À la veille de la Journée internationale des droits des femmes, ViveS publie son désormais traditionnel baromètre annuel sur les femmes et l’argent. Cette 4e édition, réalisée avec Viavoice en partenariat avec BoursoBank et Natixis Wealth Management, vient nous rappeler la distance qu’il reste à parcourir sur le chemin vers l’égalité financière entre les femmes et les hommes. Menée en janvier 2025 auprès d’un vaste échantillon de 2000 personnes, l’enquête m’a permis de lever le nez de mes routinières courbes démographiques pour comprendre à quel point le rapport à l’argent continue d’obéir à une division des genres. Permettez-moi de partager ici avec vous ma lecture et mes étonnements, avec toute l’ingénuité d’un économiste plus à l’aise pour analyser les évolutions conjoncturelles que sonder l’intimité des portefeuilles.
L’argent: une affaire très privée
Premier étonnement: 79% de Français disent avoir le sentiment de bien gérer leur argent, une impression majoritaire et partagée aussi bien par les femmes (77%) que par les hommes (80%). Circulez, il n’y a rien à voir? Pas si vite. Nous avons aussi voulu savoir si les Français soumettent leur gestion financière à un avis extérieur. Un tiers (32%) d’entre eux avouent ne jamais faire un point avec un professionnel concernant leurs finances, un autre tiers (37%) s’y attèle au moins une fois par an tandis que le dernier tiers (29%) une fois tous les deux ans ou plus.
Est-ce si étonnant dans un pays où la question de l’argent reste imprégnée d’un tabou culturel? Plus de la moitié (55%) des sondés juge qu’il est délicat de parler ouvertement d’argent avec leur entourage. La déclinaison des réponses par âge révèle que c’est parmi les 18-24 ans que les hommes trouvent plus délicat (49%) que les femmes (38%) de parler d’argent mais cet écart s’inverse à partir de 25 ans avec une différence d’une dizaine de points entre les femmes et les hommes qui s’atténue néanmoins avec l’âge pour quasiment disparaître chez les plus de 65 ans. En revanche, un autre constat s’impose, quel que soit le genre: plus on avance en âge, plus nous avons du mal à parler d’argent.
Femmes et argent: malaise en entreprise
La relation des Français à l’argent reste particulièrement genrée. Quand on leur suggère des mots exprimant le mieux leur ressenti par rapport à l’argent, c’est d’abord la «liberté» qui est citée par les hommes (43%) contre «l’angoisse» chez les femmes (39%).
Les résultats du baromètre qui m’ont le plus frappé concernent le rapport à l’argent et à la carrière dans l’entreprise. Tandis que 53% et 50% des hommes se déclarent à l’aise pour respectivement obtenir une promotion et demander une augmentation salariale, c’est le cas pour seulement 43% et 33% des femmes. Le différentiel entre les deux sexes est encore plus marqué, et ne se résorbe pas avec l’âge, quand il s’agit de négocier son salaire durant un entretien d’embauche: seules 32% des femmes se disent à l’aise dans cette situation, contre 53% pour les hommes. Il y a là un véritable malaise féminin en entreprise dont je n’avais pas conscience. On me souffle qu’il n’est pas nouveau puisque ces résultats sont cohérents, et tristement stables, avec nos précédents baromètres.
Autre réalité que je découvre: les hommes sont un peu plus à l’aise que les femmes pour parler de patrimoine, crédit et épargne avec leur entourage mais aussi pour échanger avec leur conseiller bancaire quand il y a un compte commun. Parmi la petite minorité (16%) des sondés qui investit en Bourse, on retrouve aussi davantage d’hommes (23%) que de femmes (11%). Est-ce lié à un rapport différencié au risque? Probablement puisque les réponses données dessinent une prise de risque plus masculine et une prudence plus féminine. Ainsi, 39% des femmes déclarent ne pas investir en Bourse par peur de perdre de l’argent, contre 31% pour les hommes. À l’inverse, 29% des hommes disent se sentir prêts à prendre des risques pour investir, contre 16% des femmes.
Et dans le portefeuille des couples?
En rentrant dans l’intimité des portefeuilles des Français, j’ai été surpris de constater que, de manière générale, l’argent n’est pas une grande source de tension pour les couples. C’est une opinion aussi bien partagée par les femmes que les hommes. La vaste majorité des femmes (84%) et des hommes (90%) jugent d’ailleurs qu’avoir un partenaire aux revenus plus élevés ne génère ni gêne ni tension.
En revanche, le pilotage des dépenses dans les couples reste très genré: ce sont les hommes qui s’occupent principalement des achats d’équipement (9 points d’écart entre femmes et hommes), des placements financiers (9 points d’écart) et des achats immobiliers (5 points d’écart) tandis que les femmes prennent la main sur les dépenses du quotidien (8 points d’écart).
Par ailleurs, la répartition des dépenses au sein des couples répond davantage à une logique d’égalité que d’équité: un gros tiers (36%) des couples déclare partager ses dépenses à 50/50 contre un petit quart (24%) pour qui la contribution aux dépenses est proportionnelle au niveau de revenu. La répartition égalitaire se fait ainsi au détriment des femmes, étant donné que leurs revenus restent en moyenne inférieurs à ceux des hommes – parmi nos sondés seul un quart des femmes déclarent avoir le revenu le plus élevé dans le couple. Ainsi, l’égalité plaquée sur des inégalités ne fait que renforcer ces dernières: le couple semble donc prolonger les inégalités économiques entre les hommes et les femmes plutôt que de les corriger.
Le paradoxe de l’éducation financière
Face au tabou de l’argent et aux inégalités persistantes, face au malaise qu’il suscite encore, notamment chez les femmes, nous croyons chez ViveS à la force et à la légitimité de la pédagogie. Pourtant, seule une minorité (36%) de sondés se dit intéressée par « des formations pour comprendre ou approfondir les sujets financiers ». Paradoxalement, ce sont en priorité les plus à l’aise financièrement qui manifestent leur intérêt. C’est vrai pour toutes les classes d’âge. Autrement dit, la demande d’éducation financière semble être inversement proportionnelle au besoin.
Comment résoudre ce paradoxe? Par une petite feuille envoyée à chaque salarié à la fin du mois: la fiche de paie. En effet, 58% des sondés se disent intéressés par une formation proposée par l’employeur pour mieux la comprendre. L’intérêt est d’ailleurs plus élevé chez les femmes (60%) que chez les hommes (55%), chez les CSP- que les CSP+ et particulièrement fort chez les moins de 35 ans (70%). Cet intérêt généralisé qui semble transcender les âges, les genres et les classes sociales n’a rien d’étonnant tellement la fiche de paie et ses dizaines de lignes sont devenues incompréhensibles au commun des mortels. On a tendance à oublier que la complexité administrative constitue elle aussi un obstacle vers l’indépendance financière et génère une forme d’inégalité entre ceux qui ont les moyens de la surmonter et ceux qui sont condamnés à la subir.
Réalisation graphique infographie : Jessica Richer et Lou Catala