Je pense aux propos affligeants de quinquagénaires comme Yann Moix ou Guillaume Bigot, remplis de mépris pour les femmes de leur âge. Il y a aussi des chiffres qui parlent, comme ceux d’une enquête menée par Ifop en 2014 : 46 % des femmes de plus de 50 ans déclarent ne plus avoir du tout de rapports sexuels. Ou encore une étude de 2006 Inserm-Ined montrant qu’une personne sur trois (homme ou femme) de plus de 50 ans n’est pas satisfaite de sa vie sexuelle.
La petite voix est revenue de plus belle : « Encore quelques années et ce sera ton tour. » Tic, tac. Le compte à rebours est lancé avant la fin programmée de ma sexualité. C’est peut-être pour me rassurer que j’ai voulu aborder la question de l’intimité et de l’âge dans un podcast : intitulé ironiquement « Coups de vieux », le but était de faire entendre des personnes âgées qui ont une vie sexuelle riche et épanouie. Le compte à rebours devait cesser, la petite voix devait se taire.
“ Parmi les tabous associés à l’âge, la sexualité est sans doute le plus tenace ”
Consternée par les déclarations de Yann Moix (et le mal terrible que ces petites phrases ridicules peuvent faire), la psychanalyste Catherine Grangeard a elle, décidé d’écrire un livre : « J’étais terriblement énervée, mais j’ai voulu réagir sur du temps long », me dit-elle. Des témoignages entendus dans son cabinet, des questions, des films, des livres, elle a tiré son livre Il n’y a pas d’âge pour jouir, pour déconstruire l’idée qu’à partir d’un certain âge la sexualité serait terminée. « On ne change pas nos habitudes lorsqu’on franchit une nouvelle décennie. 40, 50 ans… seule notre carte d’identité témoigne de notre tranche d’âge. Et il y a des gens pour qui la santé sexuelle est centrale dans leur vie. »
Or parmi les tabous associés à l’âge, la sexualité est sans doute le plus tenace. D’un côté, la libido, le désir, le plaisir peuvent rester présents, mais ils se heurtent à la pression extérieure. « La sexualité est encore extrêmement reliée à la reproduction, explique la sexologue Dominique Lefebvre. Pour les femmes tout particulièrement : une femme qui s’approche petit à petit de la ménopause, c’est une femme qui ne pourra bientôt plus se reproduire. » Rare influenceuse de sa génération à travers son compte Instagram Fifty years of a woman, Caroline Ida parle même de date de péremption : « Comme pour les yaourts, tout se passe comme si la ménopause était une date de péremption, qu’on n’était plus bonnes à faire l’amour. C’est évidemment complètement faux ! ».
Et pour cause : pour certaines, le cap de la ménopause peut être libérateur. « Les femmes n’ont plus à utiliser de contraception, leurs enfants ont grandi, celles qui avaient des règles douloureuses ne souffrent plus », détaille Catherine Grangeard. « Toutes les femmes ne souffrent pas, non plus, de bouffées de chaleur, ni de sécheresses vaginales. Celles qui me parlent de leurs nouvelles rencontres produisent bien de la cyprine. La libido prend le relais. »
“ La libido des 45-54 ans est bien plus forte qu’on ne croit ”
Justement, comment notre libido évolue-t-elle avec le temps ? En juillet dernier, la marque de sextoys We-vibe a réalisé avec Appinio une enquête auprès de 14 500 personnes dans 17 pays. En France, les 45-54 ans évaluent leur libido à 6,7/10. C’est à peine en dessous de la note française, tous âges confondus, qui se situe à 6,9, et c’est au-dessus de l’évaluation des 36-54 ans qui, tous pays confondus, estiment leur libido à 6,5/10.
Si le désir reste bien présent avec le temps, il peut même être nourri par de nouvelles découvertes et explorations, seul ou en couple. « On connaît mieux son corps, on est moins en attente, peut-être, que ce plaisir nous vienne de l’autre. En sexologie, certains parlent d’égoïsme partagé », développe la sexologue Dominique Lefebvre.
Dominique Vincent, psychothérapeute épris de philosophie et de spiritualité, a étudié le tantrisme et y trouve une façon d’avoir une sexualité toujours plus épanouie. « Lorsqu’on est plus jeune, on veut faire l’amour tous les jours. Même pour décharger une colère, se rabibocher sur l’oreiller, explique-t-il. C’est différent pour une relation amoureuse qui s’approfondit avec le temps, se vit au quotidien, où les choses sont dites… On ne fait pas l’amour tous les jours, mais quand on a vraiment le temps et qu’on est bien ensemble. » On peut ainsi imaginer que l’expérience nous fait gagner en qualité ce que l’on perd en quantité. « Si le sexe doit toujours se faire dans l’excitation et l’intensité des jeunes années, ça semble impossible au fil des ans », éclaire Diana Richardson, autrice de Tantric Sex and Menopause.
D’après la spécialiste, les hommes ressentent, au fil des ans, une pression énorme pour maintenir leur érection, alors que les femmes ont peur de leurs propres désirs. « Nous sommes très attachées au fait de plaire aux hommes, même si nous avons mal ou que nous nous sentons utilisées. Une fois qu’on a évacué tout ça, le désir de plaire et la performance dans l’acte sexuel, on a deux personnes qui se rencontrent d’une façon plus authentique. »
“ Il est fort probable que faire l’amour devienne mieux, bien mieux avec le temps ”
En se connaissant mieux, on s’affranchit aussi des carcans, on sait ce qu’on veut et ce qu’on ne veut plus. « J’aime parler de relation sexuelle plus que de sexualité. C’est la relation qui compte, précise Catherine Grangeard. Avec l’expérience, quand on fait l’amour depuis plus de 10, 20 ans, les tabous tombent. » À en croire la spécialiste, nous n’avons donc rien à envier aux rapports de nos premières années d’exploration.
Il est donc fort probable que faire l’amour devienne mieux, bien mieux avec le temps. Une étude menée par Kantar et DisonsDemain en 2021 en témoigne : pour 42 % de femmes célibataires, la sexualité est meilleure à 50 ans et plus, que lorsqu’elles avaient 30 ans ! Plus qu’une cure de jouvence, et si c’était d’une cure d’expérience dont nous avions besoin ? Même si Catherine Grangeard n’a pas de doute, une relation épanouie fait jouvence. « Dans une bande de copines de 50 ans, vous voyez bien que celle qui aime faire l’amour, pour qui c’est un point central de son existence, donne le sentiment d’en avoir 17. »
Au moment de terminer notre entretien et de nous dire au revoir, elle répète une dernière fois : « Écrivez bien, c’est important, qu’il n’y a absolument aucune raison de penser qu’au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable. » On ne l’entend jamais assez.
Illustration : un grand merci à Laurence Bentz et l’agence Virginie