Le ras-le-bol, un sacré déclencheur
L’épanouissement, c’est le mot-clé dans le monde du travail qu’on pensait réservé aux générations Y et Z. Mais à 50 ans aussi, on a encore envie de s’épanouir dans sa vie professionnelle. Seul hic, la société ne le voit pas toujours de cet œil. Le jeunisme est omniprésent et l’employabilité décline dès 45 ans. Frédérique Cintrat explique même que « les femmes doivent faire face à un double plafond de verre : celui de l’âge et celui du genre ». Qu’à cela ne tienne, certaines femmes ont décidé de braver ce double plafond pour lancer leur boîte !
D’ailleurs 41% des femmes entre 45 et 69 ans veulent entreprendre pour s’épanouir : « Elles en ont marre de subir leur métier, marre de leur hiérarchie, marre des clients… » explique Kim Salmon, directrice de What’s up Camille, incubateur qui accompagne les entrepreneurs de plus de 50 ans. C’est l’une des raisons qui les pousse à entreprendre.
Pour d’autres, c’est le burn-out. Julie, 50 ans, fondatrice de Lily and the wood (restauration de meubles), l’exprime très bien : « À 48 ans, j’ai fait un burn-out et j’ai tout remis à plat : mes compétences, mes envies, ce que je voulais, ce que je ne voulais plus… » Julie se recentre sur l’essentiel et revient à ce qu’elle a toujours aimé : la déco, les meubles. « J’ai passé 28 ans dans la pub et je me suis demandé ce que je faisais vraiment. J’avais l’impression de vendre du vent… Alors qu’en réalité, moi, j’aime créer, mettre mes mains dans le cambouis… ». Elle se renseigne sur les métiers liés au bois, suit des ateliers sur la reconnaissance des essences, apprend à manier quelques machines et se lance ! Pas de bilan de compétences, pas de retour sur les bancs de l’école mais une certitude : être indépendante, s’organiser comme elle le souhaite, et faire par elle-même. Le puzzle se met en place peu à peu. Ses envies alliées à son goût pour la déco la poussent à envisager une carrière dans l’artisanat. Un tour aux encombrants, un autre chez Emmaüs, un coup de cœur pour des meubles et c’est parti ! Elle ouvre son compte Instagram en mars 2023 et vend ses premiers meubles relookés en juin. « Là, c’est une explosion de joie ! » s’exclame-t-elle.
L'horloge du temps, parfois, libère
Ce qui pousse aussi Julie à se lancer à 50 ans, c’est la peur d’avoir des regrets. « J’ai 50 ans et mon champ des possibles est encore très vaste ! Charge à moi d’en faire ce que je veux. Je préfère foncer et avoir des remords plutôt que des regrets. »
C’est aussi ce que pense Sylvie, 56 ans, qui a repris 2 sociétés (GBO Human Ressources et Eurorekruter) dans le conseil en recrutement multiculturel : « J’avais en moi cette envie d’entreprendre depuis des années et je me suis dit que si je ne le faisais pas, je le regretterais toute ma vie. » Alors, à 55 ans et après 33 années de salariat dans un grand groupe international à occuper plusieurs postes, Sylvie démissionne et cherche une société à reprendre. Entreprendre à son âge ? La question ne se pose même pas. « Avant la retraite, j’ai encore beaucoup de temps. Je n’ai pas envie de passer 10 ans à me tourner les pouces ou à faire un métier que je n’aime pas », assène-t-elle.
Quand repartir de zéro est trop dur…
« En revanche, je ne voulais pas créer une entreprise, partir de zéro. C’est pour cela que j’ai cherché une boîte à reprendre. Je voulais avoir une structure avec une histoire, des clients, des salariés… ». En discutant avec son entourage, Sylvie est orientée vers le CRA (Cédants et Repreneurs d’Affaires), une association qui accompagne les repreneurs et les cédants dans leur projet de reprise ou cession. Une formation de trois semaines lui permet d’être suffisamment outillée pour diagnostiquer une entreprise. C’est à l’issue de cette formation et après avoir rencontré plusieurs sociétés, qu’elle trouve sa pépite. On l’oublie souvent, mais entreprendre ce n’est pas uniquement créer une société. C’est aussi en reprendre une. Ou se lancer en franchise, une formule qui séduit largement les femmes de plus de 45 ans, d’après les derniers chiffres du Baromètre de la franchise au féminin, publiés ce 1er février. Et pour ça non plus, il n’y a pas d’âge.
Qui veut financer un projet de senior ?
Kim Salmon me le répète plusieurs fois lors de notre échange : « La société est tellement dure avec les seniors ! » et de compléter : « Soit ils sont considérés comme « out », soit « trop chers », soit « dépassés par la technologie »… Mais c’est faux ! C’est une minorité dont on parle, là », s’agace-t-elle. Cependant, même si 71% des 45-69 ans considèrent ne pas être trop âgés pour entreprendre, les banques ne l’entendent pas toujours de cette oreille. « Les seniors peuvent rencontrer des difficultés pour financer leur projet. Les femmes vont s’entendre dire qu’elles sont trop vieilles, qu’elles partent bientôt à la retraite… et qu’il est donc inutile de débloquer des fonds pour leur projet », constate Kim.
Heureusement, Sylvie n’a pas eu ce problème : « Je n’ai rencontré aucun frein dans ma reprise ! Même la banque m’a suivie. Bien sûr, j’ai eu des refus… mais c’est le jeu. Jusqu’à ce que l’une d’entre elles accepte. Je précise qu’il me fallait tout de même un certain apport personnel et des garanties. Sans cela, je n’aurais pas eu de prêt. »
Les quinquas ont d'incroyables talents
Malgré le jeunisme ambiant et les stéréotypes chevillés au corps de la société, Julie et Sylvie ont réussi à entreprendre et à braver tous les obstacles. Sans compter qu’entreprendre à 50 ans comporte aussi des avantages. « On a une expérience très riche. On a appris beaucoup tout au long de notre parcours professionnel. On peut donc mettre au service de notre entreprise toute cette expérience, et moi ça me rend beaucoup plus sereine », témoigne Sylvie.
« Je suis moins inconsciente des risques également, même s’il en faut une petite dose pour entreprendre », s’amuse-t-elle.
Julie, quant à elle, voit bien la différence entre 40 ans et 50 ans. « À 42 ans, dans une période de chômage, ma conseillère Pôle Emploi m’a recommandé de lancer ma boîte. Mais il en était hors de question ! Je n’étais pas prête. Aujourd’hui, j’ai moins peur, je prends plus de recul et je fonce. Car je me connais mieux. J’ai donc créé une entreprise qui me ressemble à 200%, qui se nourrit de tout ce que j’ai fait et qui incarne mes valeurs. »
Kim ajoute au sujet de ces entrepreneuses quinquas : « En plus de leur maturité indéniable, la maternité est derrière elles. » Une donnée qui n’a l’air de rien mais qui compte pour beaucoup. En effet, la charge mentale est moins lourde qu’avec des tout-petits, elles peuvent donc pleinement se consacrer à un nouveau projet.
Ferez-vous partie des 90 000 ?
Alors si vous voulez vous lancer, ne regardez pas votre âge. Regardez votre envie ! Chaque année, selon l’Agence France Entrepreneurs, 90 000 seniors franchissent le cap de la création d’entreprise. Pourquoi pas vous ?
Pour être dans les meilleures conditions, Kim, Julie et Sylvie vous recommandent de vous faire accompagner. Sylvie explique : « Être dans un réseau permet de garder un certain rythme et de se créer des repères. Sans compter évidemment l’apport exceptionnel des experts que l’on rencontre. » Quant à Kim, elle le voit tous les jours : « L’accompagnement permet d’éviter la solitude du dirigeant. »
Autre conseil, et pas des moindres, celui de Sylvie qui insiste sur le fait de mesurer les risques : « Bien sûr, il faut un minimum de goût pour le risque, mais ne vendez pas tout, ne quittez pas tout pour entreprendre. Veillez à ce que le projet d’entreprise ne déséquilibre pas complètement la vie menée auparavant. »
Vous hésitez à entreprendre ? Creusez le sujet, investiguez, rencontrez des gens qui exercent le métier que vous envisagez, interrogez ceux qui sont passés par une reconversion. Et si votre envie est toujours présente, alors “lancez-vous”, comme dirait Kim. « On a tellement besoin de rôles modèles dans ce domaine ! »