Deux hommes, deux femmes, une parité parfaite dans les noms suggérés. Et qui a remporté les suffrages d’après vous ? Le fondateur de Microsoft ! Il serait, pour 41% des femmes et 32% des hommes interrogés, l’inventeur du premier programme informatique. Sa réputation mondiale l’a dépassé. Car si cet informaticien génial a bien conçu avec Paul Allen le premier logiciel d’exploitation pour micro-ordinateur, il n’est pour rien dans l’invention du langage informatique.
Non, Bill Gates n’a pas inventé le premier programme informatique!
La pauvre Ada Lovelace, fille du célèbre poète britannique Lord Byron, a dû se retourner dans sa tombe. En 1843, elle a en effet mis au point pour la machine analytique d’un certain Charles Babbage ce qui fut identifié comme le premier programme informatique au monde. Tombés dans l’oubli, les travaux d’Ada Lovelace furent ressortis dans les années 1980 lors de l’émergence de l’informatique, puis dans les années 2010 quand le rôle des femmes dans les sciences a été réévalué.
Que nous dit cette histoire ? Que la visibilité des femmes n’est pas en rapport avec la réalité de leur contribution scientifique ou économique. Que les entreprises ne leur font pas toujours la place qu’elles méritent eu égard à leurs compétences et capacités. Que nos perceptions sont parfois brouillées par des effets d’optique. Au terme d’une quarantaine de questions sur la parité, l’Observatoire Kantar 2023 a encore demandé aux Français de citer 5 figures historiques, hommes ou femmes, du monde politique, scientifique, économique ou sportif qui peuvent être source d’inspiration. Ce sont deux personnalités féminines qui émergent en premier (c’est quand même un questionnaire sur la parité…), Simone Veil loin devant (53%), suivie de Marie Curie (31%). Le biopic d’Olivier Assayas sur celle qui a longtemps été la personnalité politique préférée des Français et les débats autour de la constitutionnalisation de l’IVG ont replacé Simone Veil et ses combats au cœur de l’actualité. Mais après elle et Marie Curie, c’est une ribambelle d’hommes qui sont cités, de De Gaulle à Obama en passant par Zidane. Comme si, hormis les deux figures tutélaires de Simone et Marie, les Français séchaient…
Oui, il y a de l’espoir car les choses bougent
Comme sèchent souvent les hommes si on les interroge sur leurs rôles modèles : « Un rôle modèle, moi ? Pas besoin… ». Une femme remarquable croisée sur leur chemin ? Grand blanc… Et pour cause. « Avez-vous en tête une femme dirigeante que vous admirez ? » A cette question, seuls 35% des sondés répondent par oui – mais ils sont 54% chez les 18-24 ans qui ont apparemment une vision plus large (et diversifiée) du monde. « Y a-t-il une femme qui occupe un poste à responsabilité dans votre entourage proche ? » Moins d’1 sondé sur 2 répond par l’affirmative – mais 63% des 18-24 ans. Les jeunes générations invitent à l’espoir : ils voient, (re)connaissent davantage de femmes admirables ou responsables.
De l’espoir, la 3e édition de l’Observatoire Kantar de la parité en donne un peu, sur les progrès réalisés en entreprise. Les efforts sont salués mais aux yeux des Français, et surtout des femmes, ce n’est pas encore suffisant. Pour 54% des sondés (et 60% des femmes), « on parle de la parité en entreprise, mais ça n’évolue pas ». Ils étaient 64% à tenir ce discours en 2021. Belle progression de dix points donc.
De même, plus de la moitié (56%) des Français interrogés disent connaître au moins une des obligations en matière de parité auxquelles sont soumises les entreprises dans notre pays : loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, loi de 2014 pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes, loi Copé-Zimmerman de 2011 pour la parité dans les conseils d’administration. Etonnamment, l’index égalité instauré par Muriel Pénicaud et découlant de la loi de 2018 n’est connu que par 1 sondé sur 5. Et parmi ceux qui en ont entendu parler, seuls un tiers l’ont connu par leur employeur !
« C’est une occasion manquée de la part des entreprises qui voient cet outil comme une contrainte et non comme un levier en interne pour fidéliser les salariés, ou une opportunité dans leur recrutement », estime Maryline Guillaume, directrice contenu et études chez Kantar. Un tiers des salariés seulement connaissent le score de leur entreprise, alors que 59% témoignent que cela pourrait avoir un impact sur eux.
Une prise de conscience forte des jeunes générations
Un impact, vraiment ? Interrogés sur les principaux critères qui leur feraient choisir une entreprise plutôt qu’une autre, actifs et étudiants placent en tête le salaire (81%), le temps de trajet (56%), les horaires (44%). L’engagement de l’entreprise en matière de parité arrive en queue de liste (entre la 7e et la 9e position).
Pourtant, hommes et femmes sont nombreux à avouer avoir été confrontés à des comportements sexistes – notamment des blagues déplacées – dans un contexte professionnel. « La vraie différence, c’est que les femmes n’en sont pas seulement témoins mais victimes », souligne Maryline Guillaume. Ainsi, plus de la moitié des femmes actives interrogées ont affronté des blagues sexistes (59%), se sont senties traitées différemment des hommes (54%), ont subi des préjugés associés à la maternité (51%), ou se sont senties défavorisées par rapport aux hommes (50%). Plus d’un homme sur deux reconnaît aussi avoir été confronté à des blagues sexistes : ces comportements sont désormais repérés dans l’entreprise par une majorité de salariés, quel que soit leur sexe, et c’est plutôt une bonne nouvelle. En revanche, moins d’un quart des hommes ont le sentiment d’être favorisés par rapport aux femmes. Leur prise de conscience sur le sujet n’est pas totale mais la perception évolue avec l’âge : les jeunes générations sont davantage sensibilisées puisqu’un tiers des hommes de 18-34 ans affirment se sentir favorisés par rapport à leurs collègues féminines.
Des solutions très discutées
Pour améliorer la parité en entreprise, différentes solutions existent.
En priorité, c’est la création de référents parité pour lutter justement contre le harcèlement et les agissements sexistes, qui est jugée la plus efficace par les Français. En seconde position arrive l’accompagnement des jeunes femmes à haut potentiel et en troisième position les quotas. En revanche, le sujet des congés menstruels, sur lequel des députés socialistes et écologistes ont déposé des propositions de loi en mai, divise : 33% y voient un moyen très efficace de faire avancer la parité et 27% une mesure qui risque de nuire à l’égalité femmes-hommes. Les jeunes sont là encore beaucoup plus en pointe : 47% des 18-34 ans pensent que ce serait efficace. En Espagne, le principe du congé menstruel a été inscrit dans une loi votée en février, sous l’impulsion de la ministre de l’Egalité, âgée de 35 ans.
Dernier levier : la présence de femmes dans le management des entreprises. Car les hommes managers restent majoritaires aujourd’hui (31% des sondés le sont contre 17% des sondées). Si 65% des actifs affirment n’avoir aucune préférence quant au sexe de leur manager, 48% des femmes interrogées reconnaissent avoir déjà été confrontées à des propos négatifs quant aux capacités des femmes à manager. Seuls 24% des hommes ont subi de tels préjugés sur leurs capacités managériales en raison de leur sexe. Ce qui prouve, s’il en était encore besoin, l’importance de déjouer les stéréotypes et de valoriser des rôles modèles féminins plus nombreux et plus variés. Au fait, savez-vous qui est Margaret Hamilton* ?
*Réponse ci-dessous dans le + ViveS !
Illustration : un grand merci à Rokovoko