Attention, accrochez-vous, parce qu’avec Marion, ça déménage ! Quand je lui demande ce qu’elle voulait faire comme métier petite, elle me répond « bergère ». Tout de go. Pas un instant de réflexion, pas une hésitation. La réponse est donnée comme une flèche qui atteint sa cible. C’est ça l’énergie de Marion. Et c’est cette énergie qui va lui donner l’occasion d’emprunter un parcours hors du commun. Ainsi, Marion rêve de devenir bergère pour être dehors. Mais elle s’aperçoit vite que l’été, elle devra travailler alors qu’elle espère pratiquer sa passion, l’escalade, justement en cette période estivale. Hop, elle jette l’idée aux oubliettes.
Ce qu’elle veut elle, c’est grimper. Mais bon… On ne vit pas de la montagne.
« Fonce, parce que si c’est pas toi, ce sera UN autre »
La vie l’emmène aux États-Unis à l’époque du lycée. Là-bas, elle découvre une façon de penser qui va changer sa vie. « Je me voyais prof de maths avec du temps libre pour pouvoir grimper. Mais aux USA, on inverse la tendance. On te dit : « Tente de vivre de la montagne et au pire, si ça ne marche pas, tu seras prof de maths » ». Elle a 17 ans quand elle comprend que même si elle ne fait pas le bon choix, l’échec n’existe pas, et que soit on gagne, soit on apprend.
Après une licence d’anglais, Marion s’en va faire des petits boulots à Chamonix. Monitrice d’escalade depuis l’âge de 19 ans, elle se présente à une sélection de l’équipe nationale d’alpinisme. Elle a 22 ans et c’est la première fois qu’il existe une équipe de haut niveau pour les femmes avec un objectif de performance. A ce moment-là, le commandant du groupe militaire de haute montagne (GMHM) annonce qu’il veut recruter une femme. C’est une première ! Marion postule. Elle a peur…
Peur de l’armée d’abord. « Je viens d’une famille de profs qui écoutent France Inter. C’est loin de l’institution militaire. Et à l’époque, j’ai un piercing dans le nez, des dreadlocks, et je grimpe avec un pantalon large en tissu africain ».
Peur d’être la première femme. « Je vais devoir faire mes preuves, on va m’attendre au tournant, je le sais. »
Peur d’être payée à faire de l’alpinisme. Plus exactement, Marion culpabilise. « L’argent public manque cruellement dans les écoles, les hôpitaux et moi je vais être payée pour faire de l’alpinisme ?! C’est une dépense inutile. »
Mais malgré tous ses doutes, elle y va. D’abord parce que l’appel de la passion est plus fort que tout. Ensuite parce que son amie, Karine Ruby, championne olympique française de snowboard, lui dit : « Fonce, parce que si ce n’est pas toi, ce sera UN autre ».
« Les considérations féministes, Maman, c’est dépassé ! »
Elle devient alors en 2008 la première femme à rejoindre le Groupe militaire de haute montagne. Mais elle va déchanter. Elle qui pensait que le féminisme appartenait aux boomers… Elle qui avait dit à sa mère : « Mais maman, c’est bon… on a tout gagné, nous ! On a le droit de vote, le droit à l’avortement, c’est dépassé tes trucs de féministes » va vite s’apercevoir que le monde n’est pas celui qu’elle croyait. Embauchée grâce à la discrimination positive, elle est surtout l’une des meilleures femmes alpinistes ! En tout cas, c’est sa conviction. Mais dans la bouche de ses collègues, ça devient vite « elle est là parce que c’est une femme ». Elle se sent seule. Très seule. « Pas d’esprit de cordée, pas de solidarité. Dans ce groupe c’est chacun pour soi ». Peu sollicitée pour réaliser des expéditions, souvent reléguée sur le banc de touche, Marion tourne en rond : ses journées ne sont pas très drôles. A cela s’ajoute le harcèlement sexuel qu’elle subit de la part de son supérieur et aucun soutien de la part de ses collègues qui la laissent lâchement partager la tente du chef, ce qui leur évite d’avoir ce dernier sur le dos. Et puis « bon, déjà qu’elle est payée à grimper, faudrait pas non plus qu’elle vienne se plaindre ».
Solitude, mauvaise ambiance, harcèlement et décès de plusieurs amis en montagne ont raison de sa motivation. Elle quitte le GMHM.
Elle ne part pas bien loin. Elle frappe à la porte du bâtiment d’à côté, à Chamonix : le centre d’instruction de l’école militaire de haute montagne. Un endroit qui n’a pas vu de femme depuis 1930 ! Marion semble vouée à investir des fonctions où les femmes sont proscrites. Elle y reste trois ans et demi mais l’expérience n’est pas à la hauteur de ses espérances. On ne fait que lui rappeler qu’elle n’est pas « assez ». « Tu n’es « que » caporal cheffe, donc on te propose un contrat d’un an », quand d’autres collègues (hommes) du même grade ont pourtant un CDI. Lorsqu’elle demande à passer sous-officier, on lui répond qu’elle n’a pas le potentiel… Idem quand elle veut passer son diplôme d’état de ski alpin. Elle adore pourtant ses missions d’instructrice, emmener ces hommes en montagne, les entraîner, faire de belles courses… Mais le tout petit salaire (1350€) et les vexations répétées finissent par la démotiver.
Enfin des hommes ravis d’avoir une femme dans leur équipe
Jusqu’au jour où Marion voit une petite annonce dans la newsletter des guides de haute de montage : la police cherche des guides pour faire de la formation en montagne. Elle se dit avec l’humour qui la caractérise : « C’est la même chose que ce que je faisais, il y a juste la couleur de l’uniforme qui change ». Ni une ni deux, elle se rend au bâtiment des policiers pour se renseigner. Quand elle voit arriver un lieutenant, c’est tout naturellement qu’elle décline son identité, façon « militaire ». Il faut dire qu’après sept ans dans l’armée, elle a quelques réflexes. « Il est tombé de sa chaise » se remémore-t-elle en rigolant. Mi-amusé mi-étonné, il l’invite à discuter du poste. Il la connait –la seule femme du GMHM- et se réjouit à l’idée qu’une femme rejoigne enfin la police. L’accueil qui lui est réservé est chaleureux. Après son échange avec lui, elle est décidée : elle passe le concours de gardien de la paix. « Après l’armée, la police ne me fait pas peur ! Je me dis que ça ne peut pas être pire que ce que j’ai connu, donc j’y vais ». Elle obtient son diplôme et devient la 1ère femme CRS de montagne.
Son rôle ? Emmener les policiers en montagne pour leur apprendre les techniques d’alpinisme, comment évoluer sur des glaciers, des rochers… Puis très rapidement, elle va aussi devenir secouriste et donc porter assistance aux personnes blessées en haute montagne. Ses collègues masculins sont ravis d’avoir enfin une femme dans l’équipe et sont extrêmement bienveillants. Ils sont tellement heureux qu’ils la mettent sous les feux des projecteurs. Elle est leur meilleur atout pour la com’. C’est elle qui va parler aux journalistes pour faire connaître cette spécialité.
Ce qui lui plaît le plus dans cette fonction ? Être payée à grimper ! 😉
Après tout, peu importe qu’on soit homme ou femme
Alors est-ce que ça change la donne d’être une femme dans ce milieu ? C’est la question qui l’agace. Et je comprends. « Non, ça ne change rien ! On est tous les mêmes et si on commence à partir dans ce genre de considérations alors on tombe dans des clichés sexistes ». Pour résumer : « Être une femme n’apporte rien à la spécialité CRS de montagne mais il y a de bons agents aussi parmi les femmes ». Le message est passé.
Aujourd’hui seules 4 femmes sur 200 agents occupent ce poste. Pas assez pour changer quoi que ce soit. Comme elle en témoigne : « Les sociologues expliquent qu’on fait la différence quand on dépasse les 30% d’un effectif. On n’y est pas encore ! »
Là où le fait d’être une femme peut cependant grandement impacter l’équipe, c’est dans la maternité.
Pour sa première grossesse, ses collègues l’encouragent. Elle est au centre de formation et c’est plus facile de se passer d’elle un temps. Pour sa deuxième grossesse, en revanche, elle est opérationnelle, elle vient au secours des gens. Les contraintes sont différentes. Le nombre d’agents est juste. Quand il manque un élément, ça se ressent ! C’est surtout sur ce point que la profession a besoin de s’améliorer. « C’est nouveau pour eux et dans leur formation RH, le sujet de la maternité n’existe pas. C’est dommage quand on sait qu’il y a plus de 30 000 femmes dans la police quand même ! »
Ne pas s’interdire de rêver grand
A l’issue de cet entretien avec Marion, je ressors un peu sonnée. A la fois par la hardiesse du parcours de cette jeune femme, par son énergie inébranlable et par le manque de prise en compte des femmes dans ces différents métiers. Cependant, comme elle le dit, « ma naïveté quant aux questions féministes que je pensais dépassées m’a finalement aidée, car je ne me suis pas interdite de rêver grand ». Je repense alors à cette citation bien connue de Mark Twain et qui prend tout son sens ici : « Ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait ». Et je continue donc de me dire que tout est possible.
Illustration : un grand merci à Clémentine Fourcade