Alors qu’en Iran, une jeunesse entière, garçons et filles confondues, manifeste au risque de sa vie pour dénoncer le régime des mollahs et sa loi islamique, notamment l’obligation faite aux femmes de porter le foulard, à Kaboul celles-ci disparaissent derrière la burka. Les droits des femmes perdent également du terrain dans les pays occidentaux et les démocraties, comme en témoigne la révocation en juin dernier par la Cour suprême des Etats-Unis de l’arrêt Roe vs Wade, légalisant l’avortement.
Le Nobel de littérature 2022 : une bonne nouvelle pour la voix des femmes
Si le monde tourne moins rond pour les femmes, il existe cependant des raisons de se réjouir. Le prix Nobel de littérature n’a-t-il pas été décerné cette année à une écrivaine qui a fait de la place des femmes dans la société le sujet central de son œuvre ? Annie Ernaux a rappelé, le 8 décembre, deux jours avant la réception de son prix à Stockholm, la dimension « sociale et féministe » de son écriture. La légitimité des femmes à produire des oeuvres n’est pas encore acquise a-t-elle souligné, ajoutant : « La récompense de mon travail par le jury du Nobel constitue un signal de justice et d’espérance pour toutes les écrivaines ». Depuis 1901, seulement 17 femmes se sont vues décerner le prix Nobel de littérature.
Ce Nobel est une bonne nouvelle pour la voix des femmes, qu’on soit sensible ou pas aux mots d’Annie Ernaux. Des bonnes nouvelles, il y en a d’autres sur la scène française notamment : l’ouverture de nouveaux lieux dédiés aux femmes, l’émergence de nouveaux rôles modèles, et l’entrée en vigueur de dispositions législatives qui devraient renforcer l’égalité femmes-hommes.
De nouveaux lieux pour être entendues
Connaissez-vous la Maison des femmes de Saint-Denis ? Créée en 2016 par le docteur Ghada Hatem Gantzer, gynécologue, c’est un lieu unique de prise en charge des femmes en difficultés ou victimes de violence, rattaché au centre hospitalier voisin. Il agrège des professionnels de la santé, du droit, mais aussi du sport, de l’art et de l’entrepreneuriat pour aider ces femmes à se reconstruire. Le succès a été tel que la formule a fait des émules : cette année, des Maisons des femmes ont ouvert à Nanterre, Marseille, Grenoble, Elbeuf… Généraliser des Maisons des femmes sur tout le territoire, c’était la recommandation d’un rapport de l’IGAS en 2017. Cinq ans plus tard, on n’y est pas encore mais on progresse, car outre les ouvertures en province, trois structures existent désormais au sein de l’AP-HP à Paris.
Autre ambition, autre milieu (encore que l’entrepreneuriat est aussi, à la Maison des femmes, une voie pour retrouver l’estime de soi), autre lieu, cette fois-ci virtuel : à l’occasion des 50 ans du prix Veuve Clicquot de la femme d’affaires, devenu Bold Women Award, la maison de champagne a lancé le 2 décembre la Bold Open Data Base, une base de données ouverte et gratuite pour recenser les entrepreneures du monde entier, les rendre visibles, leur permettre de s’identifier entre elles et aussi d’être repérées par les investisseurs, les institutionnels, les chercheurs ou encore les journalistes. Quelque 300 femmes sont déjà inscrites. On peut effectuer une recherche par secteur, par expertise mais aussi par cause défendue (éducation, environnement, culture, pauvreté, handicap, etc.). Un outil innovant imaginé par la scientifique Aurélie Jean et l’entrepreneure Marion Darrieutort, avec Carole Bildé, directrice internationale du programme Bold.
De nouvelles figures de référence
La visibilité des femmes, on le sait, est un enjeu clé. C’est pourquoi l’émergence de nouvelles figures à des postes ou dans des secteurs où les femmes n’étaient pas présentes jusque-là est à chaque fois un progrès, surtout si ces nouvelles leaders en profitent pour faire bouger les lignes en matière de mixité. Alors bien sûr, on peut s’étonner qu’en 2022, on en soit encore à se féliciter de voir une femme accéder à la présidence de l’Assemblée nationale (Yaël Braun-Pivet), ou à la tête de l’Autorité des marchés financiers (Marie-Anne Barbat-Layani). Que pour la première fois, le CAC 40 (indice des 40 plus grosses capitalisations de la place de Paris) compte trois entreprises dirigées par des femmes : Engie (Catherine McGregor), Orange (Christel Heydemann), Veolia (Estelle Brachlianoff). Ces pionnières pavent le chemin pour les générations qui suivent. Leur nomination signifie tout simplement que c’est possible.
Pour la première fois, une femme, Laura Chaubard, a ainsi accédé à la direction de la très prestigieuse école polytechnique, qui a fêté cette année le cinquantenaire de l’ouverture du concours aux filles. Pourtant, en 2022, l’X compte moins de 20% de filles dans ses rangs. Pour les attirer vers les maths, les sciences, où elles ne sont pas moins bonnes que les garçons, rien de tel que la mise en valeur de chercheuses qui ont mené des travaux majeurs ou d’ingénieures comme Sophie Adenot, désignée le 23 novembre dernier parmi la nouvelle promotion d’astronautes de l’Agence européenne de l’Espace (ESA) et la pilote de chasse Anne-Laure Michel, première femme à commander la base aérienne d’Istres, depuis cet automne.
Le lancement en novembre par le Women’s Forum et BNP Paribas du 1er palmarès des entreprises en croissance dirigées par des femmes (FWE 40 : French Women Entrepreneurs 40) est une autre réponse à l’invisibilité des femmes dans le monde de la high-tech. L’objectif du FWE40 est de mettre en valeur 40 femmes de la tech, alors que l’index Next40 des futures licornes françaises créé par le gouvernement en 2019 s’est révélé incapable de faire émerger des femmes – hormis Julia Bijaoui, cofondatrice de Frichti, en 2020, et deux autres femmes en 2021 (Alix de Sagazan, cofondatrice d’AB Tasty, et une autre que je n’ai pas réussi à identifier, si elle se reconnaît qu’elle se manifeste !). Toutes trois ressorties depuis, selon le magazine Challenges.
Le plus incroyable c’est qu’il n’existe aucune liste du French Tech Next 40 avec les noms des fondateurs et dirigeants. Tout au plus sait-on que la promotion 2022 du French Tech Next 120 compte 14 femmes co-fondatrices ou dirigeantes, contre 7 pour la promotion 2021 et 5 pour la promotion 2020. Une façon habile de masquer l’absence de femmes à la tête des 40 entreprises françaises les plus prometteuses.
De nouvelles obligations législatives
Heureusement, il nous reste la loi ! De ce point de vue, la France n’est pas en retard avec de nombreux textes volontaristes, à l’efficacité plus ou moins grande. Notons toutefois que certains ont changé la donne comme la loi Copé-Zimmermann sur la représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les conseils d’administration des entreprises, en 2011. La loi Rixain, votée le 24 décembre 2021 (y aura-t-il cette année un cadeau de Noël aussi marquant pour les femmes ?), peut espérer marcher dans ses pas, avec de nouvelles obligations mises en œuvre dès cette année. Ainsi, le texte prévoit que la banque publique Bpifrance devra respecter des objectifs de mixité dans le soutien aux entreprises et un seuil de 30% de femmes dans les comités de sélection des projets soutenus. De même, les jurys de sélection pour l’accès à l’ensemble des formations du supérieur devront comprendre au moins 30% de femmes.
La loi Rixain a aussi renforcé les obligations des entreprises dans le cadre de la publication annuelle de l’index égalité femmes-hommes créé en 2018 pour les entreprises de plus de 50 salariés. Désormais, depuis le 1er mars 2022, celles-ci doivent publier annuellement les écarts éventuels de représentation entre les femmes et les hommes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes.
Enfin, et c’est une disposition moins connue de la loi Rixain, celle-ci prévoit qu’à compter du 27 décembre 2022, lorsque le salaire est versé par virement, il devra obligatoirement l’être sur un compte bancaire dont le salarié concerné est le titulaire ou cotitulaire : en clair, il ne sera plus possible de capter le revenu d’un conjoint sur un compte de tiers. Même obligation pour le versement des prestations sociales : elles devront arriver sur un compte dont le bénéficiaire est titulaire ou cotitulaire. Une avancée pour l’indépendance économique des femmes, même si la véritable révolution aurait été l’obligation de verser le salaire sur un compte personnel.
Sur le front financier, une autre avancée a vu le jour en 2022 : la mise en place pour les familles monoparentales (dans 82% des cas c’est la mère qui élève seule les enfants), à partir du 1er mars 2022, du versement automatique par la CAF de la pension alimentaire fixée lors d’un jugement de divorce pour un enfant de moins de 20 ans. Objectif : éviter les impayés trop nombreux. A partir du 1er janvier 2023, le dispositif sera étendu à toutes les séparations extrajudiciaires. Près d’un million de familles perçoivent une pension alimentaire en France, mais environ 30% sont victimes d’impayés.
Sauf que le diable se niche dans les détails, comme l’a relevé Marie Eloy dans une récente tribune publiée par les Echos. Ainsi les familles dont la pension a été fixée avant le 1er mars 2022 ne sont pas concernées par ce nouveau dispositif…
Alors, osons formuler un souhait pour la nouvelle année, voire même une proposition révolutionnaire : et si toutes les avancées pour l’égalité étaient rétroactives ? Ne gagnerait-on pas un temps et une énergie précieux ?
Illustration : un grand merci à Rokovoko