En effet, les inégalités face à l’argent commencent tôt, très tôt. Toutes les études le disent : les garçons obtiennent plus d’argent que les filles. Récemment, le baromètre d’une néo-banque (Pixpay, qui offre des services à destination des ados), a montré que les garçons reçoivent en moyenne 4€ d’argent de poche de plus par mois que les filles. Les inégalités se creusent en grandissant : les filles de 16-18 ans perçoivent alors en moyenne 10 euros de moins que les garçons. Cette étude n’est pas isolée : au Royaume-Uni, une autre étude parle d’un écart de 20% !
Comment expliquer ces inégalités si précoces ? Et que peut-on ou doit-on faire en tant que parent pour lutter contre ces inégalités ?
Nous avons des attentes différentes vis-à-vis de nos filles et de nos garçons
Bien sûr, il n’y a rien d’étonnant à ce que nous répliquions en tant que parents les normes de genre de la société que nous avons nous-mêmes intégrées. Nous avons des attentes différentes vis-à-vis de nos filles et de nos garçons, et cela s’exprime souvent par des différences insidieuses dans l’éducation qu’ils reçoivent. Peu de parents disent qu’ils veulent que leur(s) fille(s) gagne(nt) moins d’argent mais ils accordent néanmoins plus d’importance à l’argent des garçons, souvent inconsciemment.
Il n’en demeure pas moins qu’un écart de 12 à 20% dans l’argent de poche reste surprenant à l’époque moderne ! Beaucoup de parents font consciemment l’effort de donner à leurs enfants une éducation non genrée et souhaitent pour leurs filles la plus grande indépendance financière possible. Alors comment expliquer un tel écart ? Les études pointent dans trois directions :
- le comportement acquis (et encouragé) des garçons en matière d’argent
- la valorisation différenciée des tâches (vaisselle, linge, pelouse, voiture…)
- le paiement en nature plus courant chez les filles.
Selon l’enquête américaine “Parents, Kids & Money Survey” de 2016, les parents déclarent que leurs fils posent davantage de questions concernant l’argent que leurs filles. D’une part, cela repose sur l’apprentissage de comportements associés au genre : les garçons sont encouragés à exiger, gagner et dépenser leur argent tandis que les filles sont invitées à rester plus modestes puis à économiser leurs sous. D’autre part, cela pourrait aussi indiquer qu’il en va de l’argent comme de beaucoup de choses : on prête plus d’attention aux demandes des uns que des autres. C’est ce que la journaliste britannique Mary-Ann Sieghart développe dans son livre passionnant The Authority Gap : Le fossé de l’autorité, pourquoi les femmes sont moins prises au sérieux que les hommes, et ce qu’on peut faire pour y remédier. Remarquablement documenté, son livre analyse et déconstruit la sous-estimation récurrente de la compétence des femmes, y compris par elles-mêmes, ce qui sape leur autorité et limite leur pouvoir.
La deuxième raison de l’écart en matière d’argent de poche est (déjà !) liée au travail. Eh oui, dès l’enfance, les enfants ne font pas tout à fait les mêmes tâches à la maison. La division sexuelle du travail commence tôt : les filles s’occupent un peu plus du linge et de la vaisselle, ces tâches répétitives et peu valorisées qui ne laissent pas de traces ; les garçons, eux, tondent plus souvent la pelouse et/ou lavent la voiture, des tâches qui ont un caractère plus occasionnel et dont il reste des traces visibles pendant au moins quelques jours. Ainsi, selon un sondage Ifop, 55% des filles exécutent « souvent » ou « parfois » les tâches liées au linge, contre seulement 39% des garçons. Sans surprise, quand les parents rémunèrent leurs enfants pour leur aide laborieuse, ils rémunèrent davantage les tâches jugées plus « exceptionnelles ».
Enfin, les études déjà citées indiquent que les garçons sont plus susceptibles de se voir proposer des paiements monétaires réguliers tandis que les filles se voient, en moyenne, offrir plus de cadeaux “en nature”. Comme elles apprennent à faire plus attention à leur apparence, elles reçoivent souvent des cadeaux (vêtements, chaussures, maquillage) plus coûteux. Du coup, les parents “compensent” en donnant plus d’argent aux garçons pour équilibrer les choses. C’est donc paradoxalement le désir d’équité des parents qui nourrit les inégalités de genre face à l’argent !
3 conseils pratiques à destination des parents qui ne se résignent pas aux inégalités
On l’a compris, il existe un déséquilibre précoce en matière d’argent et d’indépendance financière entre les filles et les garçons. Mais il n’y a pas de raison de se résigner à l’accepter ! Depuis quelques années, les questionnements sur l’éducation « genrée » et les revendications féministes en la matière font avancer les choses. Voici donc quelques conseils pour les parents soucieux de l’éducation financière (non genrée) de leur progéniture :
- Et si vous mettiez explicitement l’accent sur l’acquisition de compétences en matière de finances ? Alors que l’inflation fait rage, la période actuelle est propice aux moments éducatifs sur l’argent, le système monétaire et l’économie en général. Notre éducation économique et financière est généralement insuffisante : formons-nous avec nos enfants ! Gérer un budget, épargner, investir… ces sujets méritent d’être enseignés dès le plus jeune âge, qu’il s’agisse des filles ou des garçons. Cela peut passer aussi par des activités comme des jeux de rôle, des simulations et des études de cas pour aider les enfants à développer leurs compétences financières de manière pratique et intéressante.
- Visez une éducation financière inclusive. C’est simple, la majorité des contenus sur l’argent sont produits par et pour le genre masculin. Donnez à voir un éventail de perspectives et d’expériences en matière d’argent et de finances : celles d’un petit garçon chinois, d’une petite fille mexicaine et d’une vieille dame française… Pour les enfants, il est important d’intégrer matériels et activités qui donnent l’occasion d’explorer et d’exprimer leurs points de vue sur l’argent et les finances. Concrètement, chacun doit pouvoir apprendre à en parler en famille sans complexe et sans tabou et trouver sa propre manière de valoriser ses forces singulières pour gagner de l’argent…
- Attention à l’égalité quand vous rémunérez le travail domestique ! Il n’y a pas de consensus sur le fait de savoir si c’est « bien » ou « mal » de payer les enfants pour effectuer des corvées. Certes, il est important qu’ils apprennent à faire leur part pour la communauté sans en attendre de rémunération, et qu’ils prennent conscience de la gratuité dont eux aussi bénéficient. Mais il existe bien des tâches que l’on fait faire parfois à des professionnels, alors pourquoi ne pas rémunérer les enfants pour effectuer ces tâches ? Pour certains parents, c’est un moyen de transmettre la valeur de l’argent et le sens de l’effort. Attention toutefois à ne pas répliquer dans la sphère domestique la dévalorisation du travail « essentiel » : les petites tâches répétitives (étendre une lessive, vider le lave-vaisselle) sont invisibilisées tandis que les grosses tâches occasionnelles (laver la voiture, tondre la pelouse) sont valorisées. Mais est-ce que vider le lave-vaisselle pendant une semaine, cela ne représente pas un effort de même ampleur que tondre la pelouse ? Un tableau familial affiché sur le réfrigérateur peut permettre de rendre visibles les corvées et de les faire tourner…
Illustration : un grand merci à Jon Krause