Un échantillon de pionnières
Nous avons voulu en savoir davantage et nous vous avons soumis un questionnaire il y a quelques semaines à travers la newsletter ViveS et les réseaux sociaux : est-ce que vous placez votre argent ? Si non, pourquoi ? Si oui, dans quels types de produits ? Quels sont vos motivations et vos critères pour investir ? Quelles sont vos histoires avec l’argent que vous avez placé ? Merci aux 120 d’entre vous qui ont pris le temps de répondre et de partager ainsi votre expérience. Vous êtes sans aucun doute des pionnières, à l’avant-garde sur ce sujet. Car selon l’association Femmes Business Angel, qui organise lundi 21 novembre à Bercy un forum de l’investissement féminin dont ViveS est partenaire, les femmes sont encore très minoritaires parmi les actionnaires individuels en France, pas plus d’un tiers, voire moins selon les quelques (rares) études existantes.
Les réponses reçues nous permettent d’éclairer à la fois cette réalité – le faible nombre de femmes investisseuses – et le potentiel que pourrait dégager l’investissement par les femmes. Ce que nous avons appris d’abord, c’est que l’argent est un sujet qui intéresse 82 % d’entre vous. Pourtant, vous appartenez à des générations différentes : 21 % des répondantes ont moins de 35 ans, 43 % ont entre 35 et 49 ans et un tiers ont entre 50 et 64 ans. En revanche, l’écrasante majorité (90 %) est active et habite en région parisienne (93 %).
La moitié d’entre vous ont déjà investi et 39 % déclarent qu’elles pourraient le faire. Ce qui est frappant, au vu de certains commentaires, c’est que vos expériences d’investissement n’ont pas été simples. « Expérience frustrante », « Grande solitude, les banques ne m’ont jamais aidée », « Pas d’accès à de bons investissements pour les personnes qui ont des revenus modestes », « J’ai testé plein de trucs, et c’est pas facile ! Bien moins facile que ce que tous les coachs et influenceurs en investissement disent… »
Une terra incognita pour les femmes
Pour celles qui ont déjà investi, elles ont franchi le pas avant tout grâce à des conseils de leur entourage, de proches qui leur ont donné envie et les ont accompagnées, ou encore avec l’aide d’un conseiller professionnel.
Parmi celles qui pourraient se lancer, elles confient que des conseils simples, une présentation claire sur les produits financiers ou encore un guide sur le jargon de l’investissement, voire une formation, pourraient les inciter à passer à l’acte.
La demande d’explication et de médiation est très forte chez les femmes… Il semblerait que les institutions financières ne l’aient pas encore vraiment entendu. Dans les banques, on n’a pas vraiment l’habitude de s’adresser à madame, me rappelait une amie racontant sa mésaventure : son conseiller financier ne voulait pas lui parler car monsieur n’était pas présent au rendez-vous. En revanche il n’est pas rare que monsieur prenne des produits financiers au nom de madame parfois même sans l’en informer ! Cherchez l’erreur…
Clairement, le monde de l’investissement est une terra incognita pour les femmes. Il leur apparaît lointain et exigeant. 82 % des femmes interrogées estiment que s’y plonger nécessite d’avoir accès à des informations expertes et spécifiques, 78 % à une bonne connaissance des milieux financiers et 75 % qu’il faut du temps. Surtout, deux éléments clés ressortent comme des freins : le manque de confiance (en elles, mais aussi dans les conseillers financiers) et la prise de risque. Le « risque maîtrisé » remonte ainsi comme premier critère lors d’un investissement réalisé ou éventuel.
L’approche des femmes se révèle différente
Or, faut-il le rappeler, l’investissement est par nature risqué. Surtout à l’heure actuelle, au vu des performances négatives des marchés financiers et de la baisse du pouvoir d’achat. Pour la sécurité, on épargne. Mais ce n’est pas une raison pour laisser l’investissement aux hommes ! Car l’approche des femmes se révèle différente : plus de 9 sur 10 seraient enclines à investir dans des projets avec un impact durable, social ou environnemental. Elles sont aussi plus de 9 sur 10 à considérer les caractéristiques humaines de l’entreprise ou de l’entrepreneur comme importantes. Enfin, près de 9 sur 10 favoriseraient des projets portés par des femmes, et ce devant les critères d’innovation technique ou technologique.
Et cela tombe bien : le secteur de la finance solidaire se structure de plus en plus. Par ailleurs, l’essor du crowdfunding (le financement participatif) permet d’investir directement dans des projets dont on peut vérifier si la finalité est en accord avec ses propres valeurs. Enfin, les fonds labellisés ISR – investissement socialement responsable, label créé par l’Etat en 2016 – sont désormais plus d’un millier en France : ils intègrent des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance.
« Le jour où les femmes auront confiance en elles et investiront, cela aura plus de portée » résume Yvonne Herbin, directrice des études et de la prospective chez Bayard, qui a analysé vos réponses.
L’éducation, secteur prioritaire !
Si l’on demande aux femmes dans quels secteurs elles ont investi ou pourraient le faire, elles sont 69 % à nommer l’éducation, très loin devant la santé : un enjeu clairement prioritaire pour elles. Doit-on s’en réjouir ? (car sans investissement dans l’éducation, pas d’avenir pour nos sociétés). Ou s’en inquiéter ? (les femmes s’orientent vers un secteur auquel elles sont naturellement assignées).
Remarquons une chose : le 1er fonds d’investissement européen dédié au secteur de l’éducation et de la formation a été co-fondé… par 2 femmes, Marie-Christine Levet et Litzie Maarek. Il s’agit d’Educapital, l’un des rares fonds d’investissement français dirigés exclusivement par des femmes, avec WinEquity le fonds lancé par FBA, Leia Capital ou Sista Fund.
Si l'on veut que l’investissement des femmes contribue à changer le monde, il faut que le monde change aussi
Les résultats de notre étude rejoignent ceux d’une enquête menée à plus grande échelle (sur 8000 hommes et femmes dans 16 pays) l’an dernier par la firme américaine BNY Mellon Investment management. Celle-ci a mis en évidence trois principaux freins à l’investissement par les femmes : la crise de l’engagement, l’obstacle du revenu et la perception du risque. Mais d’après cette enquête, plus de la moitié des femmes (55 %) commenceraient à investir ou investiraient davantage « si l’impact de l’investissement correspondait à leur valeurs personnelles ». Plus de la moitié (53 %) commenceraient à investir ou investiraient davantage si le fonds concerné affichait en plus d’un objectif de rendement financier un objectif responsable, pour l’environnement ou la société.
Ce que montre aussi cette étude américaine, c’est qu’il ne suffira pas de former les femmes pour qu’elles deviennent des investisseuses. Il faudra aussi que le monde de l’investissement change : près de 9 gestionnaires d’actifs sur 10 ciblent les hommes par défaut. Ils pensent leurs produits pour des hommes, « avec un langage, un imaginaire, des messages principalement destinés à une clientèle masculine » souligne le rapport.
En France, depuis 2019, une centaine de fonds ont signé la charte Sista qui comporte notamment l’engagement d’atteindre 30 % de femmes partners et des équipes à 50 % féminines à horizon 2025. Un objectif ambitieux quand on sait que les fonds français ne comptaient alors que 14% de femmes associées et 25% de femmes dans leurs équipes.
Les associations comme Femmes Business Angel offrent aussi un environnement propice à celles qui veulent se lancer : échange de bonnes pratiques, soirées de pitch d’entrepreneurs, analyse en équipe, etc. Le premier principe étant de ne pas agir seule dans son coin mais de partager ses questionnements et ses doutes.
Illustration : un grand merci à Rokovoko