Puis la vie prend un sacré tournant quand ils emménagent ensemble, et lorsque les enfants arrivent. Et là, l’héroïne commence à prendre conscience que les rapports sociaux de genre sur l’argent et le patrimoine sont puissants et présents dans chaque décision.
“ Dans la définition de la féminité, on n’est pas censé compter ”
C’est avec ce personnage de Gwendoline que Titiou Lecoq, journaliste et auteure, décortique les racines du problème de notre rapport à l’argent dans son tout nouveau livre : Le couple et l’argent. Pourquoi les hommes sont plus riches que les femmes.
Comment se fait-il que nous soyons tant de femmes à sous-estimer le rôle de l’argent dans nos vies ? Et que nous soyons si nombreuses à l’occulter, dans notre vie de femme et dans notre vie de couple ? Car chacune pourra se reconnaître un peu dans les aventures de Gwendoline.
J’ai questionné Titiou Lecoq sur notre drôle de rapport à l’argent, et pour elle, « il y a quelque chose de culturel : en France, on parle assez peu d’argent. Ce n’est pas un sujet qu’on aborde entre amis ou au sein du couple. On connaîtra des détails sur la vie sexuelle de notre meilleur(e) ami(e), mais pas le montant de son salaire. Il y a aussi un interdit, comme si l’argent n’était pas féminin. Dans la définition de la féminité, on n’est pas censé compter. On est là avant tout pour être dans le don. »
L’argent n’est pas neutre, et encore moins notre rapport à celui-ci. Est-ce que je dépense trop ? Est-ce que je trouve que tout est trop cher ? Est-ce que je suis « flippé(e) du fric » ? Cette perception de l’argent et de l’épargne est très ancrée dans notre histoire et dans les traumas familiaux.
Des lois du passé impactent encore aujourd’hui notre perception de l’argent
Pour créer encore plus de complexité dans notre rapport à l’argent, il y a également l’Histoire collective, celle que l’on croit connaître et celle que l’on ne connaît pas vraiment. En France, les lois d’émancipation économique pour les femmes sont très récentes. Retenons juste une date, celle du 13 juillet 1965, qui réforme les régimes matrimoniaux et met fin au Code Napoléon. Les femmes vont pouvoir ouvrir leur propre compte bancaire sans l’autorisation de leur mari et faire ce qu’elles désirent de leur argent.
Cela vous semble bien loin ? Mais demandez-vous quel âge avaient alors votre mère et votre grand-mère, et vous prendrez conscience que ces lois datent d’hier et impactent aujourd’hui encore notre perception de l’argent. Pour Titiou Lecoq, cette Histoire la marque encore aujourd’hui : « Ma hantise personnelle du compte commun s’explique en partie par la peur d’un retour en arrière, l’impression de renoncer à une indépendance chèrement acquise. Ma grand-mère, qui tenait la comptabilité de la boucherie familiale […] n’a eu le droit de signer son premier chèque qu’à l’âge de 53 ans ».
Tout au long de son livre, Titiou Lecoq nous apporte des solutions pour passer à l’action dans notre quotidien, et ce qui revient régulièrement peut se traduire en deux verbes : « SAVOIR » et « COMPTER ».
Osons savoir !
On dit toujours que le savoir est une arme, or en matière d’argent on ne connaît pas grand chose. Dès l’enfance, on devrait savoir que les garçons reçoivent plus d’argent de poche que les filles. À l’âge adulte, on devrait connaître l’écart de salaire entre les femmes et les hommes à poste égal. Dans le couple, on devrait savoir combien gagne l’autre et ce qu’il économise. Savoir, cela permet de faire des choix en conscience, d’agir et de refuser des inégalités. Savoir, cela donne envie d’apprendre : comment négocier son salaire, comment gérer son budget, comment investir dans l’immobilier, comment placer de l’argent, etc. Pour cela, on peut apprendre par des livres, des ateliers et formations, des applications, mais déjà, en osant en parler.
Apprenons à parler d’argent avec nos amis, nos collègues de travail, nos parents, et bien évidemment celui ou celle avec qui nous partageons notre vie. Comme le souligne l’étude d’IFOP pour ViveS, seule une femme sur deux parle souvent d’argent avec son conjoint, très peu le font avec leur entourage amical (12 %) ou avec leurs enfants (18 %). En discuter, cela permet de découvrir, de comprendre et d’ajuster ses choix. Saviez-vous que 65 % des couples ayant opté pour une séparation totale de leurs revenus indiquent que ce fonctionnement s’est mis en place sans qu’ils y aient réfléchi ? Or, oser parler d’argent dans le couple, cela permet ensuite de réfléchir à l’organisation qui nous correspond le mieux, car le budget du couple se gère à deux.
Osons compter !
Compter permet d’anticiper et d’avoir une vision sur le long terme. Quand on prend des décisions importantes dans notre vie, on ne se questionne pas assez sur les impacts dans le futur.
Or, quand une femme décide de prendre un temps partiel pour s’occuper des enfants, quand elle passe du temps à effectuer les tâches ménagères, quand elle est la seule à mettre de l’argent de côté pour les enfants, etc. toutes ces décisions ont un impact sur le niveau de ses finances futures. Et puis il y a une question de déséquilibre économique qui s’installe.
Pour éviter ces inégalités, on peut s’appuyer sur la maxime « le temps c’est de l’argent » et faire l’exercice de comptabiliser le temps passé aux tâches ménagères, au soin de la famille, et le multiplier par le salaire horaire de ce type de métier. Cela indique la valeur financière des actions effectuées pour la vie de famille, et il importe que chacun en ait bien conscience.
Si vous avez le plus petit revenu du couple, veillez à participer aux dépenses importantes, celles qui vaudront encore quelque chose plus tard. Car si comme Gwendoline, vous vous occupez des dépenses liées aux courses et aux vêtements des enfants, et si votre couple se sépare, il ne vous restera que « les pots de yaourt vides », quand Richard conservera les maison et voiture qu’il aura payées.
Titiou Lecoq donne des idées concrètes : avoir un compte commun pour les dépenses courantes et un autre compte commun pour le remboursement du crédit, cela permet de visualiser qui a payé quoi et d’avoir des traces. Et en parallèle, on peut bien évidemment garder son compte courant, car on n’a pas toujours envie que l’autre connaisse tous les montants de nos dépenses.
Peut-être que sur ce sujet du couple et de l’argent, l’enjeu fondamental serait de remettre sur la table la thématique de l’indépendance économique. Pour Titiou Lecoq, c’est essentiel : « Cette indépendance économique, il faut en refaire un mot d’ordre ».
Illustration : un grand merci à Jon Krause