Une raison solide d’aller voter aux élections européennes ? Alors qu’un retour de bâton anti-féministe a déjà frappé des pays comme la Hongrie et la Pologne, sans parler d’autres pays hors de l’UE, comme les États-Unis où une partie des femmes n’ont plus accès à l’avortement, l’Europe s’érige comme un « rempart contre la régression des droits ». C’est l’expression qu’utilise le Haut Conseil à l’Égalité entre les hommes et les femmes (HCE) qui appelle les citoyens à voter le 9 juin pour une Europe féministe, à se mobiliser pour garantir que l’égalité de genre soit une priorité dans les politiques européennes.
Si cela vous semble encore un peu trop abstrait, voici 4 domaines dans lesquels l’impact économique est concret pour nous tous…
#1 La transparence et l’égalité salariales
Le Parlement européen a approuvé des mesures de transparence salariale en mars 2023, obligeant les entreprises à divulguer des informations sur les salaires. Cela va faciliter les comparaisons et permettre à de nombreuses personnes de demander des comptes à leur employeur. Si un écart salarial d’au moins 5% est identifié, les employeurs doivent effectuer une évaluation salariale conjointe avec les représentants des travailleurs. L’objectif ? Lutter contre les écarts de rémunération injustifiés. Les entreprises sont désormais tenues de divulguer des informations détaillées sur les salaires. Les candidats seront informés de la rémunération qui accompagne le poste pour lequel ils postulent. En outre, les intitulés de poste devront être rédigés de manière non sexiste pour combattre les biais à l’œuvre au moment du recrutement. Cette directive européenne devra être transposée dans le droit national d’ici juin 2026.
La transparence n’est pas suffisante pour éliminer les inégalités économiques mais elle peut néanmoins avoir un impact important. Une étude américaine du National Bureau of Economic Research (NBER) de 2021 a montré que l’écart salarial entre femmes et hommes a été nettement réduit par des mesures de transparence salariale. « Nous constatons qu’en moyenne, les lois sur la transparence ont réduit de manière significative l’écart salarial entre les sexes (…) elles ont entraîné une réduction statistiquement significative de 1,2 à 2 points de pourcentage de l’écart de rémunération » explique cette étude.
#2 Les quotas pour mieux partager le pouvoir économique
La France a beaucoup avancé entre la loi Copé-Zimmermann (2011) qui impose aux grandes entreprises un quota de 40% de femmes dans leurs conseils d’administration, et la loi Rixain (2021), qui exige un quota de 30% de femmes parmi les instances dirigeantes d’ici 2027 (et 40% d’ici 2030). À sa suite, l’Union européenne a désormais pris le relais, imposant ces quotas dans tous les pays membres.
La directive « Women on Boards », adoptée en novembre 2022 exige que d’ici mi-2026, les entreprises s’assurent que les femmes occupent au moins 40% des postes de directrices non exécutives, ou 33% des postes exécutifs et non exécutifs combinés. Les entreprises seront tenues de se conformer à ces quotas sous peine de sanctions « efficaces, dissuasives et proportionnées » (des amendes, par exemple). Les entreprises devront aussi communiquer régulièrement le nombre de femmes dans leurs instances dirigeantes.
#3 Des règles pour un meilleur partage des tâches domestiques et un meilleur équilibre de vie
En 2019, le Parlement européen a adopté des règles sur les congés familiaux et les conditions de travail pour inciter les pères à prendre des congés familiaux, augmentant ainsi le taux d’emploi des femmes. Ces règles accordent aussi des droits supplémentaires, comme la possibilité de demander des modalités de travail flexibles et de s’absenter pour cause de force majeure (par exemple, en raison de la maladie d’un proche). Tous les travailleurs ont le droit de demander un congé familial (parental, paternité, proche aidant, maternité). Les entreprises n’ont pas le droit de licencier un salarié ou de le désavantager parce qu’il prend un congé familial.
La France offre davantage de congés que le minimum européen. Mais les règles européennes fixent un nouveau plancher en matière d’équilibre des temps de vie qui pourrait rendre plus difficile à un gouvernement national de céder à l’envie de revenir sur tous nos droits. Et puis, rien ne dit que le Parlement européen ne pourra pas faire mieux à l’avenir. Les parents et les aidants, de plus en plus nombreux dans la population active, ont besoin de nouveaux défenseurs pour améliorer leurs droits et protections.
#4 Des accords commerciaux et des politiques qui défendent les femmes
Le Parlement européen insiste sur l’inclusion de dispositions contraignantes sur l’égalité des genres dans tous les accords commerciaux de l’UE. En bref, les partenaires commerciaux de l’UE sont en théorie obligés de respecter certaines normes en matière de non-discrimination et de promotion de l’égalité entre les sexes (égalité salariale, conditions de travail, accès aux ressources), sous peine de voir leurs avantages commerciaux réduits ou supprimés. L’ambition affichée : que les gains économiques résultant des accords commerciaux ne se fassent pas au détriment de l’égalité femmes-hommes.
L’éga-conditionnalité, principe selon lequel l’accès à certains avantages économiques ou commerciaux est conditionné au respect de normes strictes en matière d’égalité des genres, n’est pas encore une réalité dans toutes les politiques de l’UE, mais elle gagne rapidement en reconnaissance comme un outil essentiel pour promouvoir l’égalité au niveau international. L’argent public européen ne doit être distribué qu’à des entreprises ou des projets qui respectent les droits des femmes et œuvrent à la promotion de l’égalité.
Et si on pouvait aligner nos droits sur ceux des pays les plus avancés ?
Non seulement l’Europe est en soi un fer de lance pour l’égalité femmes-hommes mais c’est aussi un groupe de pays divers dans lequel certains sont plus avancés que d’autres. Et si on pouvait profiter des droits des meilleurs, ne serait-ce pas un bond en avant ? C’est l’idée derrière la « clause de l’Européenne la mieux favorisée », inspirée du principe de la « nation la plus favorisée » en droit international.
Ce principe a été initié par l’association « Choisir la cause des femmes », sur une idée de Gisèle Halimi, à partir de 2005 : « Il consiste, après une analyse comparée des droits des femmes en vigueur dans les Etats membres de l’Union Européenne, à appliquer à tou·te·s les citoyen-ne-s européen-ne-s, un ensemble législatif fondé sur les lois les plus favorables aux femmes et existant dans des pays de l’UE. » Sa mise en œuvre ne se ferait pas sans défis. On pourrait rencontrer des résistances dues aux coûts liés à l’ajustement des salaires et des avantages. En outre, prouver des discriminations indirectes et évaluer les avantages « les mieux favorisés », cela n’a rien d’évident. Mais cette idée élargit le champ des possibles !
N’oublions pas que les pays les plus avancés influencent toujours les autres. Le seul fait qu’on ait le droit d’aller y faire nos études et y travailler ne devrait pas être banalisé et dévalorisé. On a tendance à oublier la chance incroyable que représente la libre circulation des personnes au sein de l’Union Européenne ! La possibilité de « voter avec ses pieds » quand les choses tournent au vinaigre est précieuse. Pensons, par exemple, aux femmes polonaises qui vont avorter en Allemagne ! Non, la mobilité n’est pas un « luxe » seulement réservé à une élite, c’est un droit et une somme d’opportunités économiques qui profitent à un grand nombre de citoyennes de toutes sortes.
Tout cela mérite bien un bulletin de vote, non ?
Illustration : un grand merci à Jon Krause