“ L’une des plus célèbres repreneuses de l’histoire est une jeune veuve ”
Souvent les femmes reprennent une entreprise par héritage ; c’est du moins l’idée qu’on s’en fait. D’après une étude de l’APCE publiée en 2009, en France, 20 % des femmes reprendraient une entreprise par héritage ou par donation. D’ailleurs, l’une des plus célèbres repreneuses de l’histoire est une jeune veuve, qui au décès prématuré de son mari, François Clicquot, s’est retrouvée à la tête d’une maison de champagne créée 33 ans plus tôt et produisant 100 000 bouteilles par an. Barbe-Nicole Clicquot, née Ponsardin, avait alors 27 ans ; nous sommes en 1805. Autant dire que les femmes d’affaires ne sont pas légion à l’époque. La jeune dame n’a guère de modèle pour s’inspirer mais elle n’a pas froid aux yeux : la veuve Clicquot innove en créant des millésimes et en exportant ses vins jusqu’en Russie. A sa mort, en 1866, la maison commercialise 750 000 bouteilles par an !
Une quinqua avec 30 ans d'ancienneté se refuse à voir disparaître la société qui l'emploie…
Cependant, il n’est pas nécessaire d’être une héritière précoce pour devenir une entrepreneure à succès. Plus près de nous, l’exemple de Chantal Andriot est éloquent : en 2004, cette quinqua entrée trente ans plus tôt comme comptable chez Tolix (le fabricant de la fameuse chaise en tôle, icône du style industriel) se refuse à voir disparaître la société qui l’emploie. Elle est alors directrice financière, après avoir assuré la gestion des ressources humaines ; la société est en liquidation judiciaire, affaiblie par la concurrence du plastique. Chantal Andriot présente à la barre du tribunal de commerce un projet modeste mais solide : elle mise sur l’innovation, la modernisation des gammes et l’export. Elle l’emporte… sans le soutien des banques : la repreneuse doit abonder seule le compte courant. Quinze ans plus tard, l’entreprise est bien vivante, malgré deux années difficiles dues au Covid : elle compte 60 salariés contre 20 au moment de la reprise, les produits sont toujours fabriqués dans l’usine d’Autun et le chiffre d’affaires atteint 8 millions d’euros.
“ L’âge parfait pour le repreneuriat serait 46 ans ”
En dépit de succès comme celui de Chantal Andriot, quand on interroge des dirigeants sur la figure (contemporaine) emblématique en matière de cession-reprise d’entreprises, ce sont seulement des hommes qui sont cités : Vincent Bolloré, Xavier Niel ou encore Pierre Kosciusko-Morizet. Pourtant quand on demande aux mêmes personnes de dresser le portrait-robot du repreneur idéal, 84 % se disent indifférents au genre, et soulignent surtout l’importance d’une certaine maturité : l’âge parfait pour le repreneuriat serait 46 ans. Un âge auquel les femmes ne devraient pas hésiter à se poser la question de la reprise d’entreprise. Elles ont en effet accumulé une belle expérience professionnelle et c’est souvent le moment où elles se cognent au plafond de verre, ou bien s’interrogent sur la cohérence de leur fonction avec leurs valeurs.
Ce fut le cas pour Pascale Tessier-Morin, aujourd’hui Pdg d’Atelier Images & Cie (impression numérique grand format pour la communication et l’événementiel, 5 salariés) : à 46 ans, elle était directrice financière d’un groupe anglo-saxon, et sentait que son horizon se bouchait. « J’étais déjà senior, je savais que je n’obtiendrais pas le poste de mes rêves d’un claquement de doigt », raconte Pascale. Elle n’a pas d’idée pour une création d’entreprise, en revanche en reprendre une, pourquoi pas ? Avantage : si l’entreprise est saine, il est possible de se verser d’emblée un salaire – critère non négligeable. Même s’il ne faut pas s’attendre à un salaire mirobolant, précise Aurore Lebon, qui dirige aujourd’hui Gauthier & Cie (une fabrique de tringles et stores haut-de-gamme, 6 salariés) : « les premières années, le résultat sert surtout à rembourser la banque ». Consultante de métier, Aurore s’était promis de reprendre une entreprise à 40 ans, l’âge des tournants.
Pascale et Aurore ont toutes deux suivi la formation du CRA (Cédants et repreneurs d’affaires) pendant trois semaines, avant de se lancer dans la recherche d’une cible. Des formations où les femmes sont rares… En 2019, elles représentaient seulement 7 % des adhérents repreneurs au CRA et 15 % des stagiaires de CRA formation.
“ Faut-il beaucoup d’argent pour racheter une entreprise ? ”
Faut-il beaucoup d’argent pour racheter une entreprise ? Évidemment, il faut chercher en fonction de ses moyens. Mais pas besoin d’avoir des millions. Comme le dit Pascale Tessier-Morin, « on constitue toujours un matelas en cas de difficulté ou pour un futur projet… les sous que j’avais mis de côté pour faire une nouvelle cuisine, je les ai mis dans ma boîte ». En revanche, il faut prévoir des dépenses incompressibles au démarrage : avocats, comptables…, à financer avec ses fonds propres car les banques ne prêtent pas d’argent pour cela.
Les banques ! C’est souvent le point noir pour la reprise au féminin. Premier écueil : la légitimité. Les femmes candidates au rachat d’entreprises sont tellement peu nombreuses que leur présence surprend inévitablement. Il n’est pas rare qu’elles s’entendent demander « C’est qui le dirigeant ? » ou « Où est votre associé ? » (déjà mieux que « Où est votre mari ? », avouons-le). « Être seule, ce n’est pas évident », reconnaît Aurore Lebon. « Il faut annoncer des montants significatifs pour être crédible », conseille Pascale Tessier-Morin. Et d’ajouter : « Toute reprise peut être finançable par les établissements bancaires, à condition que la cible soit rentable. »
« Reprendre une entreprise, c’est à la fois chercher un job et un appartement » résume Aurore Lebon. En clair, on met sa vie professionnelle et son patrimoine en jeu. Mais on peut poser des limites. Ainsi, Pascale Tessier-Morin a-t-elle refusé d’apporter une caution personnelle. Une seule banque sur les 10 qu’elle avait sollicitées a accepté de la financer sans caution : elle l’a choisie. « Je mettais mes sous et mes tripes sur la table, pas question d’aller plus loin », explique-t-elle.
“ Une reprise, c’est d’abord une rencontre avec l’entrepreneur qui vend ”
Autre frein : le sentiment de ne pas avoir toutes les compétences nécessaires pour gérer une entreprise. « Je ne suis pas ingénieure, comment reprendre une société technique ? », « Je ne suis pas commerciale, vais-je savoir vendre ? », « Comment se faire accepter des salariés ? ». Ces questions, Pascale Tessier-Morin et Aurore Lebon, toutes deux sorties d’écoles de commerce, se les sont posées : elles voulaient chacune une entreprise qui travaille la matière, un atelier qui produit. Cibler une activité qui vous parle et vous plaît est l’une des clés du succès. Nos deux repreneuses ont réussi à trouver l’entreprise qui leur convenait et le cédant qui leur faisait confiance, après de nombreux mois de recherche. Car une reprise d’entreprise, c’est d’abord une rencontre avec l’entrepreneur qui vend. L’atout de ces deux femmes ? Avoir été dans une logique de transmission, vouloir préserver et développer l’activité, ainsi que les emplois. Leur satisfaction ? S’être imposée dans un milieu artisanal souvent très masculin, des fournisseurs aux clients ; avoir modernisé leur entreprise tout en respectant son ADN.
La fierté de Pascale ? Avoir été une source d’inspiration pour son fils, qui, depuis, a créé sa propre boîte. La fierté d’Aurore ? Gérer seule sa société, et sa fille de 13 ans, car l’année où elle a racheté Gauthier & Cie, elle a divorcé, reprenant une liberté qu’elle ne s’autorisait pas. Effet indirect du repreneuriat : il booste l’estime de soi !
Illustration : Un grand merci à Wood et l’agence Virginie
*Source : Stratégie repreneuriale et performance en PME, p.19