Elle n’a rien oublié de ses origines modestes, et pour elle la véritable noblesse réside dans le travail et la générosité. Récemment, elle a reçu les insignes de commandeur de la Légion d’honneur remis par Pap Ndiaye. J’ai eu la chance de la rencontrer et j’ai pu lui poser quelques questions pour ViveS, sur son rapport à l’argent.
Vous souvenez-vous de votre premier salaire ? Comment l’avez-vous utilisé ?
Mercedes Erra : J’ai commencé à gagner ma vie très jeune. À 23 ans, j’étais déjà professeure et avant cela ma formation était rémunérée. Je ne me souviens pas de ce que j’ai fait de mon premier salaire mais je me souviens du sentiment de satisfaction que j’ai ressenti. Un peu plus tard, quand j’ai bifurqué vers la publicité, mon salaire n’était pas mirobolant mais j’étais très fière d’être payée pour faire un métier que j’aimais.
Quand et comment l’argent est-il entré dans votre vie ?
Mercedes Erra : Par le travail. J’étais l’aînée d’une fratrie de quatre enfants et mes parents avaient des dettes. J’ai dû prendre en charge les plus petits qui avaient une dizaine d’années de moins que moi. L’avantage, quand vous avez de bonnes raisons de le dépenser, c’est que vous ne vous habituez jamais à l’argent. Quand je m’installe à la table d’un restaurant ou qu’on m’offre un petit cadeau, je mesure toujours ma chance. Je comprends les petites économies, les fins de mois difficiles. Cette sensibilité m’aide d’ailleurs dans mon métier de publicitaire.
Etes-vous plutôt cigale ou fourmi ?
Mercedes Erra : Plutôt fourmi. Je suis quelqu’un d’économe. Quand j’étais plus jeune je faisais très attention à toutes mes dépenses. Avec le temps, je me suis libérée. Mais je gère mon argent et je continue de faire attention. Je peux dépenser beaucoup dans des maisons ou dans de beaux matériaux de construction. Mais j’ai encore du mal à dépenser pour des hôtels de luxe ou de belles fringues par exemple.
Est-ce que vous donnez régulièrement ? A quelles associations ?
Mercedes Erra : Je suis co-présidente de l’association Human Rights Watch. Je suis particulièrement impliquée dans la cause des réfugiés. En tant que fille d’immigrés espagnols, je sais qu’on ne quitte pas son pays si facilement. Ceux qui prennent la mer ne le font pas par plaisir. La façon dont on traite les migrants, c’est effrayant.
J’ai toujours eu du mal à imaginer que je n’allais pas partager ce que je gagne. L’idée de mettre toute ma famille à l’abri m’a longtemps habitée.
Dans votre couple, faites-vous un portefeuille commun ? Qui paie quoi ?
Mercedes Erra : Mon mari est au foyer, donc je paye tout. Contrairement à certains hommes, je n’en tire aucun pouvoir. C’est son choix et ça ne doit pas être facile pour lui tous les jours. Donner de l’argent ne me pose aucun problème, par contre ne pas gagner mon argent n’est pas envisageable. Je pense que le meilleur équilibre, c’est quand tout le monde travaille. L’indépendance financière est importante.
Votre « cash modèle » féminin ?
Mercedes Erra : Je n’ai jamais eu de modèle. En revanche, j’ai rencontré des femmes qui m’ont beaucoup touchée. Je pense à Françoise Héritier, à Michelle Obama ou encore à Virginie Morgon, présidente du directoire de la banque d’investissement Eurazeo, et avec qui je co-préside Human Rights Watch. Leur intelligence, leur énergie, leur capacité à faire les choses me font du bien. J’admire aussi les femmes qui font le ménage et qui gagnent trois sous. Ce qui est noble pour moi, ce n’est pas l’argent mais l’implication au travail, la générosité, l’envie de construire.
L’Europe lance un nouveau billet. Vous avez le choix de la personnalité. Vous choisissez qui ?
Mercedes Erra : Une femme, c’est sûr ! Plutôt une artiste ou une intellectuelle, car elles ont été tellement invisibles. Je pense notamment à Françoise Héritier qui a fait avancer la pensée et que les gens ne connaissent pas assez. On parle de Claude Lévi-Strauss et rarement d’elle. Pourtant, elle a beaucoup écrit sur la domination masculine et sur le rapport entre les hommes et les femmes.
Vous trouvez un billet de 50 euros dans la rue, vous en faites quoi ?
Mercedes Erra : Je cherche à qui il appartient ! Je suis capable de ramasser les petites pièces dont tout le monde se fout mais un billet de 50 euros, ça me gêne. Je chercherais à le déposer quelque part, ou à le donner.
Le meilleur conseil sur l’argent que vous ayez reçu ?
Mercedes Erra : Je ne reçois jamais les bons conseils. Je n’aime ni l’argent de la bourse, qui est celui de la spéculation, ni celui des successions. J’aime l’argent du travail, ce n’est pas forcément ce qui rapporte le plus mais c’est ce qui a le plus de valeur à mes yeux.
Celui que vous aimeriez donner aux femmes ?
Mercedes Erra : L’indépendance financière est primordiale. Les femmes doivent travailler, se libérer en gagnant leur vie. Être capable de quitter un couple qui ne leur convient plus sans se poser de questions matérielles. C’est loin d’être un combat gagné ! Le Covid nous a ramenées à la maison. La pandémie a fait perdre 36 ans à la perspective d’égalité entre les femmes et les hommes dans le monde selon le Forum Économique Mondial de Davos.
Qu’est-ce qui, selon vous, freine encore les femmes ?
Mercedes Erra : Elles sont bloquées, car elles essaient encore de trouver un équilibre entre vie intime et travail. Elles ont peur que leur vie personnelle soit amputée par le travail. Elles portent tout, elles travaillent beaucoup plus que les hommes. Il faut partager, et pas seulement l’argent mais les responsabilités aussi. En ce sens, le télétravail n’aide pas car il a remis les femmes à la maison. Elles sont capables de frotter la cuisine en gérant une visio-conférence. Les femmes doivent avoir le droit au travail, à l’ambition et à la réussite. En échange, les hommes doivent assumer leur part de tâches domestiques.
Illustration : un grand merci à Marie Lemaistre et à Fllow