Pourquoi les écarts se creusent au fur et à mesure du parcours scolaire
Écartons tout de suite une première idée reçue selon laquelle les écarts en maths seraient une affaire de cerveau, de compétences cognitives, voire de vie sur des planètes différentes. Il n’y a rien d’inné dans ces écarts !
Alors, comment se fait-il que les écarts se creusent au fur et à mesure du parcours scolaire ? L’une des raisons est l’effet de stéréotypes sociaux de genre, qui sont intégrés de manière inconsciente dans les comportements des individus, qui peuvent donner notamment lieu à des valorisations auprès des filles de filières non scientifiques. Trop de filles sont freinées par des préjugés, des normes et attentes sociales qui influent sur la qualité de l’éducation qu’elles reçoivent et sur les matières qu’elles étudient.
Les parents, premiers “orientateurs” de leurs enfants
Nous pouvons tous être pris au piège de ces stéréotypes sociaux liés au genre, qui peuvent influencer nos comportements. En tant que parents, nous voulons la réussite de nos enfants, leur épanouissement et surtout qu’ils s’accomplissent à terme dans un métier. Or, c’est oublier à la fois les mécanismes de reproduction sociale, les histoires familiales, les manques de modèles d’identification dans certains métiers, et les « clichés » liés au genre, souvent inconscients. Pour Clémence Perronnet, docteure en sociologie, chercheuse à l’agence Phare et auteure du livre La bosse des maths n’existe pas, les parents n’ont pas tendance à disqualifier un métier plutôt qu’un autre, mais ils peuvent plutôt encourager un type de métier plus en adéquation avec l’image attendue de la place des femmes dans la société, ou craindre que leur enfant souffre dans une filière dite exigeante. Et ce qui rend le sujet complexe, c’est qu’il n’y a pas d’empêchements, mais des comportements qui ne sont que les effets des stéréotypes sociaux liés au genre.
Ce qui se joue à l’école
Mais le problème ne s’arrête pas là, l’ensemble de l’équipe éducative, dont les professeurs, sont porteurs de représentations et d’attentes différentes à l’égard des filles et des garçons. Cela se traduit dans les interactions en classe, les notations, les appréciations et les préconisations d’orientation. Les stéréotypes vont inconsciemment enclencher toute une série de comportements discriminants chez les enseignants : on évaluera tel comportement, on développera telle attente, on régulera l’interaction de manière différente avec un élève garçon ou fille, et ce inconsciemment, que l’on soit homme ou femme, tant ces représentations s’imposent à chaque individu. C’est ainsi qu’on donnera plus souvent la parole aux garçons pour répondre à une question, et que pour proposer une orientation dans une spécialité scientifique, il faudra à une fille des notes bien supérieures en mathématiques et sciences que celles exigées pour un garçon.
Cette influence des stéréotypes dans le monde de l’éducation est analysée par Marie Duru-Bellat, chercheuse et professeure de sociologie à Sciences-Po, qui étudie depuis des années les politiques éducatives et les inégalités sociales et de genre dans le système scolaire.
Elle observe également ce qui se joue aussi entre les élèves. Les relations entre pairs constituent un aspect essentiel dans le développement des adolescents et dans leur expérience scolaire. Les adolescents eux-mêmes diffusent et contrôlent des normes en matière de comportements qui seraient appropriés à leur sexe :« Loin de subir passivement les stéréotypes de sexe, les adolescents, dans cette phase de construction identitaire, s’efforcent de se positionner activement comme garçon ou comme fille. En sciences par exemple, le dégoût affiché devant une dissection ou le refus de se salir sont des comportements au travers desquels les adolescentes s’affirment comme féminines, tandis que les enseignants trouveront cela normal… »
Pour Clémence Perronnet, il ne faut pas non plus sous-estimer le sexisme ouvert et la discrimination de la part des camarades masculins sur les filles, qui peut parfois être cautionné par les professeurs. « Les jeunes filles que je rencontre dans mes enquêtes, elles ont toutes des histoires de camarades qui leur ont coupé la parole, qui leur ont demandé de se taire, qui les ont regardées avec surprise quand elles avaient la meilleure note en maths. » Le problème, c’est que ce sexisme ouvert est souvent minimisé, invisibilisé car on va considérer que c’est de la plaisanterie ou un manque de maturité de la part des garçons.
« J’ai l’impression que je suis nulle »
Or, l’ensemble de ces éléments évoqués (comportements et stéréotypes conscients ou non) ont des conséquences alarmantes sur les filles et créent de fait une disqualification de la part de certaines filles au regard de leur capacité en mathématiques et plus largement dans les matières scientifiques.
Alors, quand les filles disent ne pas avoir confiance en elles, il est important de considérer l’environnement dans lequel elles grandissent. Clémence Perronnet souligne l’enjeu d’être au clair face au sexisme que les filles vivent à l’école : « Quand on dit qu’on est dans un pays qui valorise l’égalité, que les filles ont le droit de tout faire, elles se retrouvent dans une situation où elles ont perdu confiance en elles-mêmes et elles ne comprennent pas pourquoi. J’ai rencontré plusieurs jeunes filles comme cela qui disent « Je doute de moi, j’ai l’impression que je suis nulle quand j’ai de bonnes notes. Et tout le monde me dit que je dois avoir confiance en moi ». Or, on dénie le sexisme qu’elles rencontrent. Et cela crée du découragement chez les jeunes filles. »
En 2023, on pourrait se dire que tous ces sujets sont pris en compte et que l’Éducation Nationale tente d’agir au mieux. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas, et la réforme du lycée général en 2019 a créé une chute alarmante des effectifs scientifiques : on observe un abandon massif en première et en terminale de l’enseignement des mathématiques à la fois pour les filles et pour les garçons, touchant un tiers des élèves en première et environ la moitié en terminale par rapport aux effectifs avant la réforme. Ce recul est encore plus marqué du côté des filles : en 2021, en Terminale parmi les élèves qui font 6h de maths ou plus, seulement 35,7 % sont des filles (elles étaient 47,5 % en 2019).
L’individualisation des choix d’orientation et la spécialisation précoce des élèves sont deux phénomènes qui renforcent malheureusement les stéréotypes et freins, ce qui explique des écarts grandissants.
3 comportements que l’on peut tous adopter et transmettre
- Prendre conscience de nos stéréotypes sociaux de genre pour mieux contrôler nos comportements. En tant que professeurs, c’est veiller à interroger de manière équitable les filles et les garçons, être vigilant sur les commentaires écrits dans les bulletins, etc. En tant que parents, ce serait de prendre conscience de nos mécanismes pour éviter de les reproduire. Par exemple, ne pas dire que ce n’est pas grave quand une fille a une mauvaise note en maths, et valoriser véritablement tous types de filières.
- Sanctionner tout comportement sexiste. Comment ? Quelques exemples concrets : on pourrait intégrer explicitement leur interdiction dans le règlement intérieur des établissements scolaires ; conduire une réflexion en équipe pluridisciplinaire sur les modalités de sanction de ces comportements, et refuser de les banaliser ; s’appuyer sur des situations de classe ou de vie scolaire pour dialoguer avec les élèves sur ces comportements, et déconstruire ensemble les stéréotypes de genre.
- Valoriser les rôles modèles et la connaissance pratique des métiers STIM. En encourageant la participation des jeunes filles, dans le cadre scolaire ou à titre individuel, à une JFMI : Journée « Filles, maths et informatique » de l’association Filles et Maths. On peut aussi accueillir dans les classes des témoignages de femmes issues des métiers des mathématiques et de l’informatique pour que les filles se projettent davantage dans ces professions. Et bien sûr proposer des activités autour du numérique dès le plus jeune âge.
Nous avons beaucoup à gagner en faisant évoluer les comportements que l’on pourrait tous adopter et transmettre. Ces évolutions seraient bénéfiques pour les filles comme pour les garçons.
Illustration : un grand merci à Marie Lemaistre et à l’agence Fllow