionnelles » selon une étude de l’Insee publiée en 2022. Et les foyers de maman solo se retrouvent largement plus en situation de pauvreté : 45% en 2018, contre 22% avec un papa, selon cette autre étude Insee.
Les compétences développées, on en parle ?
Face à toutes ces difficultés, certaines mamans sont tentées de taire leur situation. Elles évitent ainsi la stigmatisation et les idées reçues qui vont de pair avec la monoparentalité. Pourtant, être un parent solo, c’est développer des compétences solides dont les employeurs sont friands :
- Grande capacité d’adaptation
- Organisation hors du commun
- Capacité de résilience élevée
- Résolution de problèmes
- Grande productivité (pas le temps de faire du présentéisme)
- Grande créativité (il faut souvent penser « out of the box » pour réussir à tout concilier)
- Couteau-suisse (on apprend à tout faire soi-même)
Des actions sans coût financier, mais avec un coût culturel
Même si l’entreprise n’a pas encore complètement pris en compte la monoparentalité, des initiatives voient le jour. L’Observatoire de la Qualité de Vie au Travail a lancé une Charte de la Parentalité en Entreprise en 2008 et retravaillé depuis pour «insister sur la parentalité tout au long des cycles de vie et sous toutes ses formes (monoparentalité, homoparentalité, familles recomposées, aidants familiaux, grands-parents actifs, etc.)». Aujourd’hui 700 employeurs ont signé la charte, représentant 30 000 établissements et 20% de la population active.
Dans la même veine, le Parental Challenge, lancé par Selma El Mouissi et Judith Aquien, invite les entreprises à signer une charte parentale avec 12 points qui donnent les clés pour amorcer une véritable politique parentale.
Pour aider les parents solos à mieux concilier vie pro et vie perso, des solutions faciles à mettre en place existent. Les deux femmes proposent d’ailleurs dans un petit guide la liste des 100 actions à déployer pour une parentalité mieux vécue en entreprise.
Des choses toutes simples peuvent rapidement voir le jour : encadrer les heures de réunion sur du 9h-18h ; accorder davantage de télétravail ; prévenir suffisamment à l’avance pour des déplacements ou des événements d’entreprise…
«Même si ces actions n’ont aucun coût financier, elles ont un coût culturel. Toutes les entreprises ne sont pas prêtes à faire évoluer leur culture. Elles se sont construites sur la base du présentéisme par exemple et ont beaucoup de difficulté à changer de prisme. Cela revient à toucher à l’organisation et le changement devient alors encore plus difficile à accepter» témoigne Selma. C’est ce bouleversement culturel qui freine parfois les entreprises et les empêche de s’engager dans une nouvelle voie. Mais restons optimiste : 160 entreprises ont déjà signé cette charte, ce qui représente plus de 34 000 salariés.
Une chose est sûre : ça bouge ! Par exemple, chez Shine (filiale de la Société Générale), tout collaborateur bénéficie d’un bonus « personne à charge » de 2 500€ par an et par personne. (À noter que ce bonus est aussi prévu pour un parent en perte d’autonomie, donc pour les aidants).
Une politique en faveur de la parentalité, ça sert l’intérêt des entreprises
La monoparentalité n’est pas un phénomène isolé. Et avec la PMA autorisée pour les femmes seules depuis août 2021, le nombre de mamans solos va encore croître. Pourtant, la parentalité est encore vécue comme un frein à l’évolution professionnelle par 59% des Français qui considèrent qu’il est difficile d’obtenir une promotion au retour d’un congé maternité, paternité ou parental (sondage Apicil-Opinion Way de 2023).
Alors soit l’entreprise reste sourde à cette évolution sociétale, soit elle s’y attèle et prend les mesures qui s’imposent. Et qu’on se le dise : elle a tout intérêt à le faire. «Déployer une politique parentale et a fortiori pour les familles monoparentales, c’est retenir les talents mais aussi les attirer. C’est répondre à la problématique de la féminisation de certains métiers et donc se rendre attractif, c’est avoir des collaborateurs plus productifs et plus engagés» assure Selma.
Et elle a raison ! Une étude d’Ernst & Young de 2017 a démontré que 70% des entreprises proposant une politique familiale ont constaté une hausse de la productivité de leurs salariés et 80% une amélioration de leur moral.
Allons plus loin en abordant un aspect purement « business ». En Suisse, un groupement d’entreprises (Nestlé, Migros, Novartis, Raiffeisen, etc.) a réussi à mesurer le Retour sur Investissement d’actions menées en faveur de la parentalité. Il est de 8% ! En d’autres termes : 100€ investis par l’entreprise lui rapportent 108€.
Pourquoi un tel gain ? Parce que l’absentéisme diminue, les salariés restent et les coûts de recrutement baissent. CQFD !
Illustration : un grand merci à Jon Krause