“ Les femmes changent souvent de métier avec une logique sacrificielle ”
Dans un monde en transition où de nouveaux métiers se créent tous les jours, les modèles d’affaires disparaissent et les compétences se périment plus vite, être capable de « switcher », c’est un énorme atout ! Quand on a changé de métier plusieurs fois, on conserve plus longtemps la plasticité de son cerveau et on reste prêt à saisir de nouvelles opportunités. Alors que les carrières linéaires se font de plus en plus rares, les femmes ont donc a priori une bonne longueur d’avance.
Mais pour une grande partie des femmes qui se reconvertissent, l’argent est le sujet dont on ne parle pas. Elles changent souvent de métier avec une logique sacrificielle. Pour échapper à un manager toxique, mettre fin à une situation de harcèlement, trouver un meilleur équilibre pro-perso, avoir plus d’autonomie ou trouver plus de sens au travail, il faut forcément accepter de gagner moins en contrepartie, pensent-elles trop souvent. Comme si on ne pouvait pas être épanouie au travail ET gagner plus d’argent !
Dans son livre Merci mais non merci, Céline Alix explique ce qui pousse tant de femmes qui ont des « belles carrières » à les quitter pour tracer leur propre chemin : elles en ont marre du sexisme, du présentéisme, des jeux politiques et elles veulent du sens. Pour être plus en accord avec leurs valeurs profondes, certaines disent “merci mais non merci” et s’offrent de nouvelles options. Pourtant, ce livre pourtant si inspirant n’évoque le sujet de l’argent que pour dire qu’il faut y renoncer un peu pour un meilleur épanouissement au travail.
“ En réalité, les reconversions sont un bon moyen d’augmenter ses revenus ! "
Or, en réalité, les reconversions sont un bon moyen d’augmenter ses revenus ! Si les augmentations salariales sont décevantes, les démissions peuvent être payantes. Selon une étude Deloitte, les cadres français changent de poste ou d’entreprise tous les quatre ans…pour obtenir une revalorisation salariale de 10 à 15%. Pour un quart d’entre eux, c’est même une augmentation de salaire de plus de 20% qui les attend. Et parmi celles/ceux qui s’enrichissent grâce à leur travail, la plupart l’ont fait en lâchant le salariat pour créer une entreprise.
Dans notre culture, l’argent reste un sujet tabou. Pour les femmes, ce tabou semble encore insurmontable. Les métiers dits « à vocation » reposent sur la logique sacrificielle à laquelle je viens de faire référence. Tout se passe comme s’il fallait choisir entre être utile aux autres et gagner de l’argent. Ou elles se disent qu’un gain d’autonomie et de flexibilité devrait forcément se payer par une baisse de revenus, tout comme l’accès à un environnement où elles ne se font ni humilier ni harceler.
“ Je me suis finalement libérée de l’idée qu’il fallait choisir entre le sens et l’argent "
Quant à moi, j’ai longtemps été prisonnière de cette logique sacrificielle. Je suis devenue enseignante avec l’idée qu’un salaire médiocre était le prix à payer pour faire un travail intéressant et utile à la société. Mais au fil des années, j’ai souffert du regard dévalorisant porté sur la “prof” que j’étais, de la dépendance financière au sein de mon foyer, du tabou de l’ambition et de l’argent à l’Education nationale, de conditions de travail dégradées et des tâches répétitives (les interminables corrections de copies).
Moins de dix ans après avoir commencé ma carrière dans l’enseignement, je me suis finalement libérée de l’idée qu’il fallait choisir entre le sens et l’argent. J’ai quitté mon poste de fonctionnaire avec l’ambition (non affichée ouvertement à cette époque) de gagner plus. J’ai commencé par un poste de salariée dans le département des ressources humaines d’une entreprise technologique américaine basée à Londres. L’année d’après, j’ai sauté le pas pour créer ma propre entreprise.
“ J’ai appris à négocier, monter mes tarifs, émettre des factures, réclamer des paiements… "
Si la création d’entreprise n’est certainement pas la panacée pour tout le monde, elle a été pour moi un douloureux mais néanmoins fructueux parcours d’apprentissage sur le sujet de l’argent. J’ai appris à négocier, monter mes tarifs, émettre des factures, réclamer des paiements, parler de « chiffre d’affaires », recourir aux services d’un comptable… et simplement parler d’argent et oser dire que j’en veux. La plus grande leçon de ces 7 années en tant que “cheffe d’entreprise” aura été celle-ci : il est possible de bien gagner sa vie ET faire des choses intéressantes. D’ailleurs souvent, mes missions les mieux rémunérées sont aussi les plus stimulantes.
La flexibilité et l’autonomie ne sont pas des choses qui doivent forcément se payer par un sacrifice de revenus. Elles permettent au contraire de mieux travailler pour avoir plus de revenus ! Libérée de l’obligation de présence sur des horaires de bureau, je perds moins de temps à faire seulement acte de présence pour m’atteler plutôt à des tâches utiles et/ou rémunératrices.
Je suis convaincue que les transformations du travail de bureau que l’on observe depuis le début de la pandémie amèneront davantage de personnes en reconversion à ne plus sacrifier leurs revenus pour une meilleure maîtrise de leur emploi du temps. Puisque le télétravail et la flexibilité deviennent la norme pour davantage de salariés, j’espère que cela permettra à plus de femmes de se reconvertir sans se dire qu’il faut forcément accepter de gagner moins !
Illustration : Merci à Marie Lemaistre et Fllow