Les 100 premiers jours donnent le “la” du quinquennat à venir. C’est la raison pour laquelle s’engager à déployer ces 10 mesures est essentiel. Pourquoi celles-ci particulièrement ? C’est ce que je suis allée demander à Anne-Cécile Mailfert.
Mesure n°1 : investir 1 milliard
Investir 1 milliard d’euros par an pour mettre fin aux violences conjugales. En formant les professionnels pouvant être en contact avec des femmes victimes de violences, en triplant les places d’hébergement spécialisé et en augmentant le financement des associations.
Anne-Cécile Mailfert : Chaque année, 213 000 femmes sont victimes de violences conjugales. Elles vont avoir besoin d’appeler le 3919, de porter plainte, d’accompagnement, de téléphone grave danger, d’aide juridique, d’hébergement… Nous avons fait un travail avec le Haut Conseil de l’égalité Femmes-Hommes qui a abouti à un rapport « Où est l’argent contre les violences faites aux femmes ? ». Nous avons chiffré ce que la France devrait dépenser pour réellement prendre en charge les femmes victimes de violences conjugales. Cela s’élève à 1 milliard.
Le chiffre à retenir En 2021 en France, 113 femmes ont été tuées par leur conjoint. En 2020, le ministère de l’intérieur en avait officialisé 102. |
Mesure n°2 : pilotage au plus haut niveau
Créer une coordination nationale de la lutte contre les violences faites aux femmes sous l’égide du président ou de la présidente de la République. La protection des femmes doit être au cœur de toutes les politiques publiques grâce à un organe chargé de l’étude, du suivi et de l’évaluation transparente des politiques publiques au plus haut niveau de l’État.
Anne-Cécile Mailfert : Aujourd’hui, tout ce qui concerne les violences faites aux femmes est géré par plusieurs ministères. Or, ils travaillent en silo et les rapports de force qui existent entre les ministres empêchent de suivre le bon déploiement d’une mesure. Il manque donc un pilotage qui s’assure de la mise en application d’une annonce et qui l’évalue. Le tout sous l’égide du Président pour montrer que c’est une priorité. Il y a beaucoup de choses annoncées et même votées qui ne sont pas déployées sur le terrain parce que personne ne vérifie que c’est fait, ni ne remonte les problèmes rencontrés. Par exemple, on ne sait pas où sont les 6000 places d’hébergement d’urgence. Il n’existe aucune cartographie. Comment peut-on alors s’assurer qu’il y a bien 6000 places alors que l’État ne sait même pas où elles sont ? On marche sur la tête !
Le chiffre à retenir Il faudrait 20 000 places d’hébergement d’urgence, soit 3 fois plus qu’aujourd’hui. |
Mesure n°3 : tribunal et brigades
Mettre en place des tribunaux et des brigades spécialisés, formés à la lutte contre les violences faites aux femmes et volontaires, sur le modèle espagnol.
Anne-Cécile Mailfert : C’est une mesure essentielle pour que les femmes puissent vraiment faire valoir leurs droits dans des délais respectables et dans de bonnes conditions. Aujourd’hui, une victime de violences conjugales qui souhaite agir doit faire face à des procédures différentes, avec des temporalités différentes et des juges différents. Elle se retrouve au pénal pour les violences et au civil pour la garde des enfants. Pourquoi ne pas tout juger en même temps comme c’est le cas en Espagne ? Il faut aussi des brigades de policiers formés et volontaires, facilement identifiables pour que les victimes s’adressent à eux. Cette mesure permet de faciliter l’accès à la justice et de lutter contre l’impunité car des femmes sont parfois découragées face aux nombres de procédures. C’est la raison pour laquelle elles ne sont que 18% à porter plainte.
Le chiffre à retenir Seules 18 % des femmes victimes de violences conjugales portent plainte. |
Mesure n°4 : droit à l'IVG
Constitutionnaliser le droit à l’IVG et rendre effectif l’accès à ce droit pour toutes les femmes sur le territoire français. Supprimer la double clause de conscience des praticiens, et revaloriser cet acte médical pour un droit effectif au choix.
Anne-Cécile Mailfert : Le droit à l’IVG fait partie des droits fondamentaux. Or, c’est juste une loi aujourd’hui, qui peut, à tout moment, changer. Le droit à l’IVG doit être immuable quelque soit le parti au pouvoir, l’époque et figurer dans la Constitution. C’est d’ailleurs ce que souhaitent 94% des femmes ! Une femme sur trois aura recours à une IVG au moins une fois dans sa vie. C’est un sujet auquel nous serons tous confrontés un jour : une sœur, une fille, une amie aura une IVG. C’est un droit auquel on est attaché et sans lequel il y aurait des drames.
Le chiffre à retenir 1 femme sur 3 a recours à une IVG au moins une fois dans sa vie. |
Mesure n°5 : éducation
Garantir l’éducation de chaque enfant à l’égalité, à la sexualité et à la vie affective. Lutter contre l’industrie pornographique et sanctionner le non-respect de l’interdiction d’accès aux mineurs.
Anne-Cécile Mailfert : Pour que l’égalité soit réelle dans les faits, il faut changer les choses dès le plus jeune âge. L’école doit jouer un rôle important et envoyer les bons messages. Aujourd’hui 3 séances annuelles d’éducation à la sexualité doivent être mis en place au collège et lycée or ce n’est pas le cas !
Ensuite, on aura beau faire de beaux discours, si on ne protège pas les enfants des contenus pornographiques terribles et violents auxquels ils sont exposés, ça ne servira à rien. Comment se construire quand on a toutes ces images lors de son premier rapport sexuel ? La culture du viol induite par les films pornographiques est toujours très présente chez les 18-24 ans dont 23% considèrent que les femmes prennent du plaisir à être forcées ! On a réussi à supprimer les vidéos de propagandes terroristes, pourquoi on n’arriverait pas à faire pareil sur le porno ?
Le chiffre à retenir À 12 ans, près d’un enfant sur trois a déjà été exposé à la pornographie. |
Mesure n°6 : santé
Garantir l’accès de chaque citoyenne à des services de santé de qualité et bienveillants à moins de trente minutes de chez elle ; améliorer la prise en compte des pathologies des femmes.
Anne-Cécile Mailfert : Les femmes se soignent moins que les hommes et font passer toute la famille avant elles. C’est une question de santé publique d’ouvrir des centres de santé de proximité, notamment dans les zones rurales. Ça permettra d’améliorer la détection de maladies tels que les cancers par exemple mais aussi de repérer les femmes victimes de violences.
On a également pu remarquer ces derniers temps à quel point la qualité et la bienveillance n’étaient pas au rendez-vous, notamment sur le sujet des violences obstétricales et gynécologiques. Ce n’est plus acceptable.
Le chiffre à retenir En France, 6 millions d’habitants vivent à plus de 30 minutes d’un service d’urgence. |
Mesure n°7 : égalité salariale
Lancer un Grenelle de l’égalité salariale pour revaloriser les métiers féminisés et garantir la présence des femmes dans les secteurs d’avenir, tout en luttant contre le temps partiel contraint et les discriminations en entreprise.
Anne-Cécile Mailfert : Le salaire médian des femmes est, selon l’OCDE, de 11,5 % inférieur à celui des hommes. Des métiers féminisés, souvent difficiles, précaires, imposent un salaire de misère et des temps partiels contraints (comme les femmes de ménage par exemple). La pauvreté entre hommes et femmes s’accentue alors. Il est urgent de revaloriser ces métiers et d’orienter les femmes vers d’autres filières. Car le gouvernement prévoit d’investir des millions dans des secteurs où les femmes sont encore absentes (ingénierie, économie verte…). L’écart risque alors encore de se creuser davantage.
Le chiffre à retenir En 2021, les femmes sont payées 16,8% de moins que les hommes à fonctions égales. |
Mesure n°8 : précarité des femmes seules
Adopter une loi pour l’émancipation économique des femmes qui abroge les mécanismes juridiques accroissant leur précarité, et qui égalise par le haut les traitements des femmes en couple, quel que soit le régime de vie commune.
Anne-Cécile Mailfert : Aujourd’hui, une femme mariée qui divorce perd 22% de niveau de vie (3% pour les hommes.) Alors imaginez une femme non mariée qui se sépare ? Quand elles sont veuves, même problème. La femme mariée touche, dans certaines conditions, 50% de la pension de réversion de son mari. Si elle perd son conjoint sans être mariée, elle n’a droit à rien. Il n’y a aucune protection pour les femmes en couple. Il est urgent que ça change davantage.
Le chiffre à retenir Suite à un divorce, 20% des femmes basculent dans la pauvreté. |
Mesure n°9 : congé parental
Allonger le congé obligatoire du second parent (congé paternité), revaloriser le congé maternité sans perte de salaire et instaurer un congé parental attractif pour les deux parents.
Anne-Cécile Mailfert : Pourquoi les femmes subiraient-elles une perte de revenus quand elles mettent au monde un enfant ? C’est un non-sens ! Ensuite, il faut rendre le congé paternité obligatoire pour les hommes car certains le refusent sous la pression implicite des employeurs. Enfin, ce congé doit être de la même durée pour les hommes et les femmes car c’est précisément dès le départ que les cartes sont jouées. Dès les premiers jours de l’enfant, certaines habitudes vont être prises. Si c’est la mère qui emmène son enfant chez le pédiatre la première fois, ce sera toujours elle qui le fera. Et c’est là que commence l’inégalité entre femmes et hommes. C’est la raison pour laquelle il faut un congé parental attractif.
Le chiffre à retenir Moins de 1% des pères prennent un congé parental. |
Mesure n°10 : diplomatie internationale
Adopter une réelle diplomatie féministe en augmentant les financements internationaux pour les droits des femmes et en poussant l’adoption de la clause de la législation la plus favorisée en Europe.
Anne-Cécile Mailfert : La condition des femmes en France est liée à la condition de nos voisines. Cela fait 20 ans que l’Espagne a une super politique concernant les violences faites aux femmes ! Pourquoi pas nous ? Appliquer cette mesure permettrait d’uniformiser par le haut le droit des femmes, ça permettrait d’accélérer la condition des femmes dans toute l’Europe. Vous vous rendez compte comme ça irait plus vite ?
Le chiffre à retenir En 2017, l’Espagne a alloué un budget de 1 milliard d’euros pour honorer son «Pacte d’État contre la violence conjugale». |
Illustration : un très grand merci à Louise @Lavilletlesnuages