L’argent ? La moitié des femmes disent évoquer régulièrement ce sujet avec leur conjoint – la moitié ne le font donc pas, avait révélé en juin dernier l’enquête Ifop sur les femmes et l’argent menée pour ViveS et La Financière de l’Échiquier. Et elles sont 18% seulement à en parler avec leurs enfants, 15% avec leurs parents, 12% avec leur entourage amical… Personne n’ose dire son salaire à ses amis ou collègues alors qu’on brûle d’envie de le comparer, beaucoup d’entre nous ne savent pas comment négocier une augmentation, et nous sommes encore très nombreux à avoir le sentiment de ne pas parler la même langue que notre banquier (quand on ose le rencontrer).
Le manque d’éducation financière pénalise tous les Français. Mais il est encore davantage préjudiciable aux femmes : parce que leurs revenus et leurs pensions restent en moyenne largement inférieurs à ceux des hommes, parce que si elles gèrent le budget quotidien du ménage en tant que consommatrices, elles participent beaucoup moins aux choix d’épargne et encore moins aux décisions d’investissement du foyer. Ainsi, elles sont moins enclines à se constituer un patrimoine qui serait une protection pour leurs vieux jours.
S’ajoute à cette spirale négative l’angoisse de ne pas maîtriser le sujet. Seulement 30% des femmes associent l’argent à la notion de plaisir. Pour 21%, il suscite de l’angoisse, pour 12% d’entre elles il représente même une contrainte.
Bonne nouvelle cependant : d’après notre enquête, 31% des femmes se disent intéressées par des formations pour comprendre les sujets financiers et mieux gérer leur argent. C’est même la moitié des répondantes chez les femmes de moins de 35 ans. Tant mieux ! Car savoir, c’est pouvoir. Ignorer, c’est subir.
Mais où et comment réaliser cette éducation financière ?
Dans les familles, d’abord. C’est un lieu où les mentalités et les pratiques doivent changer et ne plus être conditionnées par des stéréotypes genrés qui cantonnent les femmes à une approche domestique de l’argent. Il faut mettre le sujet sur la table : quand on s’installe en couple, se demander qui paie quoi et si on partage les dépenses et les projets de façon équitable n’est pas un tue-l’amour, c’est même plutôt la garantie de pouvoir s’aimer (et éventuellement se quitter) en toute égalité. Quand on a des enfants, la question de l’argent de poche doit être l’occasion d’un premier éveil aux responsabilités financières.
A l’école, ensuite. Ne reproduisons pas avec l’argent l’échec de l’éducation sexuelle. Celle-ci est inscrite dans les programmes de l’Education nationale, inexistante dans les faits. Résultat : un apprentissage sauvage sur les réseaux sociaux qui menace les chances d’avoir demain des adultes capables d’un respect inconditionnel envers l’autre sexe. L’argent, c’est pareil : si le système scolaire considère que c’est sale, inapproprié d’en parler, comment former des citoyens aptes à gérer leurs finances, estimer leur valeur sur le marché du travail, investir avec discernement ? Apprenons à nos enfants ce qu’est un crédit, un taux d’intérêt, une action.
Enfin, la responsabilité des banques est cruciale. Celles-ci proposent de plus en plus tôt l’ouverture d’un compte aux jeunes. Très bien ! Sauf que cette stratégie commerciale frôle le cynisme : il s’agit de capter les clients au berceau… sans pour autant les accompagner. Que font les conseillers dans les banques ? Le système les a peu ou prou transformés en vendeurs qui n’inspirent pas confiance – c’est ce que déclarent 63% des femmes interrogées dans notre enquête IFOP de cette année – et sont soupçonnés de facturer des frais de gestion injustifiés. Les institutions financières vont-elles continuer à laisser aux influenceurs et youtubeurs, au risque des arnaques, une audience à la recherche de pédagogie, d’un langage simple et de conseils accessibles ?
Les femmes et tous ceux qui souffrent d’un manque d’éducation financière représentent pourtant un potentiel d’épargne et d’investissement conséquent à valoriser et à injecter dans l’économie. Au-delà des comptes bancaires classiques (compte courant et compte épargne), les femmes possèdent très peu de placements financiers : elles sont 37% à déclarer une assurance-vie en fonds euros (40% des hommes), mais seulement 23% pour une assurance-vie en unités de compte (31% des hommes). Seules 16% détiennent un PEA (22% des hommes) et 9% un compte titre de sociétés cotées (21% des hommes), d’après l’étude de l’IFOP pour ViveS.
Nous les avions d’ailleurs interrogées cet automne avec l’association Femmes Business Angels sur leur expérience dans ce domaine : « grande solitude, les banques ne m’ont jamais aidée », « pas d’accès à de bons investissements pour les personnes qui ont des revenus modestes », « j’ai testé plein de trucs, et c’est pas facile ! Bien moins facile que ce que tous les coachs et influenceurs en investissement disent… ». Des témoignages éloquents quant au désintérêt des banques à leur égard, ressenti par les femmes à leur égard.
Les femmes sont à la recherche de présentations claires sur les produits financiers, de conseils et de propositions adaptés à leurs besoins, d’informations voire de formations. Car elles commencent à comprendre qu’il ne suffit pas d’avoir acquis la maîtrise de son corps et de son travail pour être indépendantes : il faut aussi maîtriser son argent.
Si les institutions publiques et privées prennent en compte cette soif d’éducation économique et financière, cela profitera à tout le monde : aux hommes comme aux femmes, aux jeunes comme aux plus âgés. A tous ceux qui n’ont jamais pu ni su parler d’argent de façon transparente et dépassionnée. Et qui pourront ainsi mieux maîtriser leur destin financier et s’assurer une réelle indépendance économique.
Illustration : un grand merci à Laurence Bentz et l’agence Virginie