Les plus pauvres sont les mères seules
Des chiffres corroborés par les statistiques gouvernementales. Les derniers chiffres de l’Insee, parus également le 14 novembre, font état d’une augmentation de la pauvreté : 9,1 millions de personnes vivent au‑dessous du seuil de pauvreté monétaire, soit 1158 euros par mois pour une personne seule en 2021. Et le niveau de vie le plus faible est celui des familles monoparentales (9% de la population).
On sait aussi que 82% des parents isolés sont des femmes, et qu’au sein des familles monoparentales, les mères isolées sont plus précaires que les pères isolés (selon les chiffres-clés 2021 du Ministère chargé de l’égalité). Plus d’une mère sur trois à la tête d’une famille monoparentale vit sous le seuil de pauvreté.
Ces statistiques sur l’état de la précarisation des femmes en France témoignent d’une situation préoccupante, mais cachent les visages de ces femmes aux parcours pluriels et aux réalités multiples.
Dans son rapport annuel, le Secours Catholique fait émerger quatre profils de femmes rencontrées par l’association :
- des femmes étrangères en inactivité en raison de leur statut administratif
- des femmes en inactivité dite classique (étudiante, femme au foyer, femme en incapacité de travailler pour raison de santé)
- des femmes actives de tout âge, au chômage ou en emploi
- des femmes retraitées
Parmi ces profils, les femmes actives âgées de plus de 50 ans sont de plus en plus nombreuses à avoir besoin d’aide. Fragilisées par la pandémie, sans filet de sécurité, faisant face à une baisse plus forte de leurs revenus d’activité, certaines ont désormais recours à des dispositifs d’aide et d’accompagnement qu’elles n’avaient pas l’habitude de solliciter.
Des “mathématiciennes du quotidien”
Grâce au Secours Catholique, j’ai pu échanger avec Christine, 57 ans. Elle a vécu une grande partie de sa vie d’adulte sous le seuil de pauvreté. Le basculement dans l’instabilité financière, elle l’identifie lors du divorce avec le père de sa première fille, puis lors de son déménagement de la ville pour résider à la campagne. Entre des périodes en solo puis en couple, en emploi puis au chômage, la précarité s’est installée au même titre que sa monoparentalité.
Selon le rapport du Secours Catholique, parmi les femmes actives aidées par l’association, 47% sont des mères isolées, 28% expriment un besoin d’aide pour régler des factures liées au logement (loyer, énergie, eau…) et 62% sont en situation d’endettement. « La toute relative stabilité de leur situation ne leur permet pas de compenser la précarité de leur emploi, présent ou passé, qui ne leur garantit pas des revenus suffisants pour faire face à leurs charges et aux accidents de la vie » écrivent les auteurs du rapport. Calculer, compter, faire son budget, se demander comment payer ses factures ou acheter de la nourriture saine à ses enfants: une nécessité pour tenir les mois qui sont parfois intenables.
“Nous sommes les mathématiciennes du quotidien” avaient ainsi résumé des bénéficiaires du Secours Catholique devant des politiques. « Ce que ces femmes gèrent, en réalité, ce n’est pas l’argent, mais son manque. […] Les hommes gèrent la fortune et les femmes la pauvreté », soulignait Titiou Lecoq dans son livre Le couple et l’argent paru l’an dernier.
Le mal-logement, une mauvaise alimentation, repousser constamment les rendez-vous médicaux, ne pas pouvoir accéder à certaines offres culturelles, etc. sont des conséquences directes de la précarité économique des femmes actives de tout âge. Ce sont les femmes qui se privent en premier, qui instaurent un certain ascétisme familial, qui s’inquiètent et perdent le sommeil. Alors, trouver un travail reste le nerf de la guerre pour sortir de la précarité financière, mais encore faut-il que les conditions soient réunies.
Avec 1000 euros par mois, vous faites quoi ?
La rareté des emplois dans certains territoires, la précarisation de certains métiers, les inégalités salariales, l’absence de solutions de mobilité et le manque de diplômes engendrent des difficultés d’accès au marché de l’emploi et à un travail décent. Christine a fait les frais de ces métamorphoses des systèmes locaux d’emploi en milieu rural et a décidé de revenir vivre en ville, vingt ans après son départ, pour bénéficier d’un marché de l’emploi plus dynamique. « En zone rurale, il n’y avait pas de travail. Il fallait faire 17 km jusqu’à la première ville. Il n’y avait pas de moyen de locomotion sauf le bus, c’était compliqué pour se déplacer. » Christine devient alors une travailleuse pauvre. Après avoir longtemps occupé un poste d’aide-ménagère -ce qui lui a causé des problèmes de santé-, elle accompagne des enfants dans un Institut médico-éducatif, matin et soir. Tous les mois, prestations sociales comprises, Christine touche environ 1000 euros. Pas assez pour sortir de la précarité financière. Elle projette alors de candidater à un poste d’animatrice pour intervenir auprès des enfants des écoles maternelles et élémentaires à l’occasion de leurs loisirs et des temps périscolaires.
Les femmes s’épuisent à travailler pour de maigres salaires, à cumuler plusieurs emplois et à être présentes en tant que mères auprès de leurs enfants. Il faut du courage et de la ténacité pour ne rien lâcher face à cette situation, lourdement aggravée par la hausse des prix de l’alimentation et de l’énergie.
Transformer l’expérience de la précarité en atout
Des associations comme le Secours Catholique offrent un accompagnement et proposent des espaces pour s’impliquer, retrouver un second souffle quand les personnes n’en peuvent plus. Christine, également bénévole au Secours Catholique, a eu l’opportunité de participer à la formation OSEE (Osons les Savoirs de l’Expérience de l’Exclusion) proposée par ATD Quart Monde. C’est un parcours à destination de personnes ayant vécu l’expérience de la précarité, investies dans des associations et ayant quitté le système scolaire sans diplôme, pour qu’elles se professionnalisent dans les domaines de l’intervention sociale et de l’animation. Cette formation pré-qualifiante rémunérée permet aux participants d’effectuer des stages d’observation, d’implication et d’approfondissement, pour préciser leur projet professionnel et la formation qui va en découler. Au-delà des questions d’emploi, ce sont des liens qui se tissent entre les participants et chacun apprend l’un de l’autre.
Que faire face à ces précarités grandissantes ? Les associations comme le Secours Catholique sont des structures essentielles pour offrir un accompagnement de proximité et surtout apporter des perspectives à ces femmes qui ne regardent bien souvent que le présent. Toutefois, afin de permettre à chaque individu de subvenir à ses besoins vitaux, le Secours Catholique défend plusieurs nécessités absolues, dont celles-ci :
- garantir une rémunération décente aux personnes en emploi
- permettre aux parents en précarité d’assurer à leurs enfants l’accès à une alimentation saine, à un logement correctement chauffé, aux vacances, aux loisirs et à la culture
- combattre le non-recours aux prestations sociales (dû au manque d’information, à la complexité des parcours, à la gêne du demandeur).
Des priorités qu’il ne faudrait cesser de rappeler à tous les niveaux pour que les politiques nationales, locales ainsi que les entreprises entendent ces messages, et avancent ensemble pour contribuer à faire reculer la précarisation des femmes.
Illustration : un grand merci à Marie Lemaistre et à Fllow