En septembre dernier, Nicole, 65 ans, fonctionnaire retraitée depuis 6 mois, s’est mise à l’arabe, au jeu de go et à la danse contemporaine : «Je n’ai pas appris autant depuis la fin de mes études ! Je progresse très vite» se réjouit-elle. Vie de couple agréable, carrière bien menée, santé de fer, Nicole est épanouie. Mais elle n’a pas toujours été aussi confiante : «Avant mes 60 ans, j’étais morte de peur. Tout le monde vous répète que vous passez un cap fatidique… vous finissez par y croire.»
“ Nous sommes capables d'apprendre à tout âge, grâce à la neurogénèse et à la plasticité cérébrale ”
Longtemps, les scientifiques ont pensé qu’entre 50 et 60 ans se tenait une période de non-retour durant laquelle les capacités cérébrales déclinaient dangereusement, jusqu’à l’inéluctable sénilité. Pendant plus d’un siècle, on pensait aussi que le cerveau adulte ne produisait pas de nouveaux neurones. Mais en 2019, une étude du Centre de Biologie Moléculaire Severo Ochoa en Espagne a défrayé la chronique: elle confirmait l’existence d’un processus de neurogenèse (production de neurones) chez des adultes de 43 à 87 ans. Nous fabriquons donc des neurones tout au long de notre vie. En Suisse, une équipe de recherche de l’Université de Genève a également observé une plasticité cognitive importante (capacité à former de nouvelles connexions neuronales) chez des personnes entre 85 et 100 ans. Nous sommes donc capables d’apprendre à tout âge, grâce à la neurogenèse et à la plasticité cérébrale.
Exactement ce qu’a constaté Grégoire, professeur de jeu d’échecs : «L’une de mes élèves retraitées s’est inscrite à mon cours en visio-conférence l’année dernière, à 59 ans. Elle s’est passionnée, elle apprenait très vite! Je lui ai proposé un entraînement quotidien et désormais elle trouve très rapidement des combinaisons tactiques de plusieurs coups à l’avance. Le travail paye, quel que soit l’âge !». Une étude de l’Institut Polytechnique à Paris suggère que les meilleurs joueurs d’échecs atteignent leurs meilleures performances entre 35 et 45 ans. Mais ce n’est pas une règle absolue, comme l’a montré le champion Viktor Korchnoi, 79 ans, en battant à plate couture son adversaire Fabiano Caruana, 18 ans, à l’occasion du Gibraltar Chess Festival en 2011. Viktor le Terrible comme on l’appelait, était-il un phénomène de la nature ou juste un passionné d’échecs doté d’une expérience inégalée ?
“ L'intelligence cristallisée croît avec l'âge ”
La piste de l’expérience semble à privilégier. Dès 1941, le psychologue anglo-américain Raymond Catell introduisait les concepts d’« intelligence fluide » et d’« intelligence cristallisée ». La première intègre mémoire à court terme, capacités attentionnelles et vitesse de traitement de l’information. Elle décline en moyenne à partir de la vingtaine. La seconde repose sur les acquis de l’expérience et peut s’améliorer et s’enrichir jusqu’à la fin de la vie. L’intelligence cristallisée croît avec l’âge et l’expertise acquise dans la sphère professionnelle comme dans la sphère privée. Culture générale, vocabulaire, capacités arithmétiques: l’intelligence cristallisée englobe les connaissances et compétences développées par chacun. Même si nous ne retrouvons pas un mot sur le moment, nous l’avons en mémoire et l’étendue de notre vocabulaire augmente avec l’âge. De même pour le maniement de nombres, à condition d’y être entraîné par notre métier ou nos activités.
“La reconnaissance des émotions, la compréhension du vocabulaire et la régulation du stress n'atteignent leur climax qu'autour de 50 ans”
Aujourd’hui, de nombreux travaux soutiennent l’idée que l’évolution des performances cognitives est très hétérogène. Selon une récente étude du Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux États-Unis, non seulement les performances cognitives ne culminent pas au même moment chez tout le monde, mais elles ne déclinent pas toutes en même temps chez une même personne. L’équipe de recherche a fait passer des tests cognitifs en ligne à près de 50.000 participants. Elle confirme que la vitesse de traitement de l’information culmine à 18 ans et la mémoire à court terme autour de 25 ans. En revanche elle souligne que la reconnaissance des émotions, la compréhension du vocabulaire et la régulation du stress n’atteignent leur apogée qu’autour de 50 ans. Ce n’est qu’à l’âge adulte, autour de 30 ans, que le cortex préfrontal (siège de la pensée abstraite et du contrôle de soi) arrive à maturité. Un cerveau de 50 ans jouit donc d’une meilleure gestion émotionnelle, de meilleures capacités de planification et de priorisation qu’un cerveau de moins de 30 ans.
Plutôt que de parler de déclin cognitif, soulignons plutôt l’évolution de nos capacités avec le passage du temps et notre expérience de la vie !
Illustration pour ViveS : merci à Wood et à l’agence Virginie