L'argent, pour vous, c'est...
Clara Moley : La liberté de partir, de choisir, de rompre, de voyager et de se former à de nouvelles choses. L’argent ouvre des horizons. Lorsqu’on en a, les possibilités sont plus nombreuses et les contraintes sont moins pesantes. L’argent me permet aussi d’accéder à la beauté dans mon quotidien. Je suis très sensible à mon environnement, aux textures, aux couleurs et aux lumières. Je ne suis pas matérialiste dans le sens où je n’aime pas accumuler des biens, mais j’aime évoluer dans des lieux agréables et côtoyer de beaux objets. L’argent m’offre cette opportunité.
Parlait-on d’argent dans votre famille ?
Clara Moley : Oui et non. Du côté de mon père, je viens d’une famille traditionnelle protestante où l’argent est un sujet tabou. On n’en parle pas. Ma mère, quant à elle, est issue d’une famille modeste de l’Aveyron. On abordait la question de l’argent, mais c’était réservé aux hommes. Ma mère a essayé de s’intégrer à ce cercle-là. Elle m’a donné deux conseils : « Ne mets pas tous tes œufs dans le même panier » et « Marie-toi sous le régime de la séparation des biens ». J’ai eu l’illusion d’avoir reçu une éducation. Avec le recul, je réalise que je n’avais aucune connaissance en matière de finances personnelles. C’est en commençant à travailler vers l’âge de 24 ans que j’ai réellement appris.
Vous souvenez-vous de votre premier salaire ?
Clara Moley : Oui, c’était une véritable bouffée d’air frais ! Après mon diplôme de l’Essec, je suis partie au Brésil pour devenir trader dans le domaine des matières premières. Je me suis installée avec mon copain, sans rien connaître du pays et avec seulement quelques notions de portugais. Les trois premiers mois ont été rudes, on vivait sur nos économies. C’était un challenge. Mais j’ai fini par décrocher le job de mes rêves. Au départ, j’ai été payée 6000 reis, ce qui équivaut à 3000 euros. Pour un trader, c’est peu. Avec cet argent, j’ai payé le loyer et nous nous sommes offert un bon restaurant. L’argent est arrivé plus tard, lorsque j’ai touché mon premier bonus. Grâce à lui, je me suis offert une peinture de l’artiste Nushka.
L'argent fait-il partie de votre ambition professionnelle ?
Clara Moley : J’ai eu la chance de bien gagner ma vie très rapidement. Cela m’a libérée, car à l’âge de 25 ans, j’ai réalisé que je savais comment gagner de l’argent. J’ai travaillé pendant cinq ans au Brésil, avec des salaires de plus en plus élevés. J’ai pu acheter un appartement et mettre de côté. Mais j’ai vite réalisé que ma motivation était ailleurs. Lorsque je suis rentrée en France, j’ai ressenti le besoin de quelque chose de différent. J’ai compris que l’argent va et vient, et j’ai accepté cette idée. En France, on nous vend cette idée de progression linéaire. Plus vous vieillissez et plus vous devez gagner, mais la définition que vous donnez au succès change au fil des années. J’ai préféré m’engager au service de l’égalité au travail et de la liberté financière des femmes en créant mon podcast Les Règles du Jeu. Parallèlement, je poursuis mon travail dans le secteur des matières premières, mais avec un emploi du temps plus souple, afin de jongler entre mes différentes activités. Je gagne beaucoup moins mais je suis plus heureuse.
Parlez-vous d’argent avec vos proches ? A qui osez-vous dire votre salaire ?
Clara Moley : Je ne parle de ma rémunération qu’avec mon mari parce que nous formons une équipe. Mais je n’en parle pas avec mon entourage, ce qui est aberrant parce que je prêche le contraire. En France, on a l’impression de se mettre à nu en divulguant le montant de ce que l’on gagne. C’est culturel ! Je pense que c’est contre-productif de braquer les gens en parlant de salaire. En revanche, j’essaie de provoquer certaines conversations autour de l’investissement. L’essentiel est de manier les concepts qui font peur, tels que le taux variable, le taux fixe, le taux de rémunération ou l’inflation. Avec mes amis proches, je parle en fraction ou en pourcentage, ainsi je ne donne jamais de montants précis. On n’est pas obligé de tout dévoiler. J’ai commencé à travailler au Brésil, dans un pays où le taux d’inflation avoisinait les 14%. Là-bas, ils n’ont pas le choix. Pour vivre, ils doivent s’intéresser à leurs finances personnelles. Ils sont hyper éduqués. Au travail, ils en parlaient tout le temps. C’est grâce à eux que je me suis plongée dans le sujet.
Vous êtes-vous déjà battue pour une meilleure rémunération ?
Clara Moley : J’ai demandé des augmentations et j’ai négocié des bonus. Mais c’est surtout sur la nature de mes activités que je me suis battue. Quand je suis devenue trader en matière première, j’étais la seule femme de mon secteur. Les chefs ont voulu me positionner sur ce qu’on appelle l’origination, un poste moins rémunéré et moins intéressant. J’ai osé dire « non ». Je me suis accrochée et j’ai prouvé mes compétences en trading. Ça a payé.
Quel conseil aimeriez-vous donner ?
Clara Moley : Négociez votre salaire régulièrement ! L’objectif c’est d’obtenir une augmentation chaque année, ou du moins de mettre le sujet sur la table. On peut l’aborder de différentes manières. Il est possible d’en parler de façon détendue, en posant par exemple des questions comme : « Quelle est la politique de la maison ? » ou encore « Comment envisagez-vous mon évolution financière ? » Il ne faut pas attendre l’entretien annuel pour en parler, car les décisions sont déjà prises. N’attendez pas non plus de vous sentir totalement légitime avant de demander une augmentation. C’est inconfortable mais à mesure que l’on acquiert de l’expérience, cela devient plus facile. La légitimité n’est jamais totalement acquise, mais elle se rapproche.
Au-delà du salaire, avez-vous une autre recommandation financière ?
Clara Moley : Investissez votre argent ! Pour cela, pas besoin d’être riche. Une fois qu’on a constitué son épargne de précaution, il faut se créer une source de revenu secondaire. C’est de cette source que dépend notre liberté financière. Trop souvent, les femmes confondent indépendance et liberté financière. La liberté est essentielle, surtout si l’on ne possède pas de patrimoine. Pour l’acquérir, il est préférable de faire appel à un bon conseiller, quelqu’un qui vous aidera à mettre en place une stratégie. Et je ne parle pas de spéculation boursière ! Il s’agit d’une stratégie où vous investissez dans des valeurs sûres telles que des assurances-vie, des plans d’épargne retraite, etc. Il n’est jamais trop tard pour mettre le pied à l’étrier !
Illustration : un grand merci à Marie Lemaistre et l’agence Fllow