Il n’y a qu’à se balader dans les travées du salon VivaTech qui se tient ces jours-ci à Paris, pour mesurer l’audace de Valérie. Ou encore la retrouver chez Willa, l’incubateur qui accueille sa société Yapuka, où ses camarades de jeu ont l’âge de ses enfants. Pas de quoi complexer la doyenne du plateau. Avec son léger accent du sud, Valérie assume : « La tech ce n’est ni ma génération, ni mon talent ! Mais ce que je fais, c’est de l’innovation. La tech, c’est juste un outil. »
Les femmes ne représentent en France qu’un tiers des entrepreneurs. Et dans la tech, là où se prépare le monde de demain, elles sont encore moins nombreuses. Au sein du Next 120 (édition 2023) qui regroupe les 120 entreprises françaises les plus prometteuses de la tech, il n’y a que 16 femmes fondatrices ou co-fondatrices. Si on s’attarde sur le Next 40, on ne trouve qu’une co-fondatrice et co-dirigeante, en la personne d’Eléonore Crespo, une ingénieure de 33 ans à la tête de Pigment, une société développant des solutions pour la finance d’entreprise.
Une start-up qui ne crame pas du cash
Cofondé il y a cinq ans par Valérie Falala et Sandra Legrand, Yapuka intervient dans le monde de l’éducation. La société aide les jeunes (et désormais moins jeunes) à s’entraîner à l’oral dans la perspective des concours et entretiens d’embauche. La technologie a permis de concevoir une plate-forme pour mettre en relation les clients avec les coachs qui vont les accompagner, explique Valérie Falala. Cette ancienne de Danone et De Fursac a recruté et formé plus de 200 coachs, qui interviennent à la fois dans les écoles, les entreprises ou auprès de particuliers. L’interaction humaine reste au cœur du projet de Yapuka.
« Moi, je n’ai pas cramé de cash ! » lance-t-elle avec fierté : elle a fait grandir progressivement l’activité (plus de 40 campus et une vingtaine d’entreprises sont clients) mais doit maintenant accélérer. Pas facile de convaincre les investisseurs : « Au vu de mon âge, je ne suis pas considérée comme digital native ! On se demande aussi si je vais rester. Et quand je dis que je veux être leader sur mon marché, je sens un certain scepticisme… comme si les deux mots –femme et leader– étaient antinomiques », raconte-t-elle.
Femme entrepreneure dans la tech : encore l’oiseau rare
D’après la 4e édition du baromètre Sista & BCG, publié le 13 juin, seulement 1 startup sur 5 créée en France l’an dernier compte au moins une femme dans son équipe fondatrice. Et seules 7% des startups ont été fondées par des équipes entièrement féminines. Côté financement, seulement 1 levée de fonds sur 4 réalisée en France en 2022 l’a été par une équipe incluant une femme. Dit autrement, résume Alexia Reiss, la déléguée générale de Sista, « les femmes ont quatre fois moins de chance de lever des fonds ». Surtout, l’accès des équipes exclusivement féminines au financement est quasi-impossible : elles ne représentent que 7% des levées de fonds et n’obtiennent que 2% des montants levés. On voit bien que l’enjeu est double : à la fois dans la création et dans le financement des activités. Il est même triple si on y ajoute le volet management : un quart des entreprises du Next 120 sont dirigées par des équipes 100% masculines.
Face à cette absence de mixité, Clara Chappaz, la directrice de la mission French Tech, a lancé en mai 2022 le Pacte Parité : 5 engagements qui visent une part minimale de femmes dans les conseils d’administration des start-ups (20% d’ici 2025, 40% en 2028), la formation de l’ensemble des managers à la lutte contre les discriminations, la rédaction de fiches de postes inclusives, l’accompagnement des salariés de retour de congé parental et enfin la constitution d’équipes de porte-paroles paritaires. Un an après, plus de 80 entreprises ont signé ce Pacte Parité. « Au lancement du Pacte, 22% des signataires n’avaient aucune femme à leur conseil d’administration ; aujourd’hui, ils ne sont plus que 16% dans ce cas au sein du Next 120 » s’est félicitée Clara Chappaz. Des entreprises comme Alan ou Devialet ont même atteint une parité parfaite au sein de leur conseil d’administration.
Chercheuse ou entrepreneure ? Les deux, mon capitaine
D’autres initiatives émergent pour tenter de mettre davantage de mixité dans l’entrepreneuriat tech. Le réseau SATT, qui fédère les 13 sociétés d’accélération du transfert de technologie existantes en France, va ainsi lancer en septembre un programme national en faveur de l’entrepreneuriat des chercheuses. Il va s’inspirer du dispositif mis en place en Auvergne-Rhône-Alpes par la SATT Pulsalys en partenariat avec les Premières : trois journées organisées spécialement pour les chercheuses afin de les aider à découvrir leur potentiel de développement de projet. L’idée est de montrer qu’à partir des innovations de rupture pensées dans leurs laboratoires, elles peuvent déployer un business, par la cession de licences ou la création d’une activité. 17 chercheuses ont participé aux deux premières éditions et 8 startups sont aujourd’hui en cours de création. La 3e édition de ce bootcamp original se termine le 16 juin.
L’accompagnement, et a minima l’environnement dans lequel elles évoluent, se révèle décisif pour les entrepreneures qui osent se lancer dans la tech. « Chez Willa, je suis entourée de « warriors », des femmes qui partagent les mêmes choses, succès, déconvenues ; il y a une émulation, sans concurrence », confie ainsi Valérie Falala. Déjeuner mensuel des fondatrices, dîners réguliers avec les anciennes, programmes à la carte selon le stade d’avancée du projet (émergence, accélération, croissance). L’incubateur Willa se mobilise aussi pour inclure des femmes venues de tous horizons, qu’elles soient en reconversion, issues de quartiers défavorisés, etc. Mais une fois l’entreprise créée, le plus dur reste à faire : d’après le Baromètre Sista/BCG 2023, plus la start-up est mature, plus l’écart se creuse entre équipes masculines et féminines dans l‘accès aux financements.
Deux clés pour s’accrocher… et réussir
Dès lors, quel est le secret de celles qui persistent ? Valérie Falala en a deux. D’abord l’impact de son activité : « Démocratiser la prise de parole, permettre à chacun de progresser dans ce domaine est une vraie satisfaction pour moi qui suis issue d’une famille modeste, où j’ai été la première à faire des études, et qui suis d’abord une femme de l’écrit par ma formation de juriste. »
« De plus en plus de fonds s’intéressent à l’impact et on voit davantage de femmes dans les start-ups à impact comme l’a montré l’étude d’EY pour la JFD sortie en mars dernier, rebondit Flore Egnell, déléguée générale de Willa. Cela devrait contribuer à faire bouger les lignes. »
Le deuxième secret de Valérie ? Son frère Stéphane, entrepreneur, à la fois soutien indéfectible et source d’inspiration. Pas de doute, la qualité de l’entourage quand on entreprend, reste l’une des clés du succès. Comme quoi la maîtrise de la technologie ne fait pas tout !
Illustration : un grand merci à Marie Lemaistre et l’agence Fllow