Les chiffres, ça me parle !
Depuis l’âge de 26 ans, en parallèle de mes jobs successifs, j’ai été associée à des projets entrepreneuriaux, j’y travaillais le week-end, je m’occupais de la gestion.
J’ai une certaine agilité avec les chiffres, je peux rester des heures sur un tableau excel. Les chiffres, ça semble inerte pour beaucoup de personnes, mais moi ça me parle !
Un jour, j’ai commencé à travailler en plus de mon emploi sur un gros projet. Je suis d’abord passée à temps partiel pour m’y consacrer mais ça n’a pas suffi. J’ai pris une année sabbatique… et je ne suis jamais revenue. J’ai dirigé durant sept ans cette entreprise, Optimhome, que j’avais donc co-fondée en 2006. Nous avons digitalisé la fonction d’agent immobilier, c’était très innovant !
Après avoir vendu mes parts dans l’entreprise, je me suis demandé ce que j’allais faire. Malgré mon parcours, devenir business angel me paraissait inaccessible. Je suis issue d’un milieu plutôt modeste, mes parents sont autodidactes, j’ai poursuivi mes études en école de commerce grâce à une bourse, en choisissant une double formation finance-audit et programmation, mais je n’ai jamais eu de plan de carrière.
Premier achat d’actions : je me lance
J’ai commencé par constituer un portefeuille d’actions : j’ai investi 50 000 euros dans un PEA. Je n’avais pas mis plus de 5000 euros par entreprise, donc une dizaine de lignes au total. C’est à travers ce PEA que j’ai fait mon premier investissement dans la santé, en 2019. J’aimais bien l’homéopathie, sur moi ça marchait ! Ce sont des traitements naturels, je me disais que ça allait forcément se développer. Sauf que le gouvernement a décidé de dé-rembourser ces médicaments à partir du 1er janvier 2021. Je ne l’ai pas pu venir… J’ai revendu mes titres à perte. C’était finalement un investissement un peu spéculatif et pas très rationnel. Mais en Bourse, il faut avoir un raisonnement global, sur l’ensemble des titres qu’on achète : en 3-4 ans, j’ai doublé la mise malgré des échecs comme Boiron.
Après cette expérience, j’ai décidé de ne plus investir dans des entreprises soumises à des remboursements car les règles peuvent changer, et de privilégier des entreprises qui font de l’innovation de rupture.
Et puis il y a eu le Covid. J’ai été très frappée par ce que cette épidémie a révélé des problèmes de l’hôpital : la vétusté, le manque de moyens, la difficulté à recruter des soignants. Le système de santé m’est apparu comme un point de fragilité extrême dans notre pays alors que cela semblait un acquis. Les contraintes sont fortes : moins d’argent, moins de personnel. Et cela ne va pas s’arranger. J’ai compris que se faire soigner allait devenir de moins en moins évident. C’est ce qui m’a conduit à investir dans des « medtech », des entreprises qui développent des technologies de rupture pour répondre à un système de santé sous contrainte.
Investir dans un projet que je comprends et qui m’embarque
A partir de 2017, j’avais commencé à regarder seule des projets, j’en ai financé parce que je connaissais la personne qui lançait sa boîte… ce qui n’est pas une bonne raison. En fait, il ne faut pas rester seule, il faut apprendre. Être investisseuse, c’est une activité sérieuse. Si on veut l’exercer longtemps, il faut pouvoir faire des sorties rentables et donc bien travailler ses investissements. Il faut choisir des projets que l’on comprend bien et sur lesquels on peut avoir un effet accélérateur grâce à notre expérience personnelle.
En 2019, je suis devenue membre du réseau Femmes Business Angel. Mon premier investissement, je l’ai fait à travers Winequity, le fonds partenaire de FBA dont je suis aussi membre associée (ce fonds finance des startups innovantes qui comptent au moins une femme dans l’équipe fondatrice). Nous sommes une cinquantaine et nous votons pour les dossiers présentés. Le tout premier était justement une start-up dans la santé : Healshape, qui développe des solutions naturelles pour la reconstruction des tissus humains. C’est de la médecine régénérative. Seules 14% des femmes ayant subi une ablation du sein pour cause de cancer optent pour une reconstruction mammaire, car les prothèses sont des corps étrangers difficiles à accepter. Healshape a été créé par une équipe pluridisciplinaire de femmes qui proposent une bioprothèse absorbable, c’est assez révolutionnaire.
Le rôle de l’équipe : fondamental !
Mon deuxième investissement, je l’ai détecté aussi grâce à FBA mais je l’ai réalisé en direct, en novembre 2022. Il s’agit d’une société lyonnaise, Kurage, qui met l’intelligence artificielle au service de la rééducation des personnes devenues hémiplégiques, par exemple à la suite d’un AVC. Elle conçoit des vêtements intelligents, équipés de capteurs permettant de connaître la situation du muscle et d’envoyer les informations au cerveau pour entraîner le corps à se mouvoir. Cela marche aussi sur les personnes âgées ! Non seulement la solution est astucieuse, mais l’équipe est très solide : ils sont quatre, deux hommes et deux femmes ; un gestionnaire, un scientifique et deux médecins. C’est une équipe mixte, à la fois en profil, genre et parcours. Il y a un équilibre, une bonne entente et une grande agilité. En revanche, au comité stratégique il n’y avait que des hommes… J’ai exigé que nous soyons deux adhérentes FBA à y entrer.
Nous ne serons pas trop de deux pour suivre ce projet car il est complexe. Je ne suis pas une spécialiste de l’intelligence artificielle alors j’écoute les « key opinion leaders » (les experts reconnus sur le sujet) et je recoupe leurs opinions. Ainsi, chaque fois que le fondateur de Kurage présente son concept devant des professeurs de médecine, ces derniers le recommandent ou le relaient. C’est un signe ! Quant à la Banque Publique d’Investissement, elle a triplé la mise des business angel au capital, cela met aussi en confiance.
Mon troisième investissement dans la santé est très récent, il date de décembre dernier. Il s’agit de Somno Engineering, une société basée à Poitiers. Elle propose une nouvelle approche des soins intensifs, visant à soigner les personnes pendant les phases de réveil. L’innovation, c’est le monitoring des patients permettant de détecter ces phases de réveil et de déclencher les soins à ce moment-là. Résultat : les malades restent trois fois moins longtemps dans le service car quand ils dorment on les laisse tranquilles. Et moins les gens restent à l’hôpital, plus vite ils récupèrent et guérissent. En outre, cela permet de libérer des lits.
Là-aussi, l’équipe est mixte, très complémentaire : un professeur de neurologie spécialiste du sommeil et une jeune entrepreneuse. Les brevets sont déposés, le process est validé, les essais pré-cliniques et cliniques sont lancés. J’ai mis un premier ticket de 10 000 euros. Mieux vaut ne pas trop investir au début car il faut en garder sous le pied pour pouvoir accompagner les tours de table qui suivront : si ça se développe bien, on est souvent amené à remettre au moins deux fois au pot. Chez Kurage, j’en suis à 30 000 euros, en trois fois.
Agir pour la santé, c’est aussi agir pour les femmes
Dans les deux cas, je vise un retour sur investissement à 5-7 ans. C’est du moyen terme. Il faudra évidemment des partenariats industriels pour passer à grande échelle et si le projet fonctionne on peut espérer multiplier par 10 la valeur investie. Et dans les deux cas, l’impact sur la population peut vraiment être très puissant. C’est ça qui me plaît aussi !
En tant que femme, notre autonomie repose encore plus que celle des hommes sur un bon système de santé. Les femmes seront les premières victimes collatérales d’un système de santé fragilisé, j’en suis convaincue. Car les premières à rentrer à la maison pour s’occuper des plus fragiles, ce sera nous ! C’est la raison profonde de mon engagement dans ce domaine.❞
Illustration : un grand merci à Caroline Gaujour