Qu’elles soient mariées ou en union libre, les femmes hétérosexuelles ont une probabilité assez forte de se séparer de leur conjoint et de s’en trouver appauvries en conséquence. S’y préparer ne veut pas dire provoquer la séparation (de même que préparer ses obsèques ou rédiger son testament n’est pas cancérigène !)
“ La peur de la pauvreté et de la souffrance de ses enfants l’ont retenue dans un mariage qui la faisait souffrir ”
Fille de parents divorcés, j’ai grandi avec l’idée que le célibat ou le divorce étaient des situations plus « normales » que celle d’être heureux en couple. Il faut dire que même avant leur séparation, mes parents ne m’ont pas offert une vision positive du couple. Ma mère, qui s’est mise à travailler à temps partiel après la naissance de deux enfants (moi puis mon frère – elle avait déjà une fille d’un premier mariage), a enduré un mariage malheureux pendant des années avant de finalement oser demander le divorce. La peur de la pauvreté et de la souffrance de ses enfants l’ont retenue dans un mariage qui la faisait souffrir.
Il est important de le rappeler : l’augmentation des séparations et des divorces par rapport à il y a un siècle est d’abord le signe positif d’une émancipation féminine ! Autrefois, de nombreuses femmes souffraient de violence, de désamour et d’exploitation sans pouvoir prendre le large parce qu’elles étaient totalement dépendantes économiquement de leur conjoint. Elles n’avaient nulle part où aller. Aujourd’hui, un plus grand nombre d’entre elles a le choix de partir. D’ailleurs, c’est ce schéma-là qui reste dominant : dans les couples hétérosexuels mariés, trois divorces sur quatre sont à l’initiative des femmes.
La séparation reste un sujet plus « féminin ». Elles pensent plus souvent à la rupture. On le comprend : une part disproportionnée de la charge émotionnelle du couple et de la charge mentale du foyer pèse sur leurs épaules, tandis qu’elles y perdent plus économiquement. L’écart de revenus entre hommes et femmes se creuse au sein du couple: il est de 42% pour les personnes en couple ! En moyenne, elles subissent aussi davantage de violences physiques et psychiques. En bref, le couple n’est globalement pas une institution qui leur est très favorable, ce qui peut expliquer qu’elles prennent plus souvent la décision de partir.
“ Suite à un divorce, une femme sur cinq bascule dans la pauvreté ! ”
L’Insee le montre clairement : les séparations sont un « choc financier » surtout pour les femmes. Le divorce engendre une perte de niveau de vie de 22% pour les femmes (seulement 3% pour les hommes). Même si cette perte est en partie comblée dans les 2 ans qui suivent. Suite à un divorce, une femme sur cinq bascule dans la pauvreté ! Cela fait 20% des femmes, du côté des hommes ils sont 8%. Et la baisse du niveau de vie féminin à tendance à s’accentuer avec l’âge – le mariage ayant eu plus de temps pour les appauvrir.
La séparation induit la fin de la mise en commun des ressources et du partage des dépenses de logement. Comme les femmes ont plus souvent la garde des enfants, elles doivent faire face à des dépenses plus importantes que les pensions alimentaires et prestations sociales ne suffisent généralement pas à compenser. Plus il y a d’enfants à charge, plus le risque de pauvreté est important. Comme le souligne la journaliste Lucile Quillet dans un ouvrage remarquable intitulé Le prix à payer, « pour les femmes, le nombre d’enfants à charge n’est pas synonyme de ristourne, bien au contraire : il est un facteur d’augmentation du risque de basculement dans la pauvreté. Avoir deux enfants à charge augmente de 34% les chances de tomber dans la pauvreté par rapport aux mères avec un seul enfant à charge. Vivre avec trois enfants ou plus fait grimper ce risque à 79%. »
“ Un meilleur partage des tâches parentales dans le couple a un double effet positif ”
Fait intéressant, lorsque les enfants sont en garde alternée, la perte de niveau de vie est mieux répartie entre les hommes (-13%) et les femmes (-18%), précise l’Insee. Autrement dit, la question d’un meilleur partage des tâches parentales dans le couple a un double effet positif : d’une part, la carrière des femmes ralentit moins avec la maternité (et elles perdent moins de revenus) ; d’autre part, les séparations sont moins coûteuses pour elles car les pères restent plus investis dans la parentalité, même au-delà de la vie du couple. Il est remarquable que ce sont au départ les couples plus égalitaires du point de vue économique qui décident de mieux partager la parentalité le cas échéant. Ces personnes divorcées sont souvent plus diplômées.
La monoparentalité et la pauvreté sont deux phénomènes hélas encore intimement liés. Les femmes qui élèvent leurs enfants seules restent plus pauvres, et leurs enfants aussi : 46% des enfants qui vivent seulement avec leur mère sont pauvres. Les pensions alimentaires moyennes, quand elles sont payées, s’élèvent seulement à 170 euros par mois par enfant, mentionne Lucile Quillet (source Insee), qui écrit quelques pages révoltées sur l’asymétrie de la charge des enfants après une séparation : « Une mère de famille monoparentale ne peut pas décider de pouvoir ou pas : elle n’est pas parent dans la limite de son revenu disponible. Elle a des enfants à temps complet et des bouches à nourrir. (…) Ils ne peuvent pas. Mais elles n’ont pas le choix. » Et ce sont elles qui doivent toujours courir après l’argent qu’on leur doit…
“ Avec les progrès de l’égalité est venue l’idée que tout était affaire de choix individuels et que les protections patriarcales n’avaient plus vraiment lieu d’être ”
Certes, l’augmentation des séparations suit une plus grande libéralisation des mœurs et un « empouvoirement » relatif des femmes. À mesure que les femmes s’émancipent économiquement, elles sont plus nombreuses à être assez indépendantes pour pouvoir sortir de situations de couple délétères. Il est important de rappeler que, depuis les années 1970, les progrès de l’émancipation féminine sont immenses. Cependant, depuis le début du XXIe siècle, on observe un net ralentissement de ces progrès et une évolution en demi-teinte. Parmi les couples mariés, on divorce moins, mais cette évolution masque autre chose : il y a beaucoup plus d’unions libres dans lesquelles les femmes ne sont pas autant protégées.
Avec les progrès de l’égalité est venue l’idée que tout était affaire de choix individuels et que les protections patriarcales n’avaient plus vraiment lieu d’être. Plus de femmes sont dans des situations où le régime de séparation de biens est la norme (unions libres) ; or le régime de communauté de biens reste un mécanisme redistributif essentiel. Dans les unions libres, il n’y a ni prestation compensatoire ni pension de réversion après le décès d’un “ex”. Parmi les couples mariés, plus de couples font le choix du régime de séparation de biens. Les juges pensent que les protections patriarcales sont devenues obsolètes et accordent des compensations de moins en moins importantes.
Pourtant les femmes en couple hétérosexuel continuent de « payer » une pénalité maternelle importante : le travail gratuit (ménage, garde et éducation des enfants) occupe les deux tiers des 54 heures de travail hebdomadaires réalisées par les femmes en couple, tandis qu’il ne représente qu’un tiers des 51 heures travaillées par les hommes chaque semaine, expliquent Céline Bessière et Sibylle Gollac dans Le genre du capital. Cela explique le ralentissement des carrières féminines et le manque à gagner qu’elles subissent au fil du temps. Ainsi, les inégalités patrimoniales se sont creusées depuis vingt ans. Elles restent moins souvent propriétaires de biens immobiliers, et cela ne semble pas évoluer positivement.
“ Se préparer dès le début à l’éventualité d’une séparation et ne pas évacuer le sujet d’un revers de la main parce que ça « tue l’amour » est essentiel ”
Certes, la séparation est moins certaine que la mort, mais elle est un choc dont la probabilité reste élevée. Se préparer dès le début à l’éventualité d’une séparation et ne pas évacuer le sujet d’un revers de la main parce que ça « tue l’amour » est essentiel. Cela n’augmente en rien les chances de séparation, au contraire. Des discussions franches et claires sur la situation matérielle de l’un et de l’autre sont une marque de respect et ajoutent à la bonne santé d’un couple. Il existe au moins trois manières de s’y préparer :
1. Les choix de vie pour le foyer doivent être planifiés avec assurances et compensations futures : une femme qui renonce à une promotion pour la maternité, passe à temps partiel pendant plusieurs années pour s’occuper des enfants, suit son conjoint dans une expatriation, peut négocier des compensations futures, une épargne dédiée à son nom, etc. Il ne s’agit pas de ne jamais faire ces choix, mais d’en mesurer les coûts pour celle qui fait des sacrifices de carrière qui auront un impact financier important en cas de séparation. Lucile Quillet l’explique bien : « D’un coup, les choix faits autrefois à deux sont de votre seul ressort. “Il fallait y réfléchir avant, Madame”, leur dit-on ». Plutôt que de découvrir le montant de la facture au moment de la séparation, il faut en « budgéter » le coût individuel en amont.
2. La gestion patrimoniale et la connaissance des enjeux financiers du foyer se partagent dès le début : depuis 1985, la loi française a fait des femmes des gestionnaires à égalité au sein du foyer, mais en général, elles s’occupent surtout des finances du couple quand l’argent manque (c’est la « gestion de la misère »). Plus les foyers sont riches, plus les hommes ont le monopole des connaissances patrimoniales et des relations avec les professionnels de gestion de fortune, expliquent les autrices du Genre du capital. S’efforcer de s’intéresser très tôt à ces sujets, d’en parler avec ses pairs, des conseillers, des notaires, des amies… c’est essentiel !
3. Les anciennes protections patriarcales sont toujours pertinentes : régime de communauté des biens, prestations compensatoires, pensions alimentaires, pensions de réversion… continuent de jouer un rôle de redistribution. Ces protections atténuent les inégalités de genre. Évitons de les déclarer trop vite « obsolètes » ! En particulier avec l’arrivée d’un enfant, le mariage, un PACS ou tout autre contractualisation restent pertinents.
Illustration : Un grand merci à Wood et l’agence Virginie