Son objectif : lever 600 000 euros. Vous avez bien lu, 600 000, pas 600 millions, ni 60 millions ni même 6 millions. Un défi pourtant. Les fonds d’investissement et les professionnels ne se précipitent pas. Alors Marie Eloy cherche à mobiliser ces femmes, vous, moi, qui jusque-là étaient assez frileuses à investir directement dans des entreprises. « Je n’ai jamais investi dans quoi que ce soit, pas même une assurance-vie » témoigne ainsi l’une d’elles qui a décidé de se lancer pour que l’égalité devienne une réalité dans l’entrepreneuriat.
Les femmes toujours en retrait de la finance
Le constat est en effet sans appel : en 2024, les femmes investissent toujours moins que les hommes. Beaucoup moins. Que ce soit en Bourse ou dans le non-coté. D’après le Baromètre ViveS 2024 « Les femmes et l’argent », réalisé par l’IFOP en partenariat avec BoursoBank et La Financière de l’Echiquier, seulement 11% des femmes investissent en Bourse, versus 24% des hommes. Seules 15% détiennent un PEA (versus 23% des hommes). Et à peine 7% des femmes que nous avons interrogées déclarent détenir des titres de sociétés non cotées en direct. Chez les business angels, qui investissent dans des start-up, elles sont ultra-minoritaires : dans le Panthéon 2023 des BA établi par la banque Angels Square en juillet dernier, on trouve une seule femme, Pauline Boucon-Duval, parmi les 10 noms retenus pour avoir façonné et marqué profondément le paysage entrepreneurial en France ces dernières années ! Et dans le top 30 des BA les plus actifs en 2022-2023, 4 femmes seulement : Chantal Baudron, Vanessa Daurian Proust, Emmanuelle Brizay et Corinne Colson Lafon.
Chantal Baudron fait figure de pionnière. L’histoire de cette chasseuse de têtes de renom – elle a créé son cabinet en 1980 – est exemplaire : « Je suis venue à l’activité de business angel il y a une quinzaine d’années après avoir gagné de l’argent, raconte-t-elle. Jusque-là, je faisais des placements financiers ou immobiliers, mais à force de côtoyer des entrepreneurs, je me suis rendu compte que cet argent serait mieux utilisé à leur donner un petit coup de pouce. » Aujourd’hui Chantal Baudron détient… 114 participations ! Elle fonctionne au coup de cœur : « Il faut que ça fasse tilt : la qualité de l’équipe, l’innovation du produit, le potentiel de marché. » C’est une investisseuse de la première heure dans Yapuka, dont nous vous avions raconté l’histoire, mais aussi dans la beauté, l’art, les sneakers, la pâtisserie, les jouets, le coaching, l’IA ou encore la blockchain. Elle nous confie mettre des montants plutôt raisonnables, de 20 à 50 000 euros, parfois moins. Car, dit-elle, « il faut en garder sous le pied pour remettre au pot » surtout quand on investit au démarrage dans de jeunes pousses qui vont faire plusieurs levées de fonds successives. « Je suis un artisan du capital-risque » conclut cette entrepreneure, psychologue de formation. Comme quoi il n’est pas nécessaire d’être une financière pour se lancer. Son conseil : « Faites confiance à votre bon sens. » |
En quoi est-ce un problème de ne pas investir ?
Alors pourquoi y a-t-il si peu d’artisanes de l’investissement en France ? Et pourquoi est-ce un problème ? Parce que la faible présence des femmes dans le financement de l’économie pèse sur leur situation financière personnelle et limite leur influence collective.
Elle pèse sur leur situation financière car investir, c’est préparer son avenir, disposer de sources de revenus complémentaires à celles de son travail, c’est assurer sa sécurité pour la retraite ou en cas de coups durs – perte d’emploi, séparation, maladie, etc.
Elle limite leur capacité d’influence collective, car comme le répète volontiers Delphine Remy-Boutang, fondatrice de la JFD et du fonds Arver, « pour changer le monde, il faut changer la façon dont il est financé ». D’après une étude de la Banque de New York publiée en 2022, plus de la moitié des femmes (53%) investiraient dans un fonds affichant un objectif positif clairement identifié. Et parmi celles qui investissent déjà, les deux-tiers affirment privilégier les entreprises qui partagent leurs valeurs et préoccupations environnementales ou sociales.
« Les femmes, qui représentent 51% de la population mondiale, possèdent 40% de la richesse de la planète, n’investissent activement que 5% de cette richesse. C’est un écart colossal, et une opportunité manquée pour toute l’économie. Car 80% des femmes qui investissent choisissent l’investissement à impact », assure de son côté Paloma Castro, dirigeante d’un cabinet de conseil en stratégie, engagée pour encourager les femmes à investir et elle-même business angel.
Les freins qui retiennent les femmes sont connus – et pas si différents de ceux rencontrés par les hommes. Mais ils sont amplifiés par leur situation économique moins favorable. Premier frein : le revenu perçu comme nécessaire pour commencer à investir. « Je n’ai pas assez de moyens » est un argument récurrent, partagé par 80% des femmes (vs 71% des hommes) selon notre Baromètre 2024. De fait, les femmes perçoivent des revenus moindres (salaires inférieurs de 15% en moyenne dans le secteur privé à temps de travail égal). Elles ont donc moins d’opportunités de se constituer un patrimoine : le cercle vicieux s’enclenche rapidement. Autre frein : la perception que l’investissement est par nature risqué. 93% des femmes avouent
Pourtant, à l’heure où l’Etat-Providence se fissure, « le risque c’est de ne pas investir », insiste Sibylle Le Maire, fondatrice de ViveS. Au même titre que travailler, investir devient un élément de l’équation pour garantir son indépendance financière. |
La finance au féminin, ça marche pourtant bien
D’ailleurs, quand les femmes franchissent le pas, les performances sont au rendez-vous. Une étude de Fidelity, menée en 2021 sur 5,2 millions de comptes d’investissement possédés par ce très grand gestionnaire de fonds américain et sur dix ans, a montré que la performance moyenne annuelle des comptes détenus par des femmes est supérieure de 0,4% par rapport à celle des comptes détenus par des hommes. Un différentiel certes léger mais qui devrait déjà rassurer les femmes. Il s’explique à la fois par des biais comportementaux (les femmes sont plus disciplinées, moins impulsives dans leurs placements et ont tendance à être plus ouvertes aux conseils externes que les hommes) et par une plus grande prudence dans le choix des supports d’investissement. Les femmes vont avoir tendance à s’orienter vers des fonds qui affichent une performance solide et constante sur le long terme.
Écoutez des femmes vous en parler !
Finalement, pour aider les femmes à franchir le pas, n’est-ce pas la démonstration par l’exemple qui se révèle la plus convaincante ?
C’est l’ambition de notre série de newsletters « Comment j’ai investi dans… », où des femmes racontent pourquoi elles ont choisi d’investir et comment elles ont fait concrètement. Avec un objectif commun : que leur argent travaille pour leur futur et le nôtre.
Une série qui devient un podcast, grâce au soutien de notre partenaire Natixis Wealth Management, et dont vous allez pouvoir découvrir le premier épisode dès cette semaine ! Avec Osons investir pour agir, ViveS vous emmène à la rencontre de femmes qui ont accepté de partager en toute franchise leur expérience : le choix du secteur, de l’entreprise, du mode opératoire, le montant investi, pour quel objectif, ce que ça leur a rapporté (ou pas…). Chacune se confie sur les détails, assume d’être une investisseuse et un rôle modèle pour d’autres femmes, qui auraient besoin d’être rassurées, guidées : oui, elles peuvent le faire aussi ! Tout en donnant du sens à leur argent. Car nos témoins, à l’instar de Delphine Remy-Boutang, invitée du premier épisode, ont choisi d’investir pour avoir un impact.
Le pouvoir de transformer le monde
« L’impact est un critère qui compte beaucoup pour les femmes, confirme Françoise Neige, directrice au sein de la Gestion de fortune de Natixis Wealth Management. C’est important de leur montrer que l’argent peut être « au service de », sans que ce soit de la philanthropie. Le fait que l’investissement à impact soit plus lisible et plus facile d’accès aujourd’hui devrait stimuler la participation des femmes. Aujourd’hui, donner de l’impact à ses investissements n’est plus un privilège. Pour les femmes, l’argent est d’abord synonyme de sécurité. Mais c’est aussi une source de liberté, la liberté de réaliser des projets et d’agir sur le monde. »
C’est ce que nous démontrent Delphine Remy-Boutang qui soutient des innovations de rupture dans la tech (épisode 1), Magali Héraud qui a investi dans l’immobilier solidaire, Laura qui a investi dans la terre, Cathe Lamarque qui a choisi la santé, ou encore Solenne Bocquillon-Le Goaziou qui a misé sur l’éducation. Ces femmes ont chacune à leur façon expérimenté le pouvoir de l’argent. « Au-delà du pouvoir de protection et de transmission, il représente un véritable pouvoir de transformation », assure Françoise Neige.
Elles nous livrent leur mode d’emploi et leurs conseils. Et scoop : cela commence parfois avec quelques milliers d’euros seulement. Alors soyez à l’écoute et rendez-vous dans quinze jours pour le deuxième épisode !
Illustration : un grand merci à Marie Lemaistre et l’agence Fllow