Sur YouTube : les femmes disparaissent
Comment le HCE en est-il arrivé à cette conclusion ? Il a analysé les 100 contenus les plus vus en France sur YouTube, TikTok et Instagram. Soit 300 contenus passés au crible. Les résultats sont effrayants.
Par exemple, 92% des vidéos les plus vues sur YouTube sont faites par des hommes ! L’invisibilité des femmes est donc frappante. Derrière ce chiffre désastreux se trouve une réalité qui l’est tout autant : « Quand on regarde l’histoire du monde numérique, il y avait des femmes au départ. Puis cet univers a pris une place capitale dans l’économie, la politique… Un espace dont sont exclues les femmes. Elles ont alors disparu du panorama, faisant du numérique un monde d’hommes, fait par des hommes pour des hommes, comme le dit si bien Isabelle Collet -chercheuse et enseignante en sciences sociales à Genève », analyse Xavier Alberti, co-président de la commission Stéréotypes et rôles sociaux au HCE.
Les contenus créés par les hommes deviennent les plus regardés puisqu’ils sont plus nombreux, et qu’ils stimulent les stéréotypes et les biais sexistes dont nous sommes tous porteurs, quoi qu’on dise. Un like, un partage… et nous entrons dans un système pernicieux. L’algorithme va en effet considérer ces vidéos comme pertinentes, et donc les remonter à tous les utilisateurs, hommes comme femmes. C’est de cette façon que la reproduction des schémas sexistes et des stéréotypes de genre prend place. « Le monde numérique a construit son propre schéma sexiste, son propre modus vivendi, c’est un cercle vicieux autogène et autonome », assène Xavier Alberti.
Instagram, le faux ami des femmes
Si les femmes sont invisibles sur YouTube, impossible pour moi de me dire qu’elles le sont sur Instagram, LE réseau social dont les femmes se sont emparées. Ouf, je n’ai pas totalement tort sur ce point. Parmi le top 10 des créateurs et créatrices de contenus : 5 hommes, 4 femmes, 1 couple. Les femmes sont bien sur le podium mais pas sur la première marche ! Je n’en reviens pas.
Pire, je découvre que, comme sur les autres réseaux, les femmes sont caricaturées. Ainsi sur Instagram, 68% des contenus les plus vus propagent des stéréotypes de genre et 22% contiennent des propos à caractère sexiste !
Même quand les femmes sont présentes, on s’aperçoit qu’elles sont cantonnées à la sphère privée. Notamment sur Instagram : « Il existe une sur-représentation de la fonction. Les femmes sont représentées dans des rôles stéréotypés : elles parlent de famille, de maternité, du corps, de la beauté avec des stéréotypes esthétiques beaucoup plus prononcés que chez les hommes » remarque Xavier Alberti. Elles sont absentes de la sphère publique. D’ailleurs, le dernier classement des 10 YouTubeuses les plus suivies le démontre. Car 7 d’entre elles parlent de mode et de beauté, et une autre de cuisine (l’Atelier de Roxane). Seule Natoo, qui talonne les hommes, bat des records d’audience avec des vidéos d’humour.
Sur TikTok, caricature et biais sexistes vont bon train
Sur TikTok, le réseau social des jeunes, les données ne sont pas meilleures. Les femmes sont largement absentes du top 100 étudié : seuls 11 comptes sont exclusivement gérés par des femmes. C’est peu… Ici encore, les caricatures et biais sexistes vont bon train. 35% des vidéos présentent un comportement féminin stéréotypé.
Mais ce n’est pas le pire… Le rapport du HCE fait état de violences, en particulier sur YouTube. Ainsi, 24% des contenus de la plateforme présentent des éléments de violence et dans 39% des cas de la violence physique ! On assiste malheureusement sur tous les réseaux à une banalisation de la violence faite aux femmes… « Sur TikTok nous avons même repéré un challenge qui consistait à mettre la main aux fesses des femmes. En France, ça s’appelle une agression sexuelle, c’est un délit puni par la loi », rappelle Xavier Alberti.
Des données et des quotas
Une fois ces constats lamentables établis, que fait-on ?
Il est déjà essentiel, selon moi, de comprendre comment cette mécanique bien huilée fonctionne.
D’abord, il faut savoir sur quoi reposent les réseaux sociaux : l’intelligence artificielle qui n’est autre que l’algorithme, et le dataset qui est la masse de données dans laquelle vont puiser toutes les IA. « Le dataset d’aujourd’hui est le reflet de la sédimentation de siècles de données sexistes. C’est l’accumulation de toutes ces données politiques, sociales, culturelles, économiques, artistiques qui font que le dataset est porteur de tous les biais » explique Xavier Alberti.
Ensuite, le monde du numérique est aujourd’hui majoritairement occupé par les hommes qui développent des algorithmes en fonction de leur point de vue, souvent sexiste même sans le vouloir. Pour l’anecdote, la chercheuse Isabelle Collet raconte dans un article que « quand les applications Santé sont apparues sur les smartphones, elles ont monitoré le poids, les battements cardiaques, le nombre de pas par jour… Mais pas les cycles menstruels. Si environ la moitié de la population était possiblement intéressée par cette fonctionnalité, ce sujet ne concernait directement que 10% des développeurs »… De la même manière, en 2020, deux étudiantes en journalisme à Lausanne ont demandé à Siri où acheter des préservatifs, et où acheter des protections périodiques. Il a été en mesure de répondre à la première question, mais pas à la deuxième. Siri ne savait pas de quoi il s’agissait. Heureusement, depuis, il a appris. Mais ça laisse pantois, n’est-ce pas ?
Enfin, attention… ça va piquer. Nous sommes tous porteurs de biais sexistes, qu’on le veuille ou non. Nous allons, sans nous en rendre compte, liker et partager des contenus qui le sont. La machine repère nos « travers » et nous propose des contenus similaires. Nous alimentons, sans même en avoir conscience, le système de reproduction des stéréotypes.
Des pistes concrètes de changement
Pour changer la donne, vous l’aurez compris, ce n’est pas si simple. Il faudrait alimenter le dataset de nouvelles données moins porteuses de biais de genre. Et ça va prendre du temps.
Il faudrait conjointement agir sur les algorithmes et les amener à pondérer leur réponse pour gommer les biais sexistes.
En attendant, le HCE fait plusieurs propositions urgentes car « le numérique représente une masse d’informations inédite dans l’histoire de l’humanité, qui circule à une vitesse inédite elle aussi. Ces deux facteurs font que le phénomène est encore plus grave et qu’il y a urgence à agir » témoigne Xavier Alberti.
- Parmi ces recommandations, le HCE propose aux plateformes de s’auto-évaluer avec la supervision de l’Arcom (l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique). Comme l’ont fait les médias traditionnels à une époque qui, eux aussi, perpétuaient les stéréotypes (coucou les speakerines) !
- L’autoévaluation va de pair avec la publication de données (par exemple les chiffres sur le taux de femmes présentes dans les publications). Cela obligerait les plateformes à une certaine transparence et donc à changer le paradigme. Elles ne pourraient plus se permettre, en termes d’image, de laisser ce fonctionnement en place.
- Un autre levier : le quota. Introduire 30% de créatrices et 30% de contenus créés par des femmes sur le volume total des vidéos. Il permettrait de corriger le biais des algorithmes. Il est aussi question des quotas dans Parcoursup pour inciter les filles à prendre place dans les filières scientifiques/numériques, dont elles sont aujourd’hui trop absentes.
Sans réseaux sociaux, pas de #MeToo
Même si le rapport du HCE est très alarmant, il serait dommage de ne pas mentionner à quel point les réseaux sociaux sont tout de même un porte-voix et un accélérateur pour de nombreuses femmes. « Sans les réseaux sociaux, pas de MeToo », reconnaît Xavier Alberti. Josiane Jouët, journaliste, écrit dans un article que « la déferlante de témoignages suscités par #MeToo demeure, à ce jour, comme le point culminant de l’utilisation des réseaux sociaux dans le combat contre les violences faites aux femmes. »
N’oublions donc pas que les réseaux sociaux, malgré la reproduction des stéréotypes de genre, peuvent faire émerger des causes en faveur des femmes.
Xavier Alberti en est sûr : « On peut réussir à tirer le meilleur du numérique grâce à une programmation, une utilisation et un accès équilibrés. »
Si l’on regarde plus en détail, certains comptes sur les réseaux sociaux arrivent à tirer leur épingle du jeu. Des femmes qui sortent de la sphère publique pour parler de leur métier, donner des informations, des cours (voir plus bas le + ViveS), des hommes qui s’emparent des sujets féministes. Il semblerait qu’il y ait de l’espoir ! Comme le dit Isabelle Juppé, autrice du livre La femme digitale, « dans cet univers numérique, le temps des femmes est venu. » J’en suis convaincue. Même s’il faut encore un peu de patience…
Illustration : un grand merci à Laurence Bentz et l’agence Virginie