L’infidélité financière, de quoi parlons-nous ?
Cette expression ne vous parle peut-être pas, toutefois, il est fort probable que vous ayez approché cette réalité, que ce soit par le biais d’histoires de proches, d’amis, de collègues ou pire, en l’ayant vous-même expérimentée. Si tel est le cas, rassurez-vous, vous n’êtes pas seul(e) ! En effet, selon une étude menée aux États-Unis en janvier 2022, un couple sur 3 a déjà été confronté à l’infidélité financière. En Grande-Bretagne, une enquête du Money Advice Service en 2015 révélait qu’1 Britannique sur 5 avait menti à son conjoint sur ses revenus, 1 sur 4 sur ses dettes.
Mais qu’est-ce donc que l’infidélité financière ? En quelques mots, c’est lorsqu’une personne dans un couple dissimule à son partenaire des questions et des décisions importantes liées à l’argent.
L’infidélité financière s’exprime sous différentes formes comme :
– Cacher des achats pouvant mettre en péril l’équilibre financier du couple
– Cacher ses comptes bancaires
– Extorquer de l’argent du compte joint
– Mentir sur son salaire ou ses revenus
– Mentir sur ses dettes ou l’état de ses comptes
– Avoir des cartes de crédit “secrètes” prises au nom du couple
– Prêter de l’argent du compte commun sans prévenir son / sa partenaire
Quelles sont les conséquences sur le couple de l’infidélité financière ?
Désastreuses, comme vous pouvez vous en douter.
Dans une autre étude menée par des chercheurs de l’University of Southern Mississippi, on y apprend que près de 8 couples mariés sur 10 impliqués dans une infidélité financière disent que l’expérience a eu un impact négatif sur leur relation. Certains couples n’y ont pas survécu, puisque 10% d’entre eux ont divorcé à la suite de cette découverte. Il faut dire que l’infidélité financière est plus souvent découverte qu’avouée. En effet, dans 9 cas sur 10 selon l’étude américaine, la personne victime l’apprend malgré elle.
Généralement, en ayant constaté une anormalité sur le compte (que ce soit un gros achat, des erreurs dans les comptes, un compte destinataire inconnu) ou en le découvrant “sur le vif” avec des colis inattendus, ou pire, un courrier adressé aux deux noms (oui oui) pour un recouvrement des créances.
Que dit la loi ?
Tout comme l’infidélité sentimentale, l’infidélité économique peut tomber sous le coup de la loi. Avant toute chose, comme nous le rappelle Maître Violaine De Filippis-Abate, il faut bien avoir en tête que la nature du lien conjugal fixe les contours du patrimoine commun.
Petit rappel :
Concubinage = pas de lien juridique entre les deux personnes, les patrimoines restent indépendants.
Pacs = c’est un lien principalement fiscal, c’est-à-dire qu’on peut déclarer ses revenus ensemble. Si rien n’a été prévu dans le contrat de PACS, les patrimoines restent indépendants.
Mariage = il y a 3 régimes différents de mariage.
– Un régime sans contrat de mariage, appelé “communauté réduite aux acquêts”. Les biens acquis après le mariage sont communs ; ceux acquis avant, restent la propriété séparée de chacun.
– Un régime avec contrat de mariage de communauté universelle : tout ce qui est acquis avant et après est commun aux deux.
– Un régime avec contrat de séparation de biens : chaque époux conserve son propre patrimoine, même après le mariage.
Me De Filippis-Abate précise qu’en cas de PACS ou de mariage, il existe une règle de solidarité pour les dettes ménagères :
« Pour les dépenses courantes, c’est-à dire celles de la vie de tous les jours, la règle est celle de la solidarité. Cela signifie que si vous ou votre conjoint(e) engage des dépenses, par exemple, pour les enfants (alimentation, loisirs, éducation, etc.), ou le domicile conjugal (eau, électricité, etc.) les deux époux sont redevables de leur montant. Dans certains cas, vous ne serez pas nécessairement tenue d’assumer solidairement ces dépenses courantes. En effet, en cas de litige, les juges recherchent le caractère “manifestement excessif” pour décider si la solidarité entre époux s’applique. Ainsi, ils peuvent écarter votre responsabilité s’ils estiment soit que les dépenses ne correspondent pas au train de vie du ménage, soit qu’elles sont inutiles, soit que l’époux qui les a engagées était de mauvaise foi (notamment si vous apportez la preuve que vous l’aviez informé de votre désaccord). ».
Ce ne sont que des éléments généraux de réponse, et en cas de problème, le mieux est évidemment de consulter une ou un avocat, dont les honoraires peuvent être pris en charge par l’État en fonction de vos revenus.
Que disent les auteurs des faits ?
Ne soyons pas mauvaise langue, et intéressons-nous aux motivations de cette infidélité. Pour près de 4 personnes sur 10, il s’agit avant tout d’éviter une dispute, et c’est d’ailleurs l’explication qui revient le plus à travers le panel américain. Motifs suivants : une gêne liée à une mauvaise gestion de l’argent, le besoin de se sentir en contrôle, la volonté d’aider un proche et la dernière raison qui ne concerne que 7% des individus : pour éviter de parler de mauvaises nouvelles.
S’il y a bien un conseil à avoir en tête concernant l’argent dans le couple, c’est celui-ci : “L’argent est la plus facile des conversations difficiles.”
En effet, chaque décision importante de la vie aura un coût psychologique, certes, mais aussi financier. L’arrivée d’un enfant implique forcément de l’argent. Autre exemple, si vous êtes amenés à devoir prendre en charge vos parents en perte d’autonomie, cela aura un coût financier également. Épargnez-vous de devoir gérer une séparation ou une crise de couple en même temps qu’une épreuve de la vie, et aménagez, si possible, cette conversation.
Revenons-en à notre infidélité financière. Comment l’éviter ?
Vous l’avez compris, la clé, c’est la communication. Ce n’est pas un hasard, puisque la communication est aussi l’un des piliers du couple, comme quoi, tout se recoupe.
Voici un “protocole” en 4 étapes pour aborder la question de l’argent : dédramatiser, analyser, partager, agir.
1) Dédramatisons ! Cette phrase anodine est clé pour moi : l’argent est la plus facile des conversations difficiles dans le couple.
2) Analysez : votre héritage financier, émotionnel, votre rapport à l’argent et partagez vos « résultats » avec votre partenaire. (Voir ci-dessous l’exercice)
3) Partagez : planifiez un temps dans l’agenda avec votre partenaire qui sera dédié à cette conversation. Ainsi, aucun risque de s’échapper ;). Si cela fait plusieurs mois, plusieurs années que vous êtes ensemble, il n’est jamais trop tard pour faire un point.
4) Agissez : durant votre échange, livrez votre analyse sur la situation financière du couple et réfléchissez à des solutions qui vous conviennent à tous les 2 (loyer au prorata du salaire, outil comme Tricount pour la gestion des finances, organisation d’un point mensuel autour de la “comptabilité” du couple, les Américains appellent ça des “money meetings”, si la langue de Shakespeare ne vous gêne pas trop, ce peut être un chouette nom).
Exercice pour analyser votre rapport à l’argent :
A) Prenez une feuille et faites la liste de l’ensemble des personnes vous ayant directement ou indirectement éduqué(e): vos parents, vos grands-parents, vos tuteurs, etc., que nous allons appeler ici la « famille”
B) Pour chaque personne identifiée (ou chaque groupe de personnes), prenez le temps de vous poser ces questions:
- Est-ce que ma famille dépensait beaucoup d’argent ?
Si oui, s’est-elle déjà retrouvée dans des situations complexes ?
Si non, se privait-elle ? - Est-ce que j’entendais mes parents en parler ouvertement devant moi enfant, dans un contexte anxiogène ou pressurisant ? Et quelles émotions ai-je ressenti (joie, tristesse, peur, colère) à ce moment-là ?
- Comment vivait ma famille au quotidien pour la gestion des courses ?
- Comment s’organisait ma famille financièrement pour les vacances ?
C) Et vous dans tout ça…
Maintenant que vous avez dressé “l’état des lieux” de votre héritage financier émotionnel, de l’origine de votre rapport à l’argent, il est temps de se concentrer sur vous.
- Quels souvenirs gardez-vous de votre rapport à l’argent ?
- Quel regard portez-vous sur la relation à l’argent de votre famille ?
- Est-ce que pour vous l’argent est un signe de reconnaissance sociale et de valorisation ?
- Est-ce que l’argent représente la satisfaction d’un besoin de sécurité ?
- Est-ce que l’argent est un moyen de plaisirs, un moyen d’influence ?
- Que souhaiteriez-vous garder du rapport à l’argent de votre famille ?
- Que souhaiteriez-vous au contraire ne pas reproduire dans votre couple / famille ?
Pour conclure
Se rendre compte que l’être aimé nous trompe n’est jamais évident. Mais un cœur blessé remonte plus vite la pente lorsqu’il a les moyens pour le faire, et qu’il est en sécurité financière. En France, aujourd’hui, les mères de familles monoparentales sont les plus touchées par la précarité. On ne pense jamais à l’après lorsqu’on se met en couple, et pourtant cela éviterait des situations comme “je mets le bien immobilier à mon nom, et tu t’occupes des charges, car on s’aimera toujours”.
Formons-nous, intéressons-nous à ces questions autour de l’éducation financière, peu importe que l’on travaille ou non. Il existe des ressources abordables. Nous avons toutes droit à la liberté financière et à cette éducation.
Illustration : un grand merci à Marie Lemaistre et l’agence Fllow