À 24 ans, j’ai pris mon premier job de journaliste. On m’a donné un bureau collé à celui d’un confrère expérimenté. Jean-Pierre approchait la cinquantaine. Il avait le goût de transmettre, la générosité de celui qui n’a plus rien à prouver. Il m’a ouvert son carnet d’adresses, emmenée dans des rendez-vous importants, recommandée auprès d’interlocuteurs, conseillée dans mes enquêtes, appris à gérer les sources… une attitude plutôt rare dans un métier réputé individualiste. Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai compris le rôle qu’il avait joué pour moi: Jean-Pierre avait été mon mentor.
Avoir un mentor, c'est comme un coup de foudre...
Petit rappel historique: dans la mythologie grecque, Mentor est la personne choisie par Ulysse pour assurer l’éducation de son fils Télémaque pendant qu’il part faire la guerre de Troie. Athéna, déesse de la sagesse, prend aussi les traits de Mentor pour conseiller Ulysse et son fils. Force est de constater qu’aujourd’hui les mentors sont avant tout des hommes – les femmes sont rarement sollicitées. Qu’il soit masculin ou féminin, le mentor est un accompagnateur éclairé, «quelqu’un qui vous fait bénéficier de son expérience», précise Dominique Bourgeon, ancienne cadre dirigeante d’Engie, aujourd’hui présidente de France Mentor, qui déploie ses talents de mentor depuis douze ans. Elle parle d’une relation humaine avant tout, et désintéressée.
«Avoir un mentor, c’est comme un coup de foudre, c’est quelqu’un avec qui on sent une convergence de valeurs et une confiance immédiate», résume Marlène Schiappa. L’ancienne ministre, qui a lancé l’ONG Active Women pour valoriser la réussite des femmes, doit les débuts de sa carrière en politique à Jean-Claude Boulard, aujourd’hui décédé, qui fut sénateur-maire du Mans. «Il avait presque 70 ans quand il est venu me chercher en 2014 pour sa liste aux municipales, j’avais fondé l’association Maman travaille, il m’avait repérée. J’ai été élue, il m’a nommée adjointe chargée de l’égalité et de la lutte contre les discriminations, puis il m’a poussée au conseil communautaire, il a été à la fois mon mentor et mon sponsor.»
Ces bonnes fées sur le chemin d’une carrière, on a parfois du mal à les identifier ou à les solliciter. Ou tout simplement à cultiver la relation qui un jour va se transformer en baguette magique.
L'appui des belles rencontres
Pour Christelle Rogé, aujourd’hui directrice exécutive à la BPI en charge des ressources humaines, c’est une carte de vœux qui a tout changé. Étudiante en droit, elle avait effectué deux années de suite son stage dans le même service chez Saint-Gobain Pont-à-Mousson. Cinq ans plus tard, elle repère un poste à pourvoir dans le groupe mais s’interroge sur sa localisation. Comme elle avait gardé contact avec son ancien maître de stage, en lui envoyant régulièrement ses vœux, elle se permet de lui écrire. Il se renseigne et à cette occasion apprend que la candidature de son ancienne stagiaire n’a pas passé le filtre du cabinet de recrutement – elle n’a jamais travaillé dans l’industrie. Il lui demande son CV, le transmet à ses collègues de la RH et les convainc de recevoir Christelle: elle décroche le poste. La voilà DRH d’une fonderie! «Je continue toujours à lui envoyer mes vœux», confie-t-elle dans un sourire.
«Chercher un mentor quand on est jeune dans le monde de l’entreprise, c’est indispensable, assure Isabelle Sthemer, spécialiste du réseautage. Le mentor est une personne qui a plus d’expérience que vous, il vous ouvre les yeux … et la voie. Il partage aussi les codes implicites».
“Christelle, range-moi ces Doc Martens!”
Christelle Rogé doit ainsi une fière chandelle à un autre mentor, Thierry Parmentier, alors DRH chez Technip, où quelques années plus tard elle poursuit sa carrière dans un site industriel en Normandie. Invitée à participer au séminaire RH de la boîte, elle arrive en jean, Doc Martens aux pieds. Quinze jours plus tard, son DRH lui souffle: «Avec tes Doc Martens, tu ne monteras jamais au siège à Paris!» et il lui propose un coaching d’un an pour l’aider à se développer. Christelle Rogé en est convaincue: «Ne pas avoir les codes, c’est être pénalisée.»
C’est pourquoi elle a proposé aux femmes du réseau “Elles” de BPI un programme en 3 points: savoir réagir aux comportements sexistes, savoir gérer sa voix en réunion ou présentation, et enfin maîtriser les codes vestimentaires. «Des impairs peuvent avoir un impact sur la progression de carrière» reconnaît-elle.
Dominique Bourgeon confirme: elle délivre des conseils très pratiques à ses « mentees ». «Je leur demande de me montrer comment elles entrent dans une salle de réunion, je leur dis de ne pas tourner le dos à l’audience, de ne pas venir avec trop de dossiers, de ne pas s’asseoir face au soleil qui éblouit, de marquer des temps de pause quand elles parlent.» Le mentor agit avec bienveillance mais sans complaisance.
«Il faut accepter l’aide quand on en a besoin même si cela revient à révéler une fragilité» conseille Agnès Flouquet qui pilote le nouveau programme de mentoring proposé aux alumni d’ESCP au féminin.
Depuis une quinzaine d’années, les programmes de mentorat «organisés» se sont multipliés, dans les entreprises et dans les associations. Et principalement à destination des femmes. Tiens donc… Ne seraient-elles pas capables de dénicher un mentor seules? Ou les hommes seraient-ils réticents à les accompagner? Objectif affiché des ces programmes: aider les femmes à briser le plafond de verre. Pourtant, quinze ans plus tard, elles représentent à peine plus d’un quart des membres des comex ou codir des entreprises du SBF 120.
Le mentorat serait-il un leurre?
«C’est un ingrédient nécessaire pour la carrière des femmes, mais pas suffisant, répond Dominique Bourgeon. Une main tendue, qui signifie que vous n’êtes pas seule, un accélérateur de confiance aussi.» Ancienne cadre dirigeante chez Engie, elle avoue: «J’ai commencé à avoir un mentor à 40 ans, j’aurais aimé le rencontrer dix ans plus tôt, j’aurais osé davantage de choses.»
Valentine de Lasteyrie, DG d’Albingia et cofondatrice de Sista, est plus sévère: «Les femmes sont toujours contentes de bénéficier d’un programme de mentorat mais son utilité n’est démontrée par aucune étude. C’est un petit plus au niveau individuel, ça renforce la confiance, mais ça n’a pas d’impact au niveau collectif. On constate d’ailleurs que les mentors ont un rôle plus actif auprès des hommes. Les femmes sont plus mentorées que les hommes mais les hommes en profitent davantage pour leur carrière.»
Encore plus efficace: cherchez votre sponsor!
Valentine de Lasteyrie plaide plutôt pour le “sponsorship”: plus engageant et plus efficace. «Le sponsor doit trouver des occasions concrètes de donner des opportunités à son sponsoré», explique-t-elle.
C’est ce qu’a connu Christelle Rogé avec Thierry Parmentier chez Technip: «Il a toujours eu un œil sur moi, il m’a permis de partir en expatriation pour faire progresser ma carrière alors que j’étais divorcée avec 2 enfants de 10 et 12 ans… Il a mis ma mère dans le package, ce qui a facilité mon départ.»
Sponsor ou mentor, il n’est jamais trop tard pour expérimenter le soutien de tels alliés. Ainsi, une ancienne salariée du groupe Bayard, qui vient de se lancer à son compte, n’en revient pas d’avoir rencontré deux entrepreneurs prêts à l’aider pour son projet dès qu’elle en a besoin: «C’est un canal toujours ouvert, et ils me donnent des conseils en or!»