En tant qu’indépendante, j’ai toujours connu le fait de travailler à mon domicile, alors qu’autour de moi certaines personnes ont découvert cette possibilité depuis la crise sanitaire. J’entends de plus en plus d’amies ou de femmes dans mon cercle professionnel aspirer à cette flexibilité. L’une d’entre elles a décidé de devenir indépendante, car son employeur lui refusait de télétravailler trois jours par semaine ; une autre a décidé de partir vivre en famille à Toulouse et de travailler à distance tout en faisant des allers et retours franciliens réguliers ; l’employeur d’une dernière a institué deux jours de télétravail par semaine, flexibilité qui correspond à ses attentes.
Ces récits concordent avec les résultats d’une enquête qui vient de paraître, menée par LinkedIn auprès de plus de 1 150 professionnelles en France. En effet, 50 % des femmes interrogées déclarent déjà travailler de manière flexible, et 38 % ont quitté ou envisagent de quitter leur poste en raison du manque de flexibilité de leur employeur. Cette tendance est actuellement plus répandue chez les femmes âgées de 18 à 25 ans que chez celles de plus de 40 ans. Néanmoins, la flexibilité est aujourd’hui au cœur des mutations du travail et des aspirations des travailleurs et notamment des travailleuses.
« Avec l'adoption grandissante du travail à distance grâce au numérique, de plus en plus d'équipes peuvent travailler de partout »
À quoi correspond concrètement la flexibilité au travail ? Cette notion recouvre une pluralité de possibles, mais prend surtout racine dans le développement du numérique. La flexibilité a commencé à émerger au niveau du lieu de travail. Cela se traduisait par exemple par des bureaux ouverts avec des espaces communs. Avec l’adoption grandissante du travail à distance grâce au numérique, de plus en plus d’équipes peuvent travailler de partout : dans un bureau partagé, sur la table de leur cuisine ou à Lisbonne. L’une des conséquences les plus intéressantes du choix de son lieu de travail concerne les horaires. Finis les horaires traditionnels et le célèbre 9 h – 17 h ! Ainsi, le terme “flexibilité” est utilisé pour parler de l’adaptation de l’organisation du travail en termes de lieux, d’horaires, et de modalités de collaboration. La flexibilité au travail joue sur deux mécanismes : le où et le quand travailler.
Cela se traduit par exemple par plusieurs propositions :
- Un mélange de télétravail (que cela soit à domicile ou dans un espace de co-working) et de travail au bureau.
- La possibilité de travailler où l’on souhaite : Certaines entreprises, comme Zapier, permettent aux employés de travailler aux quatre coins du monde.
- La mise en place d’horaires flexibles : Les employés peuvent modifier leurs heures de début et de fin de journée tout en travaillant un nombre d’heures fixes par semaine. Ils peuvent commencer tôt et finir tôt ou bien privilégier des horaires tardifs.
- Le focus sur le travail accompli : Certaines organisations vont plus loin, en ne mesurant pas les heures passées mais en faisant confiance aux personnes pour accomplir leur travail quand elles le souhaitent.
- La semaine de quatre jours : En 2020, Buffer a souhaité expérimenter la semaine de quatre jours sur plusieurs mois. L’entreprise a constaté que cela avait eu comme impact une baisse du niveau de stress, une augmentation du bonheur au travail, et une plus grande autonomie.
« Certains pays ont même légiféré sur cette flexibilité au travail bien avant la crise sanitaire »
Ces évolutions de l’organisation du travail ont pour but de se centrer sur le besoin du salarié, mais permettent également aux entreprises de gagner en productivité. Certains pays ont même légiféré sur cette flexibilité au travail bien avant la crise sanitaire, comme c’est le cas au Royaume-Uni depuis 2014 avec la création d’un droit à l’assouplissement des conditions de travail (le Flexible Working Regulations Act). Les Anglais ont ainsi mis en place une réglementation favorisant l’adaptation de l’organisation du travail aux besoins du salarié. Tout employé ayant une ancienneté de six mois a désormais le droit de demander une organisation flexible de son emploi. L’employeur a, lui, l’obligation d’étudier la demande du collaborateur et doit justifier tout refus. Peut-être qu’à l’avenir la France légiférera sur le sujet afin d’avoir un temps d’avance sur le futur du travail ?
« On peut ainsi se demander si cette flexibilité au travail n’est pas un nouveau vecteur d’inégalités entre les hommes et les femmes »
La flexibilité au travail semble être une belle promesse, et ce notamment pour les femmes. C’est ce que notait Laetitia Vitaud dans son article sur le télétravail : « Une plus grande maîtrise de l’organisation de notre temps peut nous permettre de mieux jongler entre les différentes contraintes professionnelles et familiales, voire d’intégrer les temps de vie pour mettre fin à une séparation qui a toujours été artificielle. Le télétravail autorise une plus grande productivité. Avec lui, certaines femmes peuvent parfois éviter le piège de ces postes à temps partiel qui les appauvrissent. Enfin, elles se libèrent de certains maux du bureau — les jeux politiques, le présentéisme, les blagues sexistes, le harcèlement — dont elles font davantage les frais ».
Toutefois, il y a des conséquences non négligeables de cette flexibilité au travail à connaître pour pouvoir mieux les anticiper et les appréhender. On peut ainsi se demander si cette flexibilité au travail n’est pas un nouveau vecteur d’inégalités entre les hommes et les femmes, notamment quand on connaît les impacts du télétravail sur la vie des femmes pendant les confinements ? On sait que les inégalités de sexe face au travail peuvent se renforcer, que ce soit au niveau des espaces de travail au domicile, de la double journée des femmes ou des salaires.
« 57 % des enquêtées ont accepté une réduction de salaire pour plus de flexibilité »
En effet, une étude de l’Ined réalisée en 2020 a montré que pendant le confinement, les hommes en télétravail étaient proportionnellement plus nombreux que les femmes à disposer d’un espace personnel dédié au travail : 41 % des hommes en télétravail pouvaient s’isoler dans une pièce spécifique qui leur était réservée, contre un quart des femmes en télétravail. Chez les cadres, cet écart se creuse : 29 % des femmes disposaient d’une pièce spécifiquement consacrée au travail, contre 47 % des hommes. Cette absence de lieu de travail dédié fait que les femmes sont plus exposées aux demandes domestiques ou aux requêtes des enfants.
L’enquête menée par LinkedIn révèle aussi certaines conséquences du travail flexible au niveau financier. Ainsi, ce sont 57 % des enquêtées qui ont accepté une réduction de salaire pour obtenir plus de flexibilité. Et cela ne s’accompagne pas nécessairement d’une baisse de la charge de travail, puisque parmi elles, 35 % déclarent travailler le même nombre d’heures.
« La flexibilité au travail permet aux femmes de revendiquer un travail qui s’adapte à leur vie »
Pour aller plus loin, le centre Hubertine Auclert prend le sujet autrement et se demande comment le télétravail peut corriger les inégalités entre les femmes et les hommes. Il propose notamment de soutenir les conditions de travail à distance en offrant une compensation financière pour les aménagements du domicile et le matériel, ou encore de mentionner l’égalité professionnelle comme un enjeu intrinsèque au télétravail.
La flexibilité au travail pose de nouveaux challenges, que ce soit pour les entreprises ou pour les salarié.e.s. Entre le risque d’une hyper-connectivité et la possibilité d’une plus grande autonomie pour les salarié.e.s, on voit qu’il y a une adéquation à trouver entre la culture du travail de l’entreprise et ses modalités organisationnelles – à prendre notamment en compte au prisme de l’égalité entre les femmes et les hommes. A titre individuel, il me semble que la flexibilité au travail permet aux femmes de revendiquer un travail qui s’adapte à leur vie, et ce sera sûrement une nouvelle priorité dans les années à venir pour l’ensemble des métiers !
Illustration : un grand merci à Louise de lavilletlesnuages