Il y a mille manières d’envisager et de vivre, seule ou à deux, cette ménopause qui est devenue, enfin, un sujet dont on parle. Parce qu’en parler va permettre une meilleure connaissance, une meilleure transmission de mère en fille, un meilleur regard que porte la société -et donc les individus- sur ce passage incontournable de nos vies, et pas si anodin.
Le sujet concerne la majorité des Françaises, et des Français !
Dans 15 ans, 50% des Françaises seront ménopausées, selon les projections démographiques. C’est peu dire que le sujet concerne la majorité des Français, puisqu’il touche aussi l’intimité des couples… et donc des hommes. Pourtant, jusqu’il y a peu de temps, c’était un “non-sujet ». En 2019, 42% des Français déclaraient en parler peu, 39% pas du tout, selon une enquête de la MGEN-Fondation des femmes.
L’année 2019 a d’ailleurs marqué en France l’ouverture du dialogue, avec cette enquête largement relayée par la presse, ainsi que “Ménopausées” un film documentaire sur France TV. Les nouveaux medias (podcasts et réseaux sociaux) se sont aussi saisis du sujet. Peu à peu, la parole se libère.
C’est à 46 ans que Mathilde a senti arriver sa première bouffée de chaleur. Signe fatidique annonciateur d’une obsolescence sociale programmée ? Ou présage de libération imminente du joug patriarcal ?
« Moi j’appelle ça l’âge de l’éventail ! » s’amuse Mathilde, directrice d’école à Paris. « Bien sûr, les bouffées de chaleur il a fallu s’y habituer. Mais à côté de ça, finies les règles, finis les regards insistants de certains hommes dans la rue… Pour les nullipares, c’est aussi la fin de l’injonction à la procréation. » Un vent frais et déculpabilisant pour toutes celles qui, comme Mathilde, n’ont pas eu d’enfants. Alors la ménopause, l’âge du soulagement ?
“ Pourquoi l’imaginaire populaire véhicule-t-il une image aussi négative de la ménopause ? "
Elisabeth, 63 ans, graphiste, photographe et écrivaine, remarque : «On nous rebat les oreilles avec le fameux “c’est le début de la fin” alors qu’à cinquante ans, la fertilité, sincèrement, on n’en a plus rien à faire. Ce n’est pas un âge où l’on a envie de faire des enfants. »
Alors pourquoi l’imaginaire populaire véhicule-t-il une image aussi négative de la ménopause ? Pour Elisabeth, « c’est vraiment la preuve que le corps des femmes est encore vu comme une machine à enfanter. À partir du moment où on n’est plus féconde, au mieux tu deviens transparente pour les autres, au pire tu inspires du dégoût. »
D’ailleurs, dès la quarantaine, il y a une injonction sociale à l’arrêt de la fécondité. Bien avant que les femmes ne soient stériles, la société et le corps médical leur enjoignent de ne plus faire d’enfants, et lorsqu’elles sont enceintes, on parlera de grossesses tardives donc considérées comme dangereuses. Les femmes subissent ainsi ce que la sociologue Cécile Charlap nomme « une ménopause sociale ».
La médicalisation du corps des femmes
« La ménopause n’est pourtant pas une notion universelle », constate Cécile Charlap. D’après la sociologue, « cette notion est culturellement et historiquement construite. En France, elle est essentiellement péjorative. Les manuels de médecine décrivent d’abord la ménopause comme un ensemble de troubles physiques, associé à un certain nombre de risques (cancer, ostéoporose), qu’il convient de limiter par des traitements, dont les hormones de substitution. On la réduit à une carence hormonale. »
Le corps médical a progressivement développé autour de la ménopause un langage en lien avec une maladie stigmatisante, fondée sur le symptôme et la déficience au regard de la fécondité. Malgré 11,5 millions de Françaises concernées, la ménopause serait-elle considérée en France comme une pathologie à traiter ?
Ceci expliquerait, sans les justifier, les sorties de chroniqueurs de plus de 50 ans tels que Yann Moix – qui en 2019 affirmait sans gêne se sentir incapable d’aimer des femmes de son âge – ou encore Guillaume Bigot, qui a poussé le sexisme jusqu’à comparer Sandrine Rousseau, finaliste de la primaire écologiste à une “Greta Thunberg ménopausée”, le 26 septembre dernier sur le plateau de CNEWS.
Elisabeth voit le côté positif : « Quel soulagement d’être libérées de l’attention d’hommes comme eux ! ».
“ Des premières règles à la ménopause, on pardonne moins au corps des femmes "
Dans son ouvrage Une ethnologie de soi. Le temps sans âge, Marc Auger souligne que dans notre société, l’homme n’est ni évalué ni discriminé sur son aspect physique, le passage du temps n’affecte pas la considération sociale que ses proches ou collègues lui portent. À l’inverse, la femme subit de plein fouet les conséquences de l’avancée de l’âge dans toutes les sphères de sa vie, sociale comme intime. « Des premières règles à la ménopause, on pardonne moins au corps des femmes », regrette Cécile Charlap.
“ Il est possible de vivre ce passage autrement que dans le secret "
Et la sexualité alors ? La société aime à considérer la femme de plus de cinquante ans comme inactive sexuellement. Catherine, comédienne de 54 ans, assure que son quotidien est plus coloré… « Ma vie sexuelle ne s’est pas arrêtée, loin de là ! La ménopause et notamment ma sécheresse vaginale ont été l’occasion pour moi de dialoguer avec mon partenaire et de faire évoluer nos pratiques. Il faut en parler, aucune raison que ce soit un tabou. »
Selon Cécile Charlap, le mouvement #MeToo a aussi été un acteur majeur de libération de la parole sur la ménopause : « Aujourd’hui, même Michelle Obama parle de ménopause ! » se réjouit la sociologue.
Que la ménopause sorte du silence et devienne un sujet de société, c’est une très bonne nouvelle pour les femmes. Il est possible de vivre ce passage autrement que dans le secret, d’en parler en couple sans complexe, et que la société l’accueille avec plus de naturel et de respect. Une chance pour toutes celles (et ceux) qui veulent dire oui au droit de mûrir !
Illustration pour ViveS : un grand merci à Rokovoko