Les femmes « seniors » paient déjà le prix d’une carrière en dents de scie et se heurtent à davantage de discriminations à cause de leur âge. Soit elles ont perdu du terrain à cause de la maternité (des années à temps partiel, par exemple) et sont vues comme moins crédibles professionnellement, soit elles sont perçues comme « trop chères » et doivent défendre avec vigueur la valeur de leur expertise et expérience. À cela s’ajoute un tabou relatif à l’argent qui est plus fort chez les seniors que chez les plus jeunes.
Les femmes ne sont pas “naturellement” plus faibles en négociation
On entend souvent dire que les femmes séniors manquent de confiance en elles, ne demandent pas suffisamment de promotions et d’augmentations et/ou qu’elles sont moins bonnes en négociation car moins « assertives » que leurs homologues masculins. Mais tout cela relève de mythes bien commodes qui rejettent la faute des inégalités sur les femmes elles-mêmes, ce qui évite d’avoir à remettre en question les biais systémiques dans les recrutements et promotions.
En réalité, les femmes ne sont pas « naturellement » plus faibles en négociation. D’abord, cette dernière ne repose pas seulement sur l’assertivité. Ensuite, elle inclut aussi beaucoup d’autres choses que le salaire. En fait, les femmes négocient régulièrement leur salaire ainsi que des éléments extra-salariaux comme les conditions de travail (flexibilité, télétravail).
Il faut bien dire ce qui est, la négociation est plus difficile pour les femmes car elles font face à la double contrainte du leadership. Soit elles sont perçues comme compétentes mais pas sympathiques et leur manager n’a pas envie de leur accorder une augmentation, soit comme sympathiques mais incompétentes, auquel cas elles ne méritent pas d’augmentation.
Résultat : les femmes gagnent en moyenne 15,8% de moins que les hommes en France selon Eurostat. Les Glorieuses ont fait le calcul : les femmes pourraient donc cette année s’arrêter de travailler le 4 novembre à 9h10 et 55 secondes si elles étaient payées avec un taux horaire moyen similaire aux hommes. Car à partir de cette date et de cette heure, elles travaillent gratuitement !
Heureusement, face à toutes ces difficultés, les femmes séniors ont beaucoup d’atouts. Voici 6 idées pour aller encore plus loin en matière de négociation salariale.
1. L’idée selon laquelle les femmes seraient « faibles » en négociation est un mythe réducteur, pour les femmes comme pour la négociation ! L’assertivité (l’aptitude à défendre ses idées devant les autres sans agressivité) n’est qu’une des qualités qui aident à bien négocier. Si l’on admet que les femmes n’ont pas été autant encouragées à développer leur assertivité (ce qui n’est pas sûr), elles ont en revanche souvent été socialisées à acquérir les autres qualités indispensables à la négociation : l’empathie (se mettre dans la peau de l’autre partie), la souplesse (concernant l’issue et la méthode de négociation), l’intuition sociale (savoir interpréter le contexte social et le langage non verbal) et l’éthique (être une personne digne de confiance, fiable). Négocier est donc plus subtil qu’on ne le dit parfois. Et être une femme n’est en rien une faiblesse !
2. Il n’est pas question d’être seule dans la négociation. L’image qui donne à voir la négociation comme un combat dont seule une partie sort vainqueur est fallacieuse. Une négociation réussie se construit avec l’autre partie. Par ailleurs, il est essentiel d’être bien accompagnée à toutes les étapes de la négociation. Pourquoi faire seule ce qu’on peut mieux réussir à plusieurs ? En amont de la négociation, on se prépare avec des collègues, amis, relations et/ou coachs pour être plus informée sur les salaires du marché et le contexte. Il est également essentiel de forger des alliances pour avoir des soutiens au sein de son organisation. Avez-vous remarqué comme les femmes ne manquent aucunement d’assertivité quand il s’agit de négocier pour le compte de quelqu’un d’autre ? On peut donc mettre à profit le sens du collectif pour aller plus loin !
3. C’est la valeur et les réussites qu’il faut mettre en avant, pas les besoins. Les experts en négociation salariale sont unanimes là-dessus : mettre en avant ses réussites, c’est plus payant que de parler de l’augmentation de ses charges et de ses difficultés financières ! L’inflation ou le coût des traitements orthodontiques de votre ado, cela n’est pas le problème de votre employeur ! En revanche, le juste prix de vos compétences sur le marché, ça l’est. Préparer sa négociation, c’est donc d’abord préparer un argumentaire concernant ses réussites professionnelles, objectifs atteints ou chiffre d’affaires dépassé. Quand on présente la négociation en termes de « valeur ajoutée » présente et future pour l’organisation, on met la chance de son côté. Si on le fait avec subtilité, cela peut aussi être une bonne idée de suggérer la valeur qui serait perdue si on n’était pas là…
4. On est plus forte avec une “MeSoRe”. La MeSoRe (batna en anglais) correspond à la « meilleure solution de repli », c’est-à-dire le fait d’avoir des portes de sortie pour ne pas avoir à accepter n’importe quelle contre-proposition. Quand on a une bonne solution de repli, en particulier, la possibilité de prendre un autre poste ailleurs, on est plus patient dans la négociation et on risque moins d’accepter une proposition dont on ne voulait pas vraiment. De plus, on impressionne ainsi davantage son employeur. C’est comme en amour : plus vous êtes courtisée, plus vous êtes désirable ! Par conséquent, il est sage de parler à des chasseurs de tête et de rencontrer (discrètement) d’autres employeurs pour améliorer son MeSoRe, même quand on n’a aucune intention d’aller voir ailleurs !
5. Pour le montant, faire attention au biais d’ancrage. Le chiffre déjà disponible ou donné par une première personne dans une négociation agit comme une ancre dans une négociation. Le simple fait qu’un chiffre soit mentionné, même quand il est sans rapport avec la valeur de marché, a une influence déterminante sur l’issue de la négociation. Cela biaise notre jugement. Il est donc essentiel de faire en sorte que l’ancrage se fasse en notre faveur. Mais comment savoir si le chiffre que l’on lance à la volée n’est pas déconnecté de la valeur qu’on pourrait obtenir ? Il est prudent, quand on risque de sous-estimer le salaire qu’on pourrait obtenir, de laisser l’autre partie faire la première offre chiffrée. En revanche, si on est sûre de son coup, il est plus judicieux d’ancrer la négociation sur une valeur haute (mais néanmoins réaliste).
6. Ni trop ni pas assez : soignez le style et le timing. Trop autoritaires, les femmes sont pénalisées. Trop douces, elles sont décrédibilisées. L’art de la négociation est un art de l’équilibre complexe pour la gent féminine. Le style “Gagnant” ne remet pas en question frontalement les stéréotypes de genre. Heureusement, l’écoute, l’empathie et la souplesse, qualités stéréotypiquement associées au genre féminin, servent positivement la négociation et ne sont pas incompatibles avec l’expertise et la préparation. Quant au timing, c’est aussi un exercice d’équilibre : soit on se sert des moments rituels (entretien annuel, élaboration du budget) pour faire avancer sa cause ; soit on « bat le fer » après un succès professionnel. Si on n’obtient rien à ce moment-là, ce n’est pas la fin ! Il est sage de reprendre rendez-vous dans 6 mois pour remettre le couvert…
Illustration : un grand merci à Wood et l’agence Virginie