Pour ce qui est des vols dans l’espace, ce n’est pas mieux : les femmes ne représentent guère plus de 10% des astronautes dans le monde. Il faut dire que pendant longtemps, aux Etats-Unis notamment, il fallait d’abord être pilote de chasse pour prétendre devenir astronaute…
En France, il a fallu attendre 1999 pour voir une première femme devenir pilote de chasse, il s’agissait de Caroline Aigle, ancienne major de Polytechnique, élève à l’Ecole normale supérieure puis à l’Ecole de l’air. Et depuis Claudie Haigneré, médecin et docteur en neurosciences, première Française à voler à bord de la Station spatiale internationale en 2001, notre pays n’avait pas fourni d’autres femmes astronautes à l’Agence spatiale européenne (ESA), qui comptait jusqu’ici sept membres, dont une seule femme, l’italienne Samantha Cristoforetti. Jusqu’à hier ! La sélection de la nouvelle promotion d’astronautes européens vient en effet d’être annoncée (24% de femmes s’étaient portées candidates). Verdict : elle comptera 3 hommes et 2 femmes dont une Française, Sophie Adenot, 40 ans,ingénieure et première pilote d’essais d’hélicoptères en France.
23% des effectifs en France sont des femmes
Des métiers techniques aux postes de direction, la faible présence des femmes dans l’aéronautique et le spatial s’explique : dès l’enseignement supérieur, elles sont minoritaires dans les filières scientifiques qui conduisent à ces emplois. Selon une étude réalisée en 2021 par l’Institut de l’Aviation de l’université du Nebraska, aux Etats-Unis, moins de 6% des pilotes des principales compagnies aériennes mondiales sont des femmes. Et parmi les 100 plus gros transporteurs de passagers dans le monde, seuls huit sont dirigés par des femmes… En France, si le patron du groupe Air France-KLM est un homme, le canadien Ben Smith, deux des compagnies du groupe, et non des moindres, sont pilotées par des femmes : Anne Rigail, directrice générale d’Air France depuis quatre ans (elle sera présente au Women’s Forum à Paris la semaine prochaine, entrées à gagner ci-dessous pour nos lectrices), et Nathalie Stubler, directrice générale de Transavia depuis bientôt sept ans.
Ces deux figures ont fait preuve d’une étonnante stabilité dans un secteur secoué par les turbulences – crise sanitaire, arrêt des activités, reprise contrariée par la hausse du prix du pétrole et la pression pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Mais leur présence au sommet constitue en réalité l’arbre qui cache la forêt. Ou les étoiles qui éclipsent le trou noir.
Dans l’aéronautique au sens large (construction, aviation, espace) en France, les femmes représentent aujourd’hui en moyenne seulement 23% des effectifs et 30% des embauches.
Un secteur en quête de profils divers et aux salaires attractifs
On est très loin de la mixité, alors que ce secteur offre des perspectives professionnelles particulièrement intéressantes : plus de 15 000 recrutements annoncés en 2022, dans des postes aux qualifications très recherchées (et donc aux salaires confortables) qu’il s’agisse d’ouvriers spécialisés, de techniciens ou d’ingénieurs. Certains métiers sont très en demande : monteur câbleur, chaudronnier, ajusteur composite, mécanicien aéronautique, ingénieur en cybersécurité, ingénieur R&D structure, data scientist. Confrontée à des défis nouveaux – réduire ses émissions carbone, accélérer la digitalisation, retourner sur la Lune ou coloniser Mars – la filière est en quête de profils divers et offre des salaires attractifs.
Mais les femmes, même si elles ont participé dès les origines à la conquête de l’air et de l’espace (Hélène Boucher, ce n’est pas seulement le nom d’un lycée mais celui d’une pionnière de l’aviation), ne s’y projettent pas facilement. Les entreprises l’ont (enfin) compris : en mars dernier, 12 d’entre elles (Air France, ADP, Airbus, Dassault, Transavia…) ainsi que l’ENAC (l’Ecole nationale de l’aviation civile) ont signé une charte « Féminisons les métiers de l’aéronautique et du spatial » pour partager des bonnes pratiques, mener des actions communes et contribuer à la création d’un Observatoire de l’égalité hommes-femmes dans le secteur aéronautique. Une véritable révolution.
En 2020, l’ENAC avait relayé un appel lancé par une douzaine de professionnelles du secteur qui s’inquiétaient du fait que le nombre de jeunes femmes parmi les élèves de l’école avait très peu progressé depuis vingt ans : 24% d’étudiantes dont 12% chez les pilotes, 28% chez les contrôleurs aériens, 20% chez les ingénieurs.
La “ghettoïsation sexuelle” des entreprises
Le chercheur Michel Ferrary parle même de « ghettoïsation sexuelle » des entreprises, dans l’édition 2022 de l’Observatoire Skema de la féminisation des entreprises : il observe une rupture de plus en plus marquée entre les entreprises très féminisées (avec un pourcentage élevé de femmes dans les effectifs et l’encadrement) qui ont des difficultés à recruter des hommes et les entreprises peu féminisées (avec un faible pourcentage de femmes dans les effectifs et dans l’encadrement) qui ont des difficultés à recruter des femmes. Ainsi, dans le CAC 40, certaines entreprises ont des populations très féminines, tant au niveau cadre que non-cadre (L’Oréal, LVMH, Hermès, Kering, BNP Paribas…), et d’autres des populations très masculines comme justement les groupes aéronautiques Airbus, Safran ou Thales. Une bipolarisation renforcée par la préférence des élèves des écoles d’ingénieurs (en majorité des garçons) pour les entreprises peu féminisées.
Le dernier baromètre Eight Advisory-Ifop sur les entreprises préférées des Français, publié le 20 novembre dans le JDD, confirme d’ailleurs cette attirance « sexuée » : les femmes placent sur le podium Decathlon, Yves Rocher et Leclerc, quand les hommes choisissent Peugeot, Decathlon et… Airbus. Airbus qui compte seulement 19% de femmes parmi ses employés dans le monde (21,2% en France).
“Une erreur de management majeure”
Précurseur sur le sujet parmi les grandes entreprises de l’aéronautique, Thales Group a engagé dès 2016 une politique volontariste en matière de mixité, sous l’impulsion de son PDG Patrice Caine. Elle s’est fixée des objectifs ambitieux : 40% de femmes parmi les recrutements à horizon 2023. En 2021, les femmes représentaient 33 % des recrutements. En 2019, Thales a rejoint l’initiative Stop au sexisme ordinaire en entreprise, et conséquence de cet engagement, a formé près de 100 référents harcèlement sexuel et agissements sexistes. Cette année-là, Patrice Caine s’était fendu d’un post sur LinkedIn intitulé « La mixité est une chance pour les entreprises et les hommes ont un rôle essentiel à jouer ». Il affirmait d’emblée : « se priver de la mixité serait une erreur de management majeure ! » Dans la guerre pour recruter les meilleurs talents, Thales a choisi son camp : celui des entreprises « women’s friendly ». Mais cela ne s’accomplit pas en un jour quand on a une longue tradition masculine derrière soi. En 2021, Thales a donc créé un index interne – Thales Gender Equality Index – inspiré de l’index français égalité femmes-hommes pour disposer d’un outil commun de comparaison dans toutes les sociétés du groupe de plus de 200 salariés (soit 73 000 salariés couverts sur un total de 81 000). Le groupe vise aussi 20% de femmes aux plus hauts postes à responsabilité dès 2023, à l’image de son comité exécutif qui compte 3 femmes sur 15 membres (ratio identique chez Airbus où le poste de Chief Technical Officer est occupé depuis plusieurs années par une femme), parmi lesquelles Yannick Assouad qui a la haute main sur l’activité avionique.
Chez le motoriste et équipementier Safran, elles sont 3 femmes sur 18 au comité exécutif. Parmi elles, Marjolaine Grange dirige depuis peu l’ensemble des opérations industrielles et les achats, une première. Le groupe affiche aussi 33% de femmes dans ses recrutements, essentiellement des ingénieures. Il compte au total 25% de femmes dans ses effectifs en France, et 25% parmi les ingénieurs et cadres. Ainsi, c’est une jeune femme, Delphine Dijoud, qui pilote le programme de moteur du futur :
« Rise ».
Mais les femmes dans l’aéronautique, ce sont aussi des patronnes de PME, comme Clémentine Gallet qui a cofondé il y a vingt ans Coriolis composites, leader mondial de la conception de robots pour la construction aéronautique. Cette spécialiste en génie mécanique et productique est devenue cet été la première femme présidente du comité Aéro-PME du Gifas, le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales. C’est elle qui porte désormais la voix des 220 PME du secteur auprès des grands groupes et des pouvoirs publics.
Nouvelle génération, nouvelle mentalité
Faire émerger des rôles modèles féminins – des dirigeantes, mais aussi des ingénieures, des techniciennes, des ouvrières spécialisées, des pilotes d’avion et des astronautes – est évidemment un enjeu clé pour permettre aux jeunes filles de se projeter dans les carrières aéronautiques. C’est tout le travail mené par l’association Elles bougent, qui compte plusieurs centaines de marraines chez Airbus, Thales et Safran. Ces professionnelles vont au-devant des collégiennes et lycéennes pour raconter leur parcours mais aussi les entraîner dans des challenges technologiques. Et pour convaincre les hommes de l’intérêt d’intégrer des femmes dans le cockpit, au sens propre comme au figuré, rappelons les propos d’un spationaute français, Michel Tognini, qui confiait dans son livre Un café dans l’espace publié l’an dernier :
« Après avoir travaillé avec les deux sexes, je suis favorable aux missions mixtes. Nous avons des qualités complémentaires. Et je dois avouer que le comportement change quand les équipages sont composés aussi de femmes : les hommes se tiennent mieux, s’habillent mieux, évitent les plaisanteries douteuses… »
Aux Etats-Unis, la Nasa est déjà convaincue : l’agence américaine a annoncé que le prochain homme à marcher sur la Lune d’ici 2025 serait… une femme.
Illustration : un grand merci à Laurence Bentz et l’agence Virginie