Surpassant mes craintes, nous avons ensemble envisagé différents scénarios qui pourraient la faire basculer de son domicile à un EHPAD, voire à d’autres types d’habitats plus adaptés, au moment où elle pourrait perdre son autonomie.
“ Comment parler avec nos parents de ces choix à faire ? "
Dans le film The Father, avec Anthony Hopkins et Olivia Colman, la fille n’a pas cette opportunité de pouvoir échanger au préalable avec son père. Elle se retrouve face à la perte de mémoire de celui-ci qui s’accentue de jour en jour. Elle doit prendre seule la décision de faire intervenir des professionnels, puis de l’accueillir chez elle, et en dernier recours, désemparée, ne sachant plus comment agir, elle se résout à placer son père en EHPAD.
Combien d’enfants (les “proches aidants”) sont ainsi obligés de prendre la décision si difficile de cette entrée en institution ? Comment parler avec nos parents de ces choix à faire ? Faut-il les forcer à la discussion, ou respecter qu’ils ne sachent pas ou ne veuillent pas savoir ? Comment se positionner quand la décision prise par nos parents ne correspond pas à la nôtre, quand notre mère commence à moins se laver, à dormir toute la journée, et à oublier, tout en disant clairement qu’elle ne veut pas aller vivre en EHPAD ?
“ 1 Français sur 6 est un proche aidant "
En France, nous sommes 11 millions de “proches aidants”, soit 1 Français sur 6. Plus de 40 % de ces proches accompagnent des personnes âgées en perte d’autonomie, vivant à domicile le plus souvent. Et 82 % consacrent au moins 20 heures par semaine en moyenne à leur(s) proche(s). Mais en quoi consiste cette aide ? C’est à la fois accompagner son parent à un rendez-vous médical, résoudre des problèmes administratifs, coordonner le passage de professionnels, l’aider à s’habiller etc., mais c’est surtout une présence et une écoute.
Devenir aidant peut être terrorisant, comme parfois salvateur et créateur de nouveaux liens, mais on devient rarement aidant de façon foudroyante. Bien souvent, cela s’intègre peu à peu dans nos quotidiens de manière silencieuse, face à une lente diminution des capacités physiques ou psychiques de nos parents. Car oui, les proches aidants sont majoritairement les enfants des personnes âgées en perte d’autonomie, et près de 60 % des proches aidants sont des femmes !
“ De multiples décisions qui jalonnent le parcours d’aidants et qui accaparent l’esprit "
Comme le dit Sandra Laugier, professeure de philosophie à la Sorbonne et spécialiste du Care, ce sont les femmes qui sont les premières à prendre soin, à la fois dans la sphère familiale en tant que conjointe ou fille, mais aussi dans le monde professionnel, comme aides-soignantes (91 % de femmes) ou infirmières (87 % de femmes). Ce sont donc le plus souvent des femmes qui prennent ces décisions du quotidien avec ou pour leurs parents, alors que le care, ce “prendre soin”, ne concerne pas que les femmes, mais bien tout le monde. Les projections démographiques montrent d’ailleurs qu’en 2030, 1 personne sur 4 au sein de la population active sera « aidant ».
Il ne s’agit pas que du choix du dernier lieu de vie, mais de multiples décisions qui jalonnent le parcours d’aidants et qui accaparent l’esprit : quel accompagnement médical et humain choisir ? Comment financer les différents accompagnements ? Que dire à notre environnement professionnel quand nos parents nous appellent au travail ?
Ces décisions entrent parfois en tension avec d’autres exigences familiales et professionnelles. Quand l’entreprise américaine Levis veut accorder jusqu’à huit semaines de congés payés par an pour ses salariés aidants, on se dit qu’on est à deux pas de briser certains tabous et de pouvoir tenter d’ouvrir avec nos parents des espaces d’échanges. Mais pour ce faire, il faudra sûrement accepter de se sentir parfois mal à l’aise, écouter leur singularité et comprendre que leur choix ne correspond pas toujours au nôtre.
Illustration pour ViveS : un grand merci à Laurence Bentz et à l’agence Virginie.