Certes, ce phénomène physiologique et naturel de la vie des femmes commence à faire parler dans les médias : podcasts, documentaires et livres s’emparent du sujet. A l’instar du roman graphique publié le 6 septembre par Bayard Graphic’ Moi, je veux être une sorcière, qui met en lumière les difficultés quotidiennes d’une femme confrontée à la ménopause.
Autorité, confiance en soi, émancipation… À 35 ans, j’imagine la cinquantaine -et donc la fin des règles- comme l’âge de la liberté. Mais mes recherches m’ont révélé une réalité bien différente. Les femmes que j’ai interrogées m’ont surtout parlé des jugements négatifs, de la peur de perdre leur place au travail et du sentiment de devenir vulnérables.
Ni burn-out, ni dépression
Bouffées de chaleur, palpitations, troubles du sommeil, prise de poids, sueurs nocturnes, sécheresse vaginale, maux de tête, fourmillements… la liste des symptômes est longue. «On en compte 34 au total», détaille Sophie Kune, créatrice du compte Instagram @menopause.stories qui rassemble près de 20 000 abonnés. «Les plus handicapants sont les pertes de mémoire et le brouillard cérébral qu’on évoque rarement.» De quoi déstabiliser durablement l’activité professionnelle des femmes, d’autant que certains symptômes comme les bouffées de chaleur durent en moyenne sept ans et demi !
C’est ce qu’indique un rapport du Sénat publié en juin dernier et consacré à La santé des femmes au travail. On y apprend que 87% des femmes entre 50 et 65 ans sont affectées par au moins un symptôme de la ménopause, selon une étude du GEMVI publiée en 2022 dans Maturitas, le journal de la société européenne de ménopause. Et un quart d’entre elles souffrent de symptômes graves.
«Par méconnaissance du sujet, certaines pensent être en burn-out ou en dépression. Elles ont du mal à gérer leur carrière au moment où elles sont le plus vulnérables», décrypte Sophie Kune. Les effets? Perte de confiance, mise en retrait, arrêts maladies en cascade, voire démission. Selon un sondage mené par la mutuelle Alan en mai 2021 (avec Harris Interactive auprès de plus de 3000 actifs et femmes ménopausées), 10% des femmes se disent freinées dans leur ambition professionnelle à cause de la ménopause. Conséquence : à partir de 50 ans, les femmes s’effacent progressivement dans l’entreprise ou préfèrent la quitter et se lancer en free-lance.
Mais il n’est pas toujours facile de se faire discrète, comme le soulignent les autrices Marie Pavlenko et Joséphine Onteniente de Moi, je veux être une sorcière. Au fil de leur récit, elles évoquent les moments de malaise que la ménopause peut susciter, notamment sur les lieux de travail. «Je deviens écarlate du cou au front et je me mets à transpirer, donc difficile de passer inaperçue», raconte ainsi l’un des personnages, une prof de lycée qui dit « se consumer de l’intérieur » devant ses élèves.
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Un secret trop bien gardé
La question est plus épineuse qu’il n’y paraît. Certes, les entreprises font la sourde oreille et les femmes, elles-mêmes, ont tendance à entretenir l’omerta. A 50 ans, elles subissent déjà de plein fouet l’âgisme. Affublées dès 45 ans de l’étiquette «senior» (comme leurs collègues masculins), elles redoutent d’en rajouter une couche à un moment charnière de leur parcours. Une femme sur quatre seulement ose parler de sa ménopause au travail, selon l’étude de la mutuelle Alan. Claire Flury, animatrice du podcast Plaff (Place aux femmes fortes) explique : «Les femmes au travail à plus de 50 ans souffrent d’être mises au rebut parce qu’on considère qu’elles sont vieilles ou ringardes.» Elles ont également peur d’être réduites (encore une fois) à leurs hormones et aux fameuses bouffées de chaleur qui suscitent trop souvent les railleries des collègues.
Contactée par une grande entreprise du CAC40 pour organiser une conférence sur la ménopause, Sophie Dancourt, journaliste et fondatrice du média J’ai piscine avec Simone, se souvient des réactions que sa prise de parole avait suscitées dans la salle. «A la sortie, beaucoup de femmes sont venues me voir pour me dire qu’il ne fallait pas en parler. Que c’était trop intime, trop stigmatisant», se souvient-elle.
C’est dommage car ce tabou pénalise les femmes. Ariane Pardé, fondatrice de Méno Rebelle, organise des sessions en entreprise autour de la ménopause. Elle est toujours surprise par les questions d’ordre purement médical posées par les participantes. «Je précise systématiquement que je ne suis pas médecin tout en essayant de diffuser un maximum d’informations.» Manque de formation des praticiens, réticence des patientes à aller consulter… Les raisons sont multiples qui concourent à l’omerta.
Selon elle, si les entreprises rechignent aussi à jouer leur rôle c’est parce que «le sujet est jugé potentiellement discriminant pour les hommes qui se retrouveraient mis à l’écart de certaines initiatives.» Pourtant, l’andropause existe également – elle se caractérise par une baisse de la production de testostérone – mais elle n’est en rien comparable au tsunami hormonal que subissent certaines femmes à la ménopause. |
Quand on ose en parler en entreprise
Aymeric Vincent, directeur de la transformation et de l’innovation RH au Groupe Les Echos–Le Parisien, a aussi affronté des réserves lorsqu’il a décidé d’organiser en avril 2022 une conférence en ligne avec Cécile Charlap, autrice de La fabrique de la ménopause (CNRS Editions, 2019). Fasciné par la lecture de l’ouvrage, il décide d’inviter la sociologue à parler de « la ménopause à travers les âges ». L’annonce de l’événement étonne au sein des équipes. Le directeur a pourtant pris soin de ne pas aborder la question sous un angle trop médical afin de ne pas « heurter la sensibilité des uns et des autres ». Si la majorité des salariés ont salué l’audace du projet, certaines femmes redoutaient d’être enfermées dans le sujet, d’autres ont même hésité à s’inscrire, de peur d’envoyer un signal à leurs proches collaborateurs.
Selon Sophie Kune, c’est pourtant un sujet qu’il faudrait aborder avec les salariées dès leur entrée dans la quarantaine. «Un bilan de compétences serait assez judicieux car la rupture hormonale a des répercussions physiques», souligne-t-elle. Assistantes maternelles, aides-soignantes, caissières, femmes de ménage… L’ostéoporose, dont le risque s’accroît avec la ménopause, rend ainsi ces professions, où il faut porter des charges lourdes ou rester longtemps debout, dangereuses pour la santé des femmes.
«En France, nous en sommes encore à un stade d’acculturation, observe Fatoumata Ly, cofondatrice de la start-up Ninti qui propose aux entreprises des ateliers sur la santé reproductive. La demande porte avant tout sur la parentalité et sur l’accompagnement des parcours de PMA, pas sur la ménopause.»
Et même quand elles ont lieu, les conférences en la matière débouchent rarement sur la mise en place de politiques dédiées. Comme l’atteste Sophie Dancourt : «Certaines entreprises me demandent des formations au dernier moment pour cocher des cases mais elles se fichent totalement du contenu.» Une différence entre les valeurs affichées et les valeurs vécues qui coûte cher aux femmes… et aux employeurs.
Une politique “menopause friendly” rentable
«Une femme arrivée à la cinquantaine qui a dépassé tous les problèmes liés au fait d’être mère puis d’être ménopausée est hyper résiliente. Au lieu de la mettre sur une voie de garage, je miserais dessus», assure Stéphanie Carpentier, docteure en management des ressources humaines, spécialiste de la santé au travail, enseignante et fondatrice de l’entreprise de conseil DR.RH&CO. Alors qu’elles sont au sommet de leur expertise et de leurs compétences, leur départ représente une perte sèche pour les entreprises.
En Allemagne et en Angleterre, ces dernières ont déjà compris qu’une politique « menopause friendly » est dans leur intérêt. En France, cela reste un boulet de plus à gérer pour les services de ressources humaines. «Outre-Rhin, l’âge de départ à la retraite est de 67 ans. La question est de savoir comment garder les femmes de plus de 50 ans en bonne santé, le plus longtemps possible», analyse Fatoumata Ly.
Cafés ménopause, ateliers de sensibilisation, fiches pratiques à destination du personnel et formation des managers… là-bas les initiatives se multiplient. En Angleterre, pays pionnier en la matière, la chaîne de télévision Channel 4 est passée à la vitesse supérieure. Elle propose des horaires de travail flexibles, des congés payés en cas de symptômes invalidants, l’accès à un espace privé frais et calme ou encore une évaluation de l’environnement de travail pour s’assurer qu’il ne contribue pas à l’aggravation des symptômes. Surtout, les personnels d’encadrement sont tous formés à la question, un vrai soulagement pour les principales concernées. «Si votre manager a 35 ans et que vous en avez 50, vous n’allez pas lui faire le détail de vos bouffées de chaleurs», remarque Ariane Pardé.
Un indicateur de la qualité de vie au travail
Avec le recul de l’âge légal de la retraite à 64 ans et le vieillissement de la population (en 2050, une Française sur deux sera ménopausée), les entreprises tricolores n’auront bientôt plus le choix. Dans son rapport, le Sénat s’est largement inspiré du modèle anglais pour élaborer sa liste de recommandations : flexibilité des horaires et recours possible au télétravail, contrôle de la température des locaux et ventilation adaptée, accès facilité à l’eau fraîche ainsi qu’à des vestiaires et des sanitaires privatifs en toutes circonstances, ou encore souplesse pour les codes vestimentaires et les uniformes en utilisant des tissus thermiquement confortables.
Des solutions de bon sens, qui représentent aussi une opportunité à saisir. Car comme le défend Stéphanie Carpentier : «La ménopause est au carrefour de toutes les politiques que les entreprises doivent mener. Cela touche à l’âge, au sexe, au handicap et aux risques psycho-sociaux. Plutôt que de le considérer comme un sujet supplémentaire, il faut le voir comme un standard pour faire monter en compétences tous les maillons de la chaîne.»
À l’avenir, la ménopause pourrait même devenir un indicateur de performance afin d’évaluer la qualité de vie au travail. «C’est à la manière dont une entreprise traite ses salariées ménopausées qu’on peut juger du respect qu’elle témoigne à l’ensemble de ses collaborateurs», tranche l’experte Stéphanie Carpentier. Alors, mesdames, messieurs, on y va ? On en parle et on agit ?
Illustration : un grand merci à Laurence Bentz et l’agence Virginie