Premier défi remporté : 15 mesures fortes pour les femmes
Dans cette nouvelle loi figurent 15 mesures fortes pour éviter que les femmes ne se voient confisquer leurs revenus, pour faciliter leur accès à la formation professionnelle, pour stimuler la parité dans toutes les filières de l’enseignement supérieur, pour atteindre 40% de femmes parmi les cadres dirigeants et les instances dirigeantes des entreprises de plus de 1000 salariés d’ici 2029, pour favoriser l’accès des entrepreneures aux financements.
Ainsi la Banque publique d’investissement publiera d’ici la fin du mois pour la première fois des données sur la répartition genrée des chefs d’entreprise bénéficiaires de ses actions. Quant aux établissements de l’enseignement supérieur, ils devront dès l’an prochain diffuser un baromètre de l’égalité femmes-hommes.
Posée et déterminée, méthodique même, Marie-Pierre Rixain n’allait pas s’arrêter là. « Les femmes doivent être reconnues comme des sujets économiques à part entière », martèle la députée qui a déposé le 8 mars dernier une nouvelle proposition de loi visant cette fois-ci à « accélérer l’égalité fiscale et successorale entre les femmes et les hommes ».
De l'enfant intrépide à l'adulte révoltée
Parfois l’engagement d’une vie ne tient pas à grand-chose. A un souvenir d’enfance, à une indignation de jeunesse. Lycéenne en région parisienne, Marie-Pierre Rixain a 16 ans quand, à la rentrée scolaire, l’une de ses amies de seconde, excellente élève, ne réapparaît pas en classe… Victime d’un mariage forcé, elle est devenue caissière au supermarché d’à côté. Pour la jeune Marie-Pierre, déjà révoltée par les inégalités salariales dont elle a découvert l’existence en cours d’économie, c’est un choc. Cette petite-fille d’agriculteurs qui a d’abord grandi dans le Cantal n’a jamais imaginé que des droits puissent lui être refusés parce qu’elle était une fille. Elle a raconté à nos consoeurs de Visible Media comment, enfant, elle suivait les pas de sa grand-mère paternelle qui n’avait peur de rien : pour aller pêcher les écrevisses, elle entraînait la petite Marie-Pierre à traverser un champ occupé par d’énormes taureaux…
Elue député LREM de l’Essonne en 2017, réélue en 2022 sous l’étiquette Renaissance, Marie-Pierre Rixain a rejoint à l’Assemblée nationale la Délégation pour les droits des femmes, dont elle assure la présidence depuis 2017. Ce ne sont plus les taureaux qu’elle brave mais un système qui a fait des inégalités entre les femmes et les hommes une norme structurelle. « Il y a un sujet autour du statut de l’argent des femmes, et ce tout au long de leur vie », relève-t-elle. Ainsi, le travail des femmes, d’abord considéré comme un don, puis rémunéré moins bien que celui des hommes. Ou encore les entreprises créées par les femmes, regardées différemment de celles créées par les hommes… et donc moins bien financées. Et aussi les métiers les plus rémunérateurs ou les postes les mieux payés dont les femmes sont absentes. Enfin, les lieux de décision et de pouvoir qu’elles parviennent difficilement à investir.
« C'est celui qui finance qui établit les règles »
« Il faut que les femmes puissent participer de manière égale à la définition des règles ; or c’est celui qui finance qui établit les règles », glisse la députée. Et pour financer, il faut avoir de l’argent. Retour à la case départ, et aux nouvelles propositions de Marie-Pierre Rixain. Cette fois-ci, il y en a 7. Plusieurs d’entre elles utilisent le levier de la fiscalité.
La mesure 1 vise ainsi à appliquer par défaut un taux d’imposition individualisé pour chaque membre d’un foyer fiscal ; dans la logique actuelle, c’est le taux unique (dit « personnalisé ») qui s’applique par défaut et qui conjugalise l’impôt. Résultat : celui qui gagne le moins (dans 75% des cas, la femme) se voit lourdement imposé sur ses revenus tandis que celui qui gagne le plus voit son taux réduit.
La mesure 2 veut défiscaliser les prestations compensatoires versées dans le cadre d’un divorce sur une période supérieure à 12 mois : aujourd’hui, l’ex-épouse (ce sont les femmes qui sont les bénéficiaires de cette prestation dans 9 cas sur 10) subit la double peine. La prestation lui est versée de façon échelonnée et elle se voit taxée sur les sommes reçues ! Ces deux mesures permettraient de libérer des revenus pour les femmes.
La mesure 3 porte sur la règle de solidarité fiscale en cas de divorce qui pèse en général sur l’ex-époux le plus fragile… le plus souvent la femme.
Enfin, la mesure 4 propose de relever les plafonds de déduction fiscale de 10 000 à 18 000 euros pour que les femmes qui bénéficient d’une déduction d’impôt pour garde d’enfants ou emploi d’une aide à domicile puissent aussi bénéficier d’une déduction d’impôt si elles investissent dans des PME. « Cela permettrait aux femmes d’investir dans l’économie réelle », souligne Marie-Pierre Rixain.
Les droits économiques : nouvelle frontière de l’émancipation des femmes
L’égalité économique, c’est aussi l’égalité de patrimoine. La députée s’attaque là un symbole de notre organisation sociale : le code civil napoléonien, établi en 1804. « Avant, explique-t-elle, il y avait une stricte égalité entre héritiers, en valeur et en nature. Depuis deux siècles, seule l’égalité en valeur est mentionnée ». Conséquence, démontrée par les chercheuses Céline Bessière et Sibylle Gollac dans leur ouvrage Le genre du capital : les fils héritent du patrimoine physique quand les filles, elles, reçoivent une compensation financière, souvent sous-évaluée par rapport à la valeur des parts en nature.
Pour Marie-Pierre Rixain, « les droits des femmes sont un continuum, toutes les briques vont de pair, le droit à disposer de son corps, la lutte contre les violences, les droits politiques, les droits économiques ». Ces derniers restent encore mal reconnus, avec des conséquences pour la situation individuelle des femmes mais aussi pour la société toute entière.
Ainsi la conjugalisation de l’impôt décourage les femmes moins bien rémunérées que leur conjoint de travailler, car elles sont davantage taxées. L’imposition commune augmente en effet de 6 points le taux marginal d’imposition du conjoint ayant les revenus les plus faibles… tandis qu’elle diminue de 13 points celui du conjoint ayant les revenus les plus élevés (selon l’étude de l’Insee, France, portrait social, 2019).
« Le taux individualisé augmenterait de 0,6 point le taux de participation des femmes au marché du travail, soit près de 80 000 emplois supplémentaires », assure la députée.
Autant d’emplois pourvus, de cotisations sociales payées, de retraites assurées… L’exemple de la Suède qui a mis en œuvre dès les années 1970 l’individualisation de l’impôt est à cet égard probant.
Écrire une loi, ça se construit mot par mot, et pas seulement avec les siens
Pour construire la loi de décembre 2021, Marie-Pierre Rixain avait mené une quarantaine d’auditions, rencontré de nombreux chefs d’entreprise. Un exercice de dialogue et d’ajustement permanent. Cette fois-ci, c’est avec l’administration fiscale qu’elle discute. Toujours animée par le souci de proposer des solutions réalistes et raisonnables, mais efficaces. Un travail de dentelle, pas forcément visible. Mais un exercice d’action publique au sens noble du terme.
Voilà en effet une femme qui ose lever des tabous sur l’argent, interroger des normes vieilles de plusieurs siècles. Et qui entend maintenant s’attaquer au travail pour favoriser la mixité d’un certain nombre de métiers, dans la tech, l’agriculture, la construction. « Si on n’inclut pas 51,6% de la population française dans l’économie de demain, on perd des opportunités et on accroît les risques », explique-t-elle.
Rien de plus naturel donc que d’inviter Marie-Pierre Rixain à clôturer le 19 avril l’édition 2023 de notre Forum ViveS dont le mot d’ordre est : « Osons ensemble ! En finir avec les tabous sur l’argent et le travail ». La députée nous partagera sa vision d’un féminisme qui est d’abord un humanisme. « Travailler ces sujets, c’est œuvrer à une économie plus résiliente et résistante, à une société plus apaisée », nous dit-elle.
Lors de ce Forum, vous rencontrerez bien d’autres femmes qui ont osé, par exemple, se lancer dans l’investissement, changer de métier pour gagner plus, reprendre une entreprise, travailler dans un secteur ou un métier dominé par les hommes, ou encore s’engager en politique.
Rendez-vous le 19 avril après-midi à l’ESCP Paris, toute l’équipe de ViveS vous y attend !
Illustration : un grand merci à Louise de Lavilletlesnuages