Aujourd’hui, je vais vous parler d’amour ! Quand je me plonge dans le sujet des aidants, même dans ses aspects les plus pratiques, je m’aperçois vite qu’il s’agit avant tout de cela. C’est le fil rouge derrière chaque relation d’aide. Et c’est ce même fil qui permet de prendre soin de l’autre, de mener de front et devoir concilier vie professionnelle, vie personnelle et vie d’aidant, et souvent de déplacer des montagnes. Mais l’amour, c’est aussi un filtre qui empêche de prendre conscience de sa situation. Les aidants s’occupent de leur parent, enfant ou conjoint par amour. Quoi de plus normal ? C’est « naturel ».
Voilà comment « 6 salariés aidants sur 10 ne se reconnaissent pas comme aidant », témoigne Christine Lamidel, aidante et fondatrice de Tilia, une application qui accompagne ceux qui aident. Et ils sont nombreux : 1 salarié sur 10 est proche aidant (et en 2030, ce sera 1 actif sur 4).
Réaliser qu’on est aidant permet d’y faire face plus sereinement
Lorsque l’on travaille et que l’on endosse ce statut supplémentaire, il est primordial d’en prendre conscience. C’est le tout premier point, aussi basique puisse-t-il paraître, pour réussir à concilier toutes ses vies. Etre aidant a des impacts dans sa vie professionnelle et le réaliser permet d’y faire face plus sereinement. Les aidants sont en effet confrontés à de nombreuses tâches comme trouver un établissement pour un parent/un enfant, contacter des personnes ou lieux dont le standard est ouvert uniquement aux heures de bureau… Cela demande une organisation particulière. D’où l’importance de reconnaître son statut d’aidant… et d’en faire part à son employeur !
Parler de sa vie privée est un frein
En effet, une fois ce statut conscientisé, reste encore à l’aidant la charge de le dire à son entreprise, pour pouvoir, lui aussi, obtenir de l’aide. Car c’est bien de cela dont il s’agit : trouver les ressorts pour assurer au bureau comme dans sa vie personnelle. Mais là encore, l’amour que l’on porte à un proche en difficulté est de l’ordre de l’intime… Et, faire part de son intimité n’est pas chose aisée. Voilà sans doute une des raisons pour lesquelles seuls 26% des salariés aidants ont informé leur employeur de leur situation, indique l’Observatoire OCIRP dans son étude en 2021.
Faire part de son intimité peut être un frein mais ce n’est pas le seul. La crainte du regard de l’autre compte pour beaucoup. « J’avais peur d’être mal vue », se souvient Sigrid Jaud, co-fondatrice de Les Aidantes & Co. Difficile pour elle à l’époque de parler de sa situation d’aidante à son employeur. Car elle l’avoue, elle a peur d’être mise au placard : « Je voulais qu’on continue à me donner les bons dossiers, donc je ne disais rien ». Une forme de “honte” que partagent de nombreux aidants puisque 48% d’entre eux ont le sentiment de pouvoir perdre leur emploi, selon la même étude de l’OCIRP. A la charge mentale déjà bien dense, s’ajoute donc cette charge émotionnelle. C’est la “double peine” pour les aidants qui les pousse au silence.
Mais, comment bénéficier soi-même d’aide lorsque l’on tait son statut ? C’est mission impossible. Il est donc essentiel de nouer un dialogue avec l’entreprise. Pour cela, le premier conseil de Sigrid Jaud est d’identifier une personne de confiance pour être accompagné sur le sujet. Cela peut être un collègue lui-même aidant, un manager, un membre des RH…etc.
Échanger, poser des questions, voir comment les choses peuvent s’organiser et si l’entreprise a déjà mis en place des dispositifs pour les salariés aidants. Si le fait de parler de sa vie privée est un frein, Sigrid Jaud insiste en expliquant que « vous n’êtes pas obligé de tout dire, ni de rentrer dans les détails ». Son conseil ? Faire le point et formuler un besoin clair. Avez-vous besoin de partir à 17h ? De passer à un temps partiel ? Une fois le besoin clairement défini, il est plus facile d’engager le dialogue et de trouver la meilleure organisation pour tout le monde.
On peut demander des horaires individualisés
S’organiser, c’est le maître-mot quand on est aidant. Et ça passe forcément par la communication avec son entourage professionnel (mais pas que). C’est la clé pour pouvoir mener de front vie professionnelle et vie d’aidant. « Exprimez par exemple le fait que vous avez besoin de vous isoler 15 minutes pour un appel, pour vous libérer l’esprit, afin d’être 100% disponible et dédié à vos tâches ensuite », conseille Sigrid Jaud. « Il est utile d’être transparent sur vos activités d’aidant d’une part, et de rassurer votre employeur sur le fait que vous effectuez bien votre travail d’autre part. Je propose par exemple de prévoir des points d’étapes réguliers avec son manager pour montrer l’avancement des dossiers », poursuit-elle.
L’aidant s’organise et l’entreprise peut tout à fait aménager son temps de travail pour lui permettre de tout concilier. Julia Peyre, avocate associée chez Squair en droit des salariés aidants, rappelle que l’on peut demander des horaires individualisés. Le principe ? Le salarié aidant effectue le même nombre d’heures que d’habitude et planifie son agenda en fonction de ses impératifs. Cela donne souvent lieu à un travail en horaires décalés (10h > 18h par exemple).
Sans s’en apercevoir, l’aidant développe des compétences supplémentaires : organisation, cadrage, communication, anticipation… En effet, pour assurer tant dans sa vie professionnelle que dans sa vie personnelle, l’anticipation est de mise. Car ce qui manque bien souvent à l’aidant, c’est le temps : 81% des salariés aidants ont le sentiment de manquer de temps dans leur vie.
Pour répondre à ce type de problématique, l’aidant peut utiliser l’application Tilia de Christine Lamidel et ainsi accéder aux dernières informations de l’aidance et à un réseau de conseillers sociaux qui établissent un bilan personnalisé des besoins du proche. Tilia aide à remplir des dossiers, à trouver des structures ou des intervenants. C’est un véritable relais qui permet à l’aidant de gagner du temps.
Beaucoup d’entreprises ne maîtrisent pas encore les droits des salariés aidants
Parfois, l’aidant a besoin de jours supplémentaires pour son proche. Mais il a épuisé tous ses congés. Pourtant il existe le don de jours de repos. Pensez-y ! Pour pouvoir en bénéficier, il faut que l’entreprise ait mis ce système en place. C’est facile à déployer. Soufflez-le à l’oreille des RH si ce n’est pas déjà fait. « Beaucoup d’entreprises ne maîtrisent pas encore les droits des salariés aidants », explique Julia Peyre. Pourtant, il existe des congés et des dispositions qui peuvent grandement soutenir les aidants :
Le congé de proche aidant
Il s’agit d’un congé destiné à tous les aidants : aux parents, comme aux conjoints, ou aux enfants qui aident leurs parents vieillissants. Il donne droit à 66 jours, fractionnables, ce qui permet de prendre un temps partiel ou quelques journées pour accompagner son proche à des rendez-vous médicaux par exemple. Depuis janvier 2022, il est indemnisé à hauteur du Smic. Toutefois, pour en bénéficier, le proche doit avoir un taux d’incapacité égal ou supérieur à 80%.
Le congé de présence parentale
Il s’adresse aux parents d’un enfant en situation de handicap, gravement malade ou accidenté. Il donne droit à 310 jours de congés (soit 14 mois sur une période de 3 ans), renouvelable au bout de trois ans, en cas de rechute ou de récidive.
Le congé de solidarité familiale
Il concerne spécifiquement les salariés aidant un proche en fin de vie. Sa durée est de 3 mois maximum (renouvelable une fois), et il peut être pris de façon continue ou transformé en temps partiel.
Ces dispositifs existent mais sont souvent méconnus des aidants comme des entreprises. Pourtant, ils peuvent jouer un grand rôle dans la capacité des aidants à tout mener de front.
Car ce qui se joue aussi, outre l’amour entre l’aidant et son proche, c’est l’amour de son travail et la volonté de bien le faire. Voilà pourquoi il est important de connaître ces dispositifs, de trouver de l’aide et de l’accepter.
Je vous avais bien dit qu’on parlerait d’amour !
Illustration : un grand merci à Rokovoko