Une place désormais bien gagnée ? « C’est la première fois avec Paris 2024 qu’il y aura une parfaite parité aux Jeux Olympiques », se réjouit Sarah Ourahmoune, 42 ans, championne du monde de boxe en 2008 et vice-championne olympique aux Jeux de Rio 2016. Au total, 10 500 athlètes qualifiés et « moit’ moit’ » de chaque genre. Une « révolution », vantée par le comité d’organisation et symbolisée par Marianne, visage des JO 2024 à Paris, là même où 124 ans plus tôt, les Jeux Olympiques s’ouvraient aux femmes pour la première fois.
« On ne peut plus passer à côté des sportives, y compris économiquement. Les entreprises sponsors s’intéressent de plus en plus à elles », reprend la vice-présidente de la Fédération française de boxe aux 265 combats, un record en France chez les femmes comme chez les hommes. « Avant la visibilité obtenue grâce à mes médailles et aux JO, je n’avais pas conscience du rôle modèle que je représentais auprès des filles. Il faut dire que le sport de haut niveau est une activité individualiste qu’on pratique pour soi et pour ses propres défis. À présent, je sais que ça aide certaines femmes à oser vivre leurs rêves. » Depuis, Sarah Ourahmoune s’engage dans des fonctions plus politiques afin d’envoyer un message d’audace et de contribuer à plus de mixité.
Le long parcours de la femme olympique
Ce n’est qu’en 1928 que les femmes ont été autorisées à participer aux JO dans la discipline reine de l’événement, l’athlétisme. Une participation obtenue de haute lutte par Alice Milliat, pionnière du sport féminin au 20e siècle et organisatrice en 1922 des premiers Jeux mondiaux féminins… à Paris, contre l’avis du Comité international olympique (CIO).
Un siècle plus tard, en 2022, la France recensait 15,4 millions de licenciés en club à l’année, dont moins de 38% de femmes. Et sur les 8,5 millions de licences de sports olympiques, seul un tiers se conjugue au féminin.
Côté gouvernance, sous l’impulsion des organisateurs de Paris 2024, les femmes représentent aujourd’hui 40% des 115 membres du CIO contre 21% avant 2020 et 50% des membres des commissions du CIO contre 20,3%.
Dans la foulée de la préparation des JO 2024, 70 collectivités territoriales se sont engagées à renommer leurs complexes sportifs du nom d’athlètes féminines afin de leur donner plus de visibilité.
« Les choses évoluent doucement, souligne Sarah Ourahmoune. Sur le terrain, les fédérations savent que s’il y a trop peu de femmes ou qu’elles sont discriminées à cause d’un traitement différencié, elles seront pointées du doigt. Les athlètes parlent aujourd’hui. » Certaines organisations affichent un volontarisme de rigueur en intégrant ces questions dans leurs pratiques, considérant que le combat est juste, quand d’autres se contentent d’un « gender-washing » et s’adaptent uniquement par crainte des conséquences. « Pour se donner une image soucieuse d’égalité, seule compte alors la stratégie d’affichage, reprend la boxeuse. On constate aussi qu’en dépit des femmes qui se succèdent au ministère des Sports ou des rôles modèles de plus en plus nombreux, ça ne change pas tant que ça. Les instances sportives restent par exemple frileuses en matière de recrutement de dirigeantes ou d’entraineuses. »
Équipement, staff, budget, média : les sportives ont les mêmes besoins que les sportifs !
Mejdaline Mhiri, rédactrice en chef du magazine Les Sportives, co-fondatrice de l’association des Femmes journalistes de sport (FJS), regrette le déséquilibre qui persiste. La parité à 50-50 ne suffit pas si femmes et hommes ne disposent pas des mêmes moyens en matière d’équipements et de staff, ou si les écarts de rémunérations subsistent. Yves Raibaud, géographe, note aussi dans son étude Genre, urbanité et pratiques sportives, que les trois-quarts des budgets publics consacrés aux loisirs et au sport sont dédiés aux garçons. L’activité sportive masculine reste prioritaire pour les clubs, les municipalités et les fédérations.
Autre critique, le traitement médiatique réservé aux épreuves féminines. Malgré une légère amélioration, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) confirme la faible proportion de sport féminin diffusée sur les chaînes françaises, passée de 3,6 % en 2018 à 4,8 % en 2021. Une paille. Lors d’un échange autour de ces questions, Sandy Montañola, maîtresse de conférences à l’université Rennes 1, m’expliquait que l’argument courant est de dire que personne ne s’intéresse au sport pratiqué par des femmes mais que le manque d’intérêt médiatique n’a jamais été prouvé. Pour elle, la vraie difficulté réside dans les enjeux financiers, d’audience et de rentrées publicitaires.
Anaïs Quemener, Christine Arron, Ludivine Munos… des étoiles pour toutes les filles
C’est aussi pour médiatiser la place des femmes dans le sport que les rôles modèles féminins sont cruciaux. Anaïs Quemener, plusieurs fois championne de France du marathon, atteinte d’un cancer du sein diagnostiqué en 2015 en pleine préparation des championnats de France d’athlétisme, a repris la compétition quelques mois plus tard. Elle est devenue championne de France de marathon dans la foulée. Depuis, elle enchaîne trophées et records et vise une participation aux JO 2028. « Symbole de résilience » pour les autres femmes, Anaïs Quemener, qui raconte son histoire dans le livre Tout ce que je voulais, c’était courir, fait partie pour Cécile Coulon, écrivaine qui préface cet ouvrage, de celles qui « ont appris à ne pas craindre leur corps mais à l’aimer et à comprendre sa puissance ».
Dans son texte, la romancière cite aussi Christine Arron avec laquelle je me suis entretenu. Guadeloupéenne d’origine, cette jeune quinqua surnommée la Reine Christine a participé à trois JO et remporté nombre de médailles d’athlétisme au niveau international. Aujourd’hui, elle est maire-adjointe chargée des sports à Champigny-sur-Marne qui verra passer la flamme olympique le 21 juillet. « Nous avons organisé beaucoup d’interventions avec des sportifs de haut niveau dans les écoles de notre ville afin de promouvoir les valeurs du sport et évoquer notre parcours. Moi-même je me suis prêtée à l’exercice. » Les jeunes filles ont découvert son histoire et la passion qui l’anime. « Ça les intéresse car elles prennent conscience de l’investissement que cela nécessite pour parvenir à un tel niveau de compétition. »
Le sport paralympique n’est pas en reste. En témoigne le parcours exemplaire de Ludivine Munos, ancienne nageuse, aujourd’hui responsable Intégration paralympique au Comité d’organisation des JO Paris 2024. Amputée du bras et de la jambe droite dès sa naissance, elle raconte : « À partir du moment où un prothésiste m’a parlé de handisport, j’ai canalisé dans l’eau toute ma colère liée à mon handicap. Petit à petit, j’ai compris que le sport de haut niveau était possible. » À 15 ans, elle part aux JO d’Atlanta puis en 2002, direction Sydney où elle décroche or, argent et bronze. En 2004, à Athènes, elle obtient quatre médailles, une en or, trois en argent. « À présent, j’utilise mon expérience auprès des clubs ou des parents d’enfants handicapés pour diffuser ce message », nous confie-t-elle.
Entrepreneuriat et sport de haut niveau : des défis similaires
Delphine Remy-Boutang, fondatrice de la Journée de la Femme digitale, autrice du livre Athlètes de l’Innovation, à paraître le 22 mai, adopte un point de vue similaire pour inciter les femmes à entreprendre et fait le parallèle entre entrepreneuriat et sport de haut niveau, activités qui exigent discipline, endurance, esprit de compétition et mental d’acier. « La plupart des investisseurs misent sur des entreprises portées par des hommes. Or, comme dans le sport, les femmes sont tout aussi capables de relever ce type de défis. » Elle cite Sarah Ourahmoune, préfacière de son livre. « Elle a transcendé son expérience sportive en créant Boxer Inside, une start-up dédiée à l’apprentissage de la boxe. Et en soutenant des programmes d’incubation, elle aide d’autres femmes à se lancer. » Toutes deux marrainent Les Sprinteuses, une initiative portée par les incubateurs Willa et Le Tremplin, programme qui vise la promotion des femmes entrepreneures innovant dans le domaine sportif. La boucle est bouclée !
Illustration : un grand merci à Laurence Bentz et l’agence Virginie