« Les femmes ont tendance à limiter leurs choix, et cela doit changer »
Au moment de réfléchir à un projet, le premier réflexe de la plupart d’entre elles est alors de cibler des activités qu’elles identifient comme « naturelles » et qui correspondent aux clichés, des missions auprès d’enfants ou de personnes âgées, dans des fonctions administratives ou dans la vente, l’habillement ou l’esthétique. Les chiffres de l’Insee le confirment : les femmes ont tendance à limiter leurs choix, et cela doit changer. La moitié des femmes actives françaises se concentre dans seulement une douzaine de secteurs sur les 87 familles professionnelles existantes : sanitaire et social, services aux particuliers (assistantes maternelles, aides ménagères), postes administratifs (secrétaires, employés administratifs, comptables) et commerce. Des métiers souvent plus précaires ou à temps partiel, moins qualifiés, donc moins reconnus et bien moins rémunérés que ceux de l’industrie vers lesquels les hommes s’orientent en masse. En outre, 70 % des femmes exercent des métiers dans lesquels elles représentent au moins 65 % des effectifs, souligne le ministère du Travail (données 2013-2016).
« J’ai vu des femmes passer en quelques semaines de projets en vente ou secrétariat à ceux d’ajusteuse ou de peintre »
Difficile de faire autrement quand dès l’enfance, à travers les jouets, les livres, les médias, l’école, l’éducation ou la culture induisent que les filles sont programmées pour s’occuper des autres, que la force physique est l’apanage des hommes, affirmation complètement erronée puisque les femmes exercent depuis toujours des métiers particulièrement physiques comme ceux de l’aide aux personnes ou de l’agroalimentaire. Sur un simple constat statistique, le raccourci « métiers d’hommes » qu’utilise volontiers la presse sous-entend aussi que seuls ces derniers sont capables de les exercer. Comment les femmes peuvent-elles se sentir légitimes dans ce cas ? Il est temps de l’affirmer, un métier n’a pas de sexe ! Dans ces conditions, assignées à leurs prétendues capacités et à leur rôle spécifique, les femmes osent rarement s’orienter vers un métier manuel ou technique. Et pourtant, dans les sessions que j’ai animées, j’ai vu des femmes passer en quelques semaines de projets en vente ou secrétariat à ceux d’ajusteuse ou de peintre en bâtiment, se former, s’insérer puis mener de belles carrières. C’est pourquoi, pour celles qui aspirent à une reconversion, le premier objectif doit être de se tourner vers des démarches d’élargissement des choix professionnels. Ces prestations ont pour objectif de les aider à dépasser leurs préjugés et résistances afin de découvrir des perspectives qu’elles n’avaient pas imaginées, et d’explorer plus librement les possibles.
« Véronique, ex-opticienne devenue ébéniste, a repris des études à l’École Boulle à plus de 40 ans »
Des tas d’exemples montrent que sortir des sentiers battus peut porter ses fruits. Cette ambition a permis à Myriam Boubram de décrocher le titre de « Meilleure ouvrière de France » en 2018 dans la catégorie soudure. Une première. Cette Girondine, qui s’ennuyait dans son ancienne profession de coiffeuse, a décidé de réaliser son rêve, celui de « fabriquer et créer », contre la volonté de sa famille réticente car inquiète vis-à-vis d’un métier encore dévalorisé aujourd’hui.
Quant à Véronique, ex-opticienne devenue ébéniste, elle a repris des études à l’École Boulle à plus de 40 ans et a effectué plusieurs stages chez des restaurateurs de meubles afin de s’assurer de la pertinence de son choix, et se former jusqu’à créer son atelier au Pré-Saint-Gervais (93). Des pistes porteuses d’emploi puisque nombre de postes de soudeur(se) sont à pourvoir dans l’industrie selon le président de l’Institut de soudure, un groupe expert en la matière, et que dans l’artisanat, il y a pléthore de places à prendre pour de futures salariées ou créatrices d’entreprises.
« Divers secteurs offrent des débouchés en masse que les femmes, par crainte ou méconnaissance, s’interdisent d’explorer »
Aujourd’hui, la part de cheffes d’entreprises artisanales des secteurs du bâtiment et de la production est respectivement de 11 et 13 %. « Les femmes représentent un vivier important de compétences, de savoir-faire et de talents recherchés par nos entreprises », note Murielle Pennetier, responsable de l’animation du réseau des Chambres de métiers et de l’artisanat. Divers secteurs offrent des débouchés en masse que les femmes, par crainte ou méconnaissance, s’interdisent d’explorer. Le bâtiment travaux public (BTP) regorge d’opportunités mais souffre d’une image ultra-masculine et d’un vrai manque de mixité. En 2020, l’Observatoire des métiers de cette branche souligne d’ailleurs que seulement 12 % des salariés sont des femmes. Elles ne représentent que 1,4 % des menuisiers et seulement 0,6 % des charpentiers.
« Il existe des sessions pour tester concrètement un métier et se glisser dans la peau d’un professionnel »
Des dispositifs d’orientation ou de découverte des métiers visent donc à bousculer les représentations. Ils s’accompagnent de phases d’immersion en milieu professionnel pour tester et éprouver la réalité d’un métier. Pour en savoir plus, vous pouvez contacter le Conseil en évolution professionnelle (CEP) de votre région, dont l’objectif est de vous aider à construire votre projet de reconversion et à explorer de nouvelles pistes : il vous informera des opportunités de ces dispositifs. Quel que soit votre statut, la prestation est gratuite. Autre piste, le réseau des Centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), qui compte 98 structures dans l’Hexagone et en Outre-mer, organise des ateliers collectifs sur la question de l’élargissement des choix professionnels et la découverte des métiers ou aiguille vers les prestataires habilités. Les femmes qui s’intéressent aux métiers de l’artisanat doivent contacter la Chambre des métiers de leur secteur afin d’échanger avec un spécialiste de la reconversion. Enfin, il existe des sessions pour tester concrètement un métier et se glisser dans la peau d’un professionnel, mises en place par des organismes comme Savoir-faire et découverte. Cette démarche coûte plusieurs centaines d’euros selon le parcours défini, qui peuvent être pris en charge via le CPF (Compte personnel de formation) ou un OPCO (organisme collecteur).
Parce que le travail favorise l’insertion sociale, l’épanouissement, l’indépendance, et qu’il s’agit d’une composante clé de notre identité, parce que les stéréotypes et les représentations freinent la mixité des métiers et secteurs et qu’ils pénalisent les femmes, bien plus souvent victimes des clichés que les hommes, il faut s’en affranchir. Chaque personne, femme ou homme, doit pouvoir être libre de choisir sa voie !
Illustration : un grand merci à Rokovoko