Quant à réaliser une simulation financière de ma situation dans vingt ans, je ne sais même pas par où commencer et puis j’ai peur du résultat ! Mais j’ai remarqué qu’on parle davantage dans le débat public des conséquences pour les femmes des propositions de réforme des retraites. Et ce n’est pas trop tôt.
Inégalités financières à la retraite : on en parle enfin
On ne le dit pas assez mais la majorité des retraités sont… des femmes. Fin 2020, 16,9 millions de Français étaient retraités de droit direct et les femmes représentaient 53 % des retraités, soit presque 9 millions, selon la DREES. Or, quand on parle des inégalités économiques entre les hommes et les femmes, on parle souvent des écarts de salaires. Mais « un autre problème, beaucoup plus révélateur, est la situation financière des femmes parvenues à l’âge de la retraite » écrivait Laetitia Vitaud dans la fameuse newsletter. Car c’est « un remarquable indicateur de la somme de toutes les inégalités de genre dans notre société ».
Et le premier indicateur à prendre en compte, c’est d’abord la parole des femmes elles-mêmes. Selon une étude de l’Ifop, 75 % des femmes se déclarent favorables à la retraite à 60 ans, soit quatorze points de plus que les hommes. Et 63 % des femmes « soutiennent » ou « ont de la sympathie » pour la mobilisation contre le projet du gouvernement de reculer l’âge de départ, contre « seulement » 54 % des hommes.
Alors, pourquoi les femmes désapprouvent-elles beaucoup plus la réforme que les hommes ?
Un impact plus fort sur les femmes qui peinent déjà à obtenir leurs trimestres
A vrai dire, « à chaque fois que l’on repousse la durée de cotisation requise, elle est toujours moins atteignable pour les femmes » diagnostique la CGT concernant le durcissement des conditions d’accès à une pension de retraite à taux plein. Ce durcissement, comme l’a annoncé le gouvernement d’Elisabeth Borne, c’est le recul de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans et l’allongement de la durée de cotisation à 43 annuités à horizon 2027.
Or une augmentation de la durée de cotisation a un impact plus fort sur les femmes (notamment les plus modestes) qui effectuent plus souvent des carrières incomplètes et peinent déjà à obtenir leurs trimestres. Pourquoi ? Parce que leurs parcours professionnels sont interrompus par des arrêts ou constitués d’emplois à temps partiel — occupés à 80 % par des femmes. Ainsi, plus d’une femme sur quatre travaille à temps partiel (28,1 %) contre moins d’un homme sur dix (7,6 %). Ce sont les femmes qui sacrifient du temps de travail pour élever les enfants ou s’occuper des plus âgés. Ce même temps de travail qui devrait leur permettre de cotiser pour… leur retraite.
Les carrières des femmes se révèlent donc plus courtes que celles des hommes, de 2,1 ans pour la génération 1950. Si elles s’arrêtent avant 67 ans, l’âge du taux plein, et qu’elles n’ont pas cotisé le nombre requis de trimestres, elles subissent alors la décote : le montant de leur pension de base est diminué d’autant de trimestres manquants jusqu’à 67 ans. La décote pèse donc davantage sur les femmes. Par exemple, pour la génération 1950, 44 % des femmes sont parties à la retraite avec une carrière incomplète, contre 32 % des hommes, selon la Drees. Parmi ceux qui attendent 67 ans pour éviter la décote, les femmes sont environ 20 % (moitié moins chez les hommes).
Au final, ce sont donc les femmes qui partent le plus tard en retraite, à 62 ans et 7 mois, alors que les hommes partent à 62 ans en moyenne.
La pension moyenne des femmes est inférieure de 40 % à celle des hommes et 37 % des retraitées touchent moins de 1000 €
En 2020, la pension moyenne de droit direct des retraités (y compris la majoration de pension pour trois enfants ou plus) s’élève à 1154 euros par mois pour les femmes, et à 1931 euros pour les hommes, selon la DREES. La pension moyenne des femmes est donc inférieure de 40 % à celle des hommes et inférieure à la moyenne française qui s’établit à 1400 euros bruts mensuels pour l’ensemble des retraités. Un résultat final dû au fait que les salaires des femmes sont en moyenne 22 % plus bas que ceux des hommes, selon l’INSEE pour l’année 2019. Et aussi dû au fait que leurs carrières interrompues grèvent le montant de leur retraite. En tenant compte des pensions de réversion, les écarts avec les hommes se réduisent à 28 %. Les femmes sont en effet les principales bénéficiaires des pensions de réversion : celles-ci constituent 20 % de la retraite totale des femmes âgées de 65 ans et plus contre 1 % de la retraite des hommes, d’après cet article de la sociologue Roxana Eleta de Filippis dans The Conversation.
Mais 37 % des femmes retraitées, contre 15 % des hommes, touchent moins de 1000 € brut (909 € net). Pire, sept personnes sur dix qui touchent le minimum vieillesse sont des femmes : si vous êtes retraité, âgé de 65 ans ou plus, et que vos revenus sont inférieurs à 961,08 € par mois alors que vous vivez seul, vous avez droit à l’allocation de solidarité aux personnes âgées.
Donc je résume : les femmes partent plus tard et elles touchent moins. Bingo ! Ce ne serait pas un peu l’arnaque ça ? Ce ne serait pas un peu l’histoire de leur vie ?
3 mesures de la réforme qui vont dans le bon sens
Ne voyons pas tout en noir, trois mesures apportent un peu de lumière dans ce tunnel d’inégalités :
- Le projet de réforme des retraites prévoit la prise en compte des périodes de congé parental, mais uniquement dans le cadre du dispositif « carrières longues » : il sera possible de valider jusqu’à quatre trimestres. Selon le gouvernement, cette mesure bénéficierait à plus de 3000 femmes chaque année. Car, dans 90 % des cas, les congés parentaux sont pris par des femmes.
- Le gouvernement souhaite créer une assurance vieillesse des aidants, devant permettre une validation élargie de trimestres. En effet, beaucoup d’aidants doivent réduire ou interrompre leur activité professionnelle, ce qui les pénalise pour leur retraite. Cette mesure pourrait concerner 40.000 nouvelles personnes chaque année. Or, 60 % des aidants sont des femmes.
- L’augmentation de la retraite minimale à 1200 euros brut, soit 85 % du SMIC, pourrait concerner de nombreuses femmes aux petites retraites, un million selon les chiffres du gouvernement. Néanmoins, beaucoup en seront exclues car cette mesure est restreinte aux personnes ayant réalisé une carrière complète.
Une réforme plus juste pour les femmes, ce serait quoi ?
Pourquoi la réforme des retraites devrait-elle être plus juste envers les femmes ? C’est tout simple : en raison des services vitaux qu’elles rendent à la nation. « Aujourd’hui encore, les femmes, qui assurent un triple travail, procréateur, domestique, professionnel, sont gravement pénalisées pour les richesses qu’elles apportent, quand vient le temps de la retraite » écrit dans une tribune l’avocate Michèle Idels, co-présidente de l’Alliance des femmes pour la démocratie.
Quelles seraient les mesures allant dans le sens d’une réforme plus juste ? Lisons les femmes qui se sont prononcées sur la question :
- Supprimer la décote : « La décote est une injustice terrible pour les femmes qui ont une carrière incomplète » explique dans Challenges l’économiste Rachel Silvera. « Il faudrait enlever la décote pour que le projet soit favorable aux femmes plutôt que de la maintenir à 67 ans ».
- Favoriser l’emploi des seniors : « En allongeant l’âge de départ, la part de seniors précaires va mécaniquement augmenter. Les femmes sont encore les plus touchées » poursuit Rachel Silvera. Car 37 % des femmes de la génération née en 1950 et 28 % des hommes n’étaient plus en emploi l’année précédant leur retraite, selon la DREES. En France, seulement 33 % des personnes âgées de 60 à 64 ans travaillent, contre 45 % dans l’Union européenne et 60 % en Allemagne ou en Suède. Un manque à gagner pour les séniors mais aussi pour les caisses de retraite privées de recettes de cotisations supplémentaires. Certes, un index séniors est envisagé par la réforme pour exiger de la transparence de la part des entreprises, mais sera-t-il efficace ? Non, répond l’ancien haut fonctionnaire Olivier Mériaux, auteur du rapport Favoriser l’emploi des travailleurs expérimentés, dans une tribune au Monde.
- « Instaurer un partage des points entre les conjoints ou la prise en compte des trimestres maternité dans les revalorisations » suggère Catherine Coutelles, ancienne députée et ex-présidente de la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale.
- « Stimuler le taux d’activité des femmes en agissant sur les modes de garde » et « calculer différemment les pensions en majorant les périodes de temps partiel » propose Anaïs Heneguelle, maîtresse de conférences en économie, dans la newsletter Les Glorieuses.
- Prendre en compte la pénibilité des métiers féminins : « On pense aux charges associées aux métiers masculins mais on oublie la pénibilité des petites charges, pour les caissières notamment » déplore l’ingénieure-chercheuse Christiane Marty. C’est vrai également de multiples métiers féminins comme ceux du soin, qui génèrent de nombreux accidents du travail en raison de leur pénibilité élevée, comme je l’ai relaté dans la newsletter ViveS sur Les femmes du lien.
Alors que la durée de vie espérée en retraite est de l’ordre de 20 ans aujourd’hui (avec un écart de sept ans d’espérance de vie entre les cadres supérieurs et les ouvriers non qualifiés), les Français considèrent qu’ils méritent de profiter d’une retraite durement gagnée le moins tard possible et dans des conditions décentes. Et la décence, c’est aussi de ne pas aggraver les inégalités que subissent les femmes.
Illustration : un grand merci à Laurence Bentz et l’agence Virginie