Pour mes grand-mères, une pension et un niveau de vie élevé étaient un acquis. Veuves, elles ont voyagé, dépensé et profité d’une grande indépendance financière. Pour ma mère, en revanche, cela n’est déjà plus le cas. L’argent est constamment un sujet d’inquiétude pour elle. Forcément, cela nourrit ma propre peur.
“L'écart de richesse entre femmes et hommes chez les personnes âgées est colossal”
En Europe, des millions de femmes seront démunies à la retraite. Elles n’y sont pas préparées. Il y a celles qui n’ont pas été salariées et n’ont pas pu mettre de côté; celles qui ont eu des vies faites de transitions professionnelles multiples; les divorcées qui ont sacrifié leur carrière pour leur famille; celles qui ont travaillé à temps partiel pendant des années parce que, pensaient-elles, cela aurait coûté trop cher de prendre une nounou à temps plein.
pauvreté des vieilles femmes. Elle est, après tout, un remarquable indicateur de la somme de toutes les inégalités de genre dans notre société. Quand on parle des inégalités économiques, on se contente souvent de regarder l’écart des revenus de travail en équivalent temps plein: les femmes salariées du secteur privé ne gagnent “que” 16,8% de moins que les hommes (d’après l’Insee). Un autre problème, beaucoup plus révélateur, est la situation financière des femmes parvenues à l’âge de la retraite.
On devrait s’intéresser davantage à lale décalage d’accumulation de patrimoine, une gestion financière moins avisée tout au long de la vie, un fossé abyssal en matière de niveau des pensions de retraite. Là où l’écart de revenus femmes/hommes en entreprise à l’âge de 30 ans semble relativement petit et en baisse, l’écart de richesse au moment de la retraite peut doubler voire tripler.
Pour bien comprendre l’ampleur des inégalités, c’est en effet du côté des personnes âgées qu’il faut regarder. Or l’écart de richesse entre femmes et hommes chez les personnes âgées est colossal! Il inclut“Choix du métier, interruption de carrière, temps partiel: ça se paie.”
La pension de retraite d’une femme est le résultat de tous les “choix” de carrière qu’elle a faits au long de sa vie active: les secteurs d’activité et métiers comme l’enseignement ou les soins (moins rémunérateurs), les interruptions de carrière (plus nombreuses) et les temps partiels (plus fréquents et longs).
En France, les femmes parvenues à la retraite touchent environ 33% de moins que les hommes des mêmes générations. Si l’on ne tient pas compte des pensions de réversion, l’écart est même de 41%! En Allemagne, aux Pays-Bas et au Luxembourg, où elles travaillent davantage à temps partiel, les femmes perçoivent 45% de moins que leurs homologues masculins, d’après l’OCDE.
la pauvreté des personnes âgées est avant tout un problème qui concerne les femmes. L’écrasante majorité des personnes de plus de 75 ans qui vivent seules sont des femmes, et celles-ci sont nombreuses à vivre dans la pauvreté. Au Japon, les femmes seules semblent condamnées à la pauvreté et la situation s’aggrave année après année: 25% des femmes retraitées risquent d’être en situation de grande pauvreté d’ici 2060 (contre seulement 10% des hommes).
Ma peur n’est donc pas complètement irrationnelle:Si la situation semble moins dramatique en France, on aurait tort d’ignorer les tendances similaires qui sont à l’œuvre. Nous nous sommes tous félicités de l’émancipation économique des femmes au cours des décennies passées: après tout, elles ont commencé à conquérir le monde du travail et des postes de pouvoir. On s’est donc mis à penser que les protections patriarcales du passé (comme les pensions alimentaires) étaient devenues obsolètes. Hélas, comme nous l’a si bien montré la période de pandémie, les inégalités face au travail domestique et parental sont toujours là.
Le résultat de tout cela est que, en 2020, 30% des retraitées françaises touchent moins de 858 euros par mois, contre seulement 10% des hommes.
Que peut-on faire ?
À l’échelle sociétale, il y a des combats à mener pour une fiscalité plus féministe, par exemple. À l’échelle individuelle, j’ai pris la résolution de toujours inviter mon “moi futur” à discuter des choix de carrière avec le moi aujourd’hui. Que dirait mon moi de 65 ans du choix que j’envisage de faire aujourd’hui?
Par exemple, le choix de “prendre sur soi” pour économiser des heures de garde d’enfant peut sembler rationnel quand on ne regarde que le budget de l’année en cours, mais si on actualise sur toute la carrière, cela peut coûter très cher (cotisations non payées, carrière ralentie, promotion manquée, clients perdus). Tout cela s’additionne avec les années pour représenter des dizaines de fois le montant économisé sur la dépense initiale de garde d’enfant. Avant de prendre une décision, il faudrait pouvoir en connaître le coût sur toute la vie!
Inviter son moi futur à la table, cela passe aussi par l’acquisition de meilleures compétences en matière de gestion financière, qui permettent de mieux préparer sa retraite. Gérer un budget, épargner, investir, accumuler du patrimoine… Il ne s’agit pas de sacrifier toujours le présent mais de chercher un bon équilibre entre son moi actuel et son moi futur.
Pour cela, il faudrait arrêter de penser que les plus belles années sont forcément dans la jeunesse. Commençons par regarder les personnes âgées que nous serons avec plus de tendresse!
Illustration : un grand merci à Marie Lemaistre et Fllow