❞Je suis entrepreneure depuis 2012. J’ai un peu boursicoté, en direct, et j’ai perdu. J’ai fait trop vite, j’ai écouté un avis, on m’a dit « mise là-dessus, ça va payer » et en fait, ça s’est effondré. J’ai compris qu’il valait mieux se faire accompagner : j’ai ouvert un plan épargne en actions (PEA) dans ma banque.
J’avais été salariée pendant quinze ans. Quand j’ai quitté mon dernier job, dans un grand groupe informatique, j’avais des stock-options que j’ai vendues lors de mon départ de l’entreprise. Cela m’a permis de lancer ma première société, à Londres. Puis je suis rentrée en France, j’ai créé the bureau, une agence de conseil en communication, et imaginé la JFD pour soutenir les femmes dans la tech à travers différentes initiatives comme la Journée internationale de la femme digitale, le JFD Club, le prix Les Margaret, des études annuelles, etc.
J’aurais pu investir plus tôt et gagner beaucoup
Mais il ne m’était pas venu à l’esprit que c’était possible et envisageable d’investir directement dans une entreprise, que je pourrais entrer au capital d’une société. C’est quand j’ai vu grandir des entreprises que j’ai accompagnées, conseillées dans le cadre de ma société the bureau, que je me suis dit : j’aurais pu investir aussi de l’argent et j’aurais beaucoup gagné !
J’ai eu un déclic mais je ne savais pas comment démarrer. Faire un investissement, cela prend du temps, il faut regarder énormément de dossiers. Alors, mes deux premiers investissements, je les ai faits à travers un fonds, cela m’a sécurisée. C’est rassurant car on te présente des projets qui ont déjà été épluchés, passés au crible par des professionnels. Mais c’est beaucoup moins intéressant. D’abord il faut payer des frais, qui représentent 10% du montant de l’investissement. Ensuite, on est très loin de l’entrepreneur, on investit sur un dossier sans rencontrer l’équipe fondatrice.
Après cette première expérience, j’ai décidé d’investir en direct à travers ma propre société d’investissement, Arver, que j’ai créée en 2023. J’ai commencé par écrire ma “thèse d’investissement”, c’est-à-dire les principes qui vont me guider dans mes choix : investir dans des entreprises 100% féminines (fondées ou cofondées par une femme) et 100% tech (j’investis sur des technologies de rupture). Mes critères : l’impact et l’opportunité d’un développement international. Arver signifie héritage en norvégien. Je veux laisser un héritage positif pour le futur, pour notre planète, pour mon fils, et plus tard ses enfants. J’investis donc dans des entreprises dont je crois qu’elles changeront notre monde en mieux.
J’ai ensuite décidé du montant des “tickets” que je voulais investir : entre 10 000 et 50 000 euros. C’est le fruit de mon travail d’entrepreneure depuis 2012, que je remets en risque en tant que business angel.
Suivre les autres… ou son intuition !
Je ne suis pas restée seule. Je participe à un groupe de business angels femmes, Gold Diggers, monté par Roxanne Varza, la directrice générale de Station F, l’incubateur de start-ups ouvert à Paris en 2017 par Xavier Niel. J’ai aussi rejoint l’association Femmes Business Angels (FBA) depuis un an, cela permet d’apprendre à décoder les pitchs des entrepreneurs qui cherchent de l’argent pour se développer. Après, je crois beaucoup à l’intuition, une qualité que les femmes sous-estiment et que les hommes nous envient. Tu investis d’abord dans une personne, au-delà du projet.
J’ai découvert aussi l’effet moutonnier : si une femme reconnue comme Virginie Morgon, l’une des plus grandes professionnelles française de l’investissement, ou Pauline Duval, directrice générale du groupe immobilier éponyme, investit quelque part, forcément cela te donne envie d’y aller. A l’inverse, parfois tu as envie d’investir sur un projet et beaucoup de gens vont te dire « ça ne marchera jamais ». Et pourtant, il faut savoir écouter son intuition initiale.
La version glamour : plonger dans le futur
Mon premier vrai investissement, en direct, c’est Ontbo, une start-up qui travaille sur l’informatique affective, l’évaluation et la mesure des émotions grâce à l’intelligence artificielle.
J’ai vu la fondatrice pitcher en finale du concours Be a boss. J’ai adoré ! Elle a 26 ans, elle est ingénieure et elle expliquait comment en tant qu’autiste Asperger, elle a du mal à se connecter avec ses émotions. Elle développe une application qui permet de détecter le niveau et type d’émotion ressentie et de proposer des contenus pour prolonger cet état ou au contraire l’atténuer. En bref, il s’agit d’utiliser la tech pour être heureux ! Son pitch était un plongeon dans le futur. J’ai investi, je suis entrée au capital au moment où elle clôturait son premier tour de table et j’ai rejoint le conseil d’administration. Ça, c’est la version glamour de l’investissement.
La version hard : être “angel” mais aussi “business”
Derrière il y a tout le travail du pacte d’actionnaires à négocier, cela prend du temps et de l’argent, donc il faut essayer de se faire aider par son réseau. Car il faut mettre des sécurités partout : ceinture, bretelles et parachute ! En tant qu’investisseur, il faut se protéger et obtenir un maximum de pouvoir dans l’entreprise. Or on met un petit ticket donc on a un petit pourcentage du capital. On est au début de l’aventure, on sait qu’il y aura d’autres tours de table et qu’on sera dilué. Pour ne pas être trop dilué, il faut par exemple déjà négocier les conditions dans lesquelles plus tard, on remettra au pot. C’est un bras de fer avec l’entrepreneur. Il faut se faire aider pour ne rien lâcher, il ne faut pas être trop empathique. Pas facile quand on a été séduit par la personne et le projet ! Il faut garder la tête froide : être « angel » mais aussi « business ».
Une fois l’investissement signé et le pacte d’actionnaires conclu, je suis au taquet pour suivre l’entreprise. J’ouvre mon carnet d’adresses, mon réseau, je conseille sur les argumentaires commerciaux : j’apporte beaucoup plus que de l’argent en fait, cet apport immatériel se valorise bien plus que mon apport financier, donc j’attends un rendement à la hauteur de cette contribution ! |
Un projet fou mais j’y crois
Mon deuxième investissement en direct, c’est HStar Space Transport. Là c’est vraiment un pari. Je suis complètement sortie de ma thèse d’investissement. J’ai toujours été fascinée par l’espace, les fusées, les astronautes. J’ai rencontré Enzo Bleze à travers the Explorers Club, auquel participent des dirigeants du secteur. Originaire de Biarritz, il a 21 ans, est autodidacte. Il a une vision et une énergie contagieuse ! Il vit aujourd’hui à Los Angeles où, avec un ancien de Space X, Nick Orenstein, il a lancé une start-up dont l’objectif est de construire une fusée lourde capable d’assurer à la fois un vol habité pour 20 personnes, de réaliser la mise en orbite de satellites et le transport de cargos. Enzo n’a jamais travaillé dans le secteur spatial, n’a jamais créé d’entreprise. Le projet est fou mais j’y crois : démocratiser l’accès à l’espace. J’ai mis 20 000 euros. Les conditions du deal sont très bonnes car je fais partie des premiers financeurs. Mais j’ai pu poser une condition : s’il n’y a pas de femme au conseil d’administration, je n’investis pas ; résultat, j’y suis entrée !
Mon objectif, en tant que business angel, c’est de ne pas perdre mon argent. L’argent que j’investis, je l’ai dit, c’est le fruit de mon travail, je pourrais m’acheter des vêtements ou partir en voyage… Je préfère le placer dans des entreprises auxquelles je crois, qui vont avoir un impact sur la société, avec des avancées technologiques au service des hommes, de la planète. Bien sûr, il faut accepter d’attendre le retour sur investissement : je n’investis pas pour demain mais pour que dans sept ou huit ans, les produits ou les services développés par les entreprises que je soutiens deviennent la norme. Je vais tout faire pour que ces entreprises réussissent. Je vais me battre pour cet argent que j’ai investi. Quand c’est ton argent, tu décuples ton énergie.❞
Illustration : un grand merci à Caroline Gaujour