“ Le monde actuel multiplie les obstacles et les frictions pour les adultes qui souhaitent aider leurs parents dépendants "
Cependant, la disponibilité des aidants dans le cercle familial est loin d’être un acquis. Tout le monde n’a pas une grande famille – surtout avec la raréfaction des familles nombreuses. A cela s’ajoute l’éparpillement géographique des familles, et pour les adultes entrés dans la vie active, il est bien difficile d’aider leurs parents dans le besoin.
Quand bien même la distance géographique n’est pas si grande, le monde actuel multiplie les obstacles et les frictions pour les adultes qui souhaitent aider leurs parents dépendants. Les heures travaillées sont de plus en plus nombreuses et il est difficile de négocier des moments d’absence avec son employeur.
Surtout, le taux d’activité augmente. Même si beaucoup de femmes travaillent à temps partiel ou pas du tout, elles sont de plus en plus nombreuses à occuper un emploi. Il y a donc de moins en moins, dans les foyers d’aujourd’hui, de personnes capables de disposer de leur temps de façon flexible et sans un coût économique significatif. Si l’on veut aider des proches dépendants comme le faisait une femme au foyer dans les années 1960, on est souvent contraint de quitter son emploi, fût-ce temporairement ou partiellement, et de renoncer à son salaire.
Les aidants sont nombreux (en 2020, ils sont 11 millions en France, dont 79% aident un membre de leur famille) et pourtant leur condition est particulièrement pénible. Ils sont confrontés à une charge méconnue et usante, entre temps passé, charge mentale, coût financier.
“ Il est urgent de reconsidérer l’image de l’aidance et de renvoyer une vision plus positive de cette fonction essentielle ? "
Les aidants sont souvent perçus négativement par leurs supérieurs et leurs collègues, non sans conséquences négatives : on est trop souvent dans le déni face à l’aidance, y compris lorsqu’on est aidant soi-même ! Faute de pouvoir partager cette expérience et cette condition d’aidant, on est conduit à les refouler et même à en avoir honte. Le baromètre des aidants de 2020 indique que moins de 4 aidants sur 10 se considèrent comme tels, ce qui montre la difficulté à intégrer ce statut.
Parmi la population des aidants, 62 % travaillent (54 % sont salariés). Les principales difficultés qu’ils déclarent sont le manque de temps, la complexité des démarches administratives et la fatigue physique.
Parce que le besoin d’aide ne va faire que monter en puissance dans les années et les décennies à venir, il est urgent de reconsidérer l’image de l’aidance et de renvoyer une vision plus positive de cette fonction essentielle qu’ils remplissent auprès de leurs proches.
“ Les aidants sont de meilleurs collègues, de meilleurs managers, de meilleurs citoyens "
Être aidant, c’est en effet une activité formatrice, dans laquelle on développe des compétences essentielles. Les qualités humaines, mais aussi le savoir-faire logistique, financier et managérial acquis lorsqu’on aide des personnes en situation de dépendance font que les aidants sont de meilleurs collègues, de meilleurs managers, de meilleurs citoyens. Thierry Calvat, sociologue et co-fondateur du Cercle Vulnérabilités et Société, en fait une analyse très intéressante qui montre que les aidants ont un “coup d’avance”, notamment dans des contextes de crise comme celui que nous traversons. Leur capacité de résilience, d’auto-organisation, de résolution de problème complexe, de coordination du travail des autres mais aussi de prise de décision font d’eux « des collaborateurs extrêmement contemporains et adaptés aux défis à venir ».
Cette façon unique dont les aidants se distinguent et sortent du lot doit être reconnue dans le monde de l’entreprise. Trop souvent, on fait payer aux collaborateurs le fait de devoir consacrer du temps et de l’attention à aider un proche. Il est temps que les entreprises -et les managers- changent leur regard sur les aidants en leur sein et commencent à leur apporter non seulement de la reconnaissance, mais aussi des outils et des modes de travail adaptés à leurs contraintes.
“ Si l’entreprise et les pouvoirs publics changeaient de regard sur l’aidance, c’est toute la société qui suivrait "
Tout comme l’entreprise, les pouvoirs publics doivent changer leur relation aux aidants, car ils sont un pilier invisible de notre système de santé. Pour commencer, il faudrait simplifier la bureaucratie de l’aidance. Et il y a de quoi faire ! Des organisations telles que les caisses de sécurité sociale et les EHPAD pourraient devenir des facilitateurs, et éviter que le temps de l’aidant soit dépensé en démarches et en formulaires, là où il pourrait servir auprès de leur proche pour lui faire la conversation et lui tenir la main.
Si l’entreprise et les pouvoirs publics changeaient de regard sur l’aidance, c’est toute la société qui suivrait et accepterait de valoriser enfin cette activité essentielle. Les professionnels de l’aidance, au lieu d’être considérés comme des travailleurs peu qualifiés, seraient enfin reconnus et payés à leur juste valeur. De plus en plus de travailleurs, attirés par ces conditions améliorées, se tourneraient vers les métiers de l’aidance, venant ainsi épauler les aidants membres de la famille pour toutes les tâches qui relèvent plus de professionnels.
Car l’aidance est bien plus qu’une relation intime entre deux personnes, celle qui a besoin d’aide et celle qui est présente à ses côtés. L’aidance, c’est une mise en réseau d’une multitude d’individus : les membres de la famille, les amis et autres proches, les professionnels dont on ne peut souvent pas se passer, et la personne en situation de dépendance elle-même, qui est au centre de ce réseau.
Aujourd’hui ces réseaux sont invisibles : les aidants familiaux sont isolés, les professionnels ne sont pas reconnus. Si ces réseaux émergent enfin au grand jour, alors entreprises et pouvoirs publics pourront s’y intégrer pour faire de l’aidance une activité enfin valorisée à la hauteur de ce qu’elle apporte à la société et à chacun d’entre nous.
Illustration : un grand merci à Wood et l’agence Virginie