Pourquoi le plan d'investissement France 2030 oublie les femmes
Quel âge aurez-vous en 2030 : 50, 55, 60 ans ? Peu importe finalement. Il y a de fortes chances que vous soyez encore en activité, par choix ou par nécessité. Mais dans quelle activité, telle est la question ! Voilà deux semaines, Emmanuel Macron a dessiné la France de 2030 : un pays à la pointe des technologies d’avenir, dans l’énergie, l’automobile, l’aéronautique, la santé. Pas moins de 30 milliards d’euros devraient y être consacrés dans les cinq prochaines années. C’est beaucoup, beaucoup d’argent, pour (re)développer des industries prometteuses et pour adapter l’emploi. Dix secteurs prioritaires ont été identifiés : le nucléaire, l’hydrogène vert, la voiture électrique, l’avion bas carbone, l’agriculture, les biomédicaments, les industries culturelles et créatives, l’espace et les grands fonds marins.
L’objectif est clair : maintenir la France dans la compétition internationale sur des secteurs clés pour l’économie mais aussi inventer les outils et objets de notre mode de vie futur, dans un monde contraint par le réchauffement climatique, la mondialisation et la digitalisation. On parle donc des technologies que nous utiliserons demain pour nous chauffer, nous déplacer, nous soigner, nous nourrir ou encore nous distraire.
Quelle est la place des femmes dans l'industrie?
Le hic, c’est qu’il s’agit de secteurs majoritairement masculins. Les femmes ne représentent que 28% des effectifs totaux de l’industrie – et seulement 24% chez les ingénieurs. Les études montrent qu’elles sont davantage présentes dans les sciences de la vie, la chimie et l’environnement que dans les sciences dures, l’électronique, la mécanique, la physique ou le numérique. Résultat : ces sommes colossales vont alimenter des développements pensés et réalisés avant tout par des hommes. «C’est bien d’allouer de l’argent, mais il faut qu’il profite à tous», relève Aline Aubertin, présidente de Femmes Ingénieures.
La question avait déjà été soulevée lors des plans de relance mis en œuvre après la crise sanitaire : le Women’s Forum avait ainsi plaidé pour une « she-covery », une relance féministe, et a de nouveau formulé 10 propositions en ce sens pour le sommet du G20 qui se tient en Italie fin octobre. En février 2020, juste avant la crise sanitaire, sa présidente d’alors, Chiara Corazza, alertait déjà sur la sous-représentation des femmes dans les sciences, technologies, ingénierie et mathématique.
Le tiercé nucléaire-automobile-aéronautique (on pourrait y ajouter l’espace) n’est guère favorable aux femmes qui y représentent en moyenne moins d’un quart des effectifs. Même constat dans le numérique. Dans l’intelligence artificielle, le déséquilibre est encore plus criant: 12% de salariées seulement, d’après le Laboratoire de l’Egalité.
Il y a les secteurs qu’on privilégie et il y a aussi la façon dont on distribue l’argent : qui décide des grandes orientations, qui conçoit les appels d’offre, quelle est la composition des jurys qui les examinent, etc.
Comment faire pour que les femmes profitent aussi de cet argent ?
Dès lors, comment faire pour que les femmes profitent aussi de cet argent consacré à la réindustrialisation? Pour que les sommes dépensées leur ouvrent autant de perspectives qu’aux hommes, en termes d’emploi, mais également d’usage ? Ces industries vont en effet développer des produits et services innovants, dont on aimerait qu’ils répondent aux besoins ou aux aspirations des femmes autant qu’à ceux des hommes…
Je vois au moins trois raisons de ne pas désespérer.
Parmi les dix secteurs visés, il en est un où les femmes sont majoritaires : la santé. En 2019, elles représentaient 57% des salariés de l’industrie du médicament. Certes, elles se heurtent aussi au plafond de verre dans ce secteur, puisqu’elles ne sont que 25% parmi les cadres supérieurs siégeant dans les instances de direction. Et 17% parmi les patrons de sociétés de biotechnologie. Il n’empêche, voilà un secteur investi par les femmes, et notamment les femmes ingénieures. Rappelons que 7 milliards d’euros seront consacrés à la santé dans le plan France 2030 (la somme avait d’ailleurs été annoncée dès juillet).
Dans d’autres secteurs comme l’énergie, la transition vers les énergies renouvelables pourrait permettre de changer la donne, car celles-ci nécessitent des compétences plus diversifiées. Les femmes y représentent déjà près du tiers des effectifs (contre 22% dans le pétrole et le gaz), selon une étude récente.
Autre motif d’espoir, dans la mise en œuvre de ce plan, un nouveau levier pourrait faire son apparition. Cela s’appelle l’éga-conditionnalité : un principe défendu depuis plusieurs années par le Haut conseil à l’égalité femmes-hommes. Il s’agit de subordonner la distribution d’argent public au respect de l’égalité femmes-hommes ou à la mise en place d’actions favorisant cette égalité.
Un premier pas devrait être franchi en ce sens grâce à la proposition de loi de Marie-Pierre Rixain, votée à l’Assemblée nationale en mars dernier, et discutée au Sénat cette semaine. Celle-ci prévoit notamment que la BPI (Banque publique d’investissement, qui soutient des projets d’entreprise) doit rechercher «une représentation équilibrée des femmes et des hommes parmi les bénéficiaires de ses actions, et au sein des comités de sélection des projets». Le texte précise que dans ces comités, la proportion des membres de chaque sexe ne pourra être inférieure à 30%. Sauf que le Sénat est en train de vider le dispositif de sa substance, déclenchant à juste titre l’ire des réseaux féminins.
Enfin, le plan présenté par Emmanuel Macron doit aussi prendre en charge l’adaptation des emplois. Or 85% des métiers de 2030 n’existent pas encore, selon une étude Dell-l’Institut du futur, publiée il y a quatre ans. Cela signifie que, jeunes ou moins jeunes, il sera possible de se former et d’investir de nouvelles compétences, notamment numériques (dans dix ans, 9 emplois sur 10 nécessiteront des compétences numériques, selon le Forum économique mondial).
A condition de se départir de vieux clichés… D’après un baromètre international élaboré par le Women’s Forum, 4 femmes sur 10 considèrent en effet que le cerveau des hommes et des femmes est différent, et que les hommes ont l’esprit plus « scientifique ». Pourtant, la moitié des diplômés d’un bac scientifique en France sont aujourd’hui des jeunes filles, rappelait en 2019 l’association Elles Bougent ! Et il n’y a pas d’âge pour se mettre aux métiers de demain, comme peuvent en témoigner les femmes qui suivent des formations d’avenir. Elles nous montrent le chemin !
Illustration : un grand merci à Rokovoko