Égalité et féminisme : on en parle beaucoup, on n’en fait pas assez
A part rapporter de l’argent, le féminisme a fait progresser les droits et la condition des femmes dans la société. Mais aujourd’hui, on aimerait bien qu’il quitte les rayons des supermarchés pour investir les lieux où les femmes voudraient vraiment qu’il soit et qu’il s’applique : à la maison, en entreprise, dans la rue. Est-ce que le montant affiché sur votre fiche de paie a augmenté de 20% pour rattraper les inégalités salariales ? Est-ce que votre conjoint réalise 50% des tâches ménagères ? Est-ce lui que l’école appelle quand votre enfant est malade et qui pose sa journée pour s’en occuper ? Non ? Pas étonnant, car quelque chose coince.
« Le sexisme ne recule pas en France. Au contraire, certaines de ses manifestations les plus violentes s’aggravent, et les jeunes générations sont les plus touchées » écrit le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) à propos de son Baromètre du sexisme 2023. Le HCE note cinq ans après #MeToo : « L’enquête dresse le constat d’une société française qui reste très sexiste dans toutes ses sphères » : publique, privée, professionnelle, médiatique…
Pire : 4 hommes sur 10 pensent qu’on s’acharne sur les hommes et 6 hommes sur 10 considèrent que les porte-paroles féministes en font trop, d’après le rapport. A l’accusation de « guerre des sexes » s’ajoute maintenant la complainte de la « gender fatigue », le fait d’en avoir assez d’entendre parler d’égalité femmes-hommes.
Maxime Ruszniewski, qui a travaillé comme conseiller au Ministère des droits des femmes de 2012 à 2014, puis cofondé la Fondation des femmes avant de créer la société Remixt, connaît bien le phénomène et il a d’ailleurs écrit une newsletter à ce sujet pour ViveS. Mais au lieu d’essayer de convaincre les détracteurs de mauvaise foi et perdus pour la cause, il a eu envie d’aider celles et ceux, femmes et hommes, qui lui confiaient, un peu démunis : « Je vois le féminisme comme un courant théorique mais qui ne me donne pas les clés pour changer le quotidien. »
Et si la révolution venait de la base ?
« Fallait demander ! » comme dirait la dessinatrice Emma ironisant sur la charge mentale. Maxime Ruszniewski a donc écrit un livre : Petit manuel du féminisme au quotidien – 30 pistes d’action pour celles et ceux qui ne savent pas (toujours) comment s’y prendre. Un guide pratique pour résoudre les problèmes réels d’égalité qui se posent à nous tous les jours : injustices au travail, tâches ménagères écrasantes, éducation des enfants qui vire au casse-tête. Avec de vraies solutions. Du genre de celles qui peuvent changer votre vie. D’ailleurs, vous reconnaissez-vous dans l’un de ces constats ?
« J’ai l’impression de gérer toutes les tâches du quotidien à la maison. »
« J’ai peur de créer une énième dispute avec mon/ma partenaire en abordant ces sujets. »
« Je dois composer avec la mauvaise foi de mon/ma partenaire. »
Maxime Ruszniewski a construit son livre en prenant pour points de départ les questions récurrentes qui empoisonnent la vie des femmes.
Le sujet qui fâche : les tâches ménagères
Commençons par ce qui leur prend des heures : le ménage. Un sujet sur lequel il y a maldonne, comme dirait la chanson de Zouk Machine sortie en 1988 (oui, déjà). Vous ne serez pas étonnés, 73% des Françaises estiment « faire plus » de tâches ménagères que leur conjoint. « Parmi les tâches les plus répétitives et les plus fastidieuses » écrit Maxime, « le linge est associé aux femmes à 85%, le nettoyage de la salle de bains (78%) et des sols (72%) aussi. De même, seuls 25% des hommes vivant en couple laveraient les sanitaires. » Les sanitaires, c’est pas un truc de mec, c’est connu.
En 2019, 48% des femmes déclarent se disputer avec leur conjoint à propos des tâches ménagères, six points de plus qu’en 2005. On n’est toujours pas étonnés. Ce qui est plus surprenant, c’est que « le sentiment d’injustice au sein du ménage n’émerge qu’à partir du moment où les femmes assurent 73 % du travail ménager ! » selon le sociologue François de Singly, cité par Maxime Ruszniewski. D’après lui, les femmes et les hommes estiment que la situation est « équilibrée » au sein du couple lorsque les femmes prennent en charge les deux tiers des tâches ! 66% ça va, 73% certainement pas !
Il semblerait que les femmes aient un seuil de tolérance bien trop élevé. Cela dit, elles tentent bien souvent de rétablir l’équilibre mais, devant -au choix- la mauvaise foi du partenaire (« j’ai sorti les poubelles, c’est bon ! »), sa procrastination (« oui ça va je le ferai demain ! »), ou plus tordu, sa façon de mal faire pour éviter qu’on lui demande de le refaire, elles lâchent l’affaire et continuent… à faire.
C’est là que Maxime les bons tuyaux intervient. Il propose dans son livre de dresser un tableau concret : « Notez dans une colonne les tâches que vous accomplissez, en y associant deux critères : la pénibilité (sur une échelle de 1 à 5) et le temps que vous y consacrez chaque jour. » A la fin de la semaine, on compare les points que chacun a obtenu et on redistribue les tâches si besoin.
Autre suggestion : passer de la confrontation à l’échange constructif. « Annoncez la couleur : si le ton monte, la conversation doit impérativement se recentrer sur les objectifs à atteindre. Ainsi, vous vous focaliserez sur des tâches concrètes et moins sur la mauvaise foi ou les mécanismes d’évitement de l’autre », conseille Maxime.
Cinq points à retenir selon lui pour opérer votre petite révolution : 1) On n’« aide » pas son partenaire de vie, on partage les tâches domestiques 2) On ne tolère plus les fausses excuses ni la procrastination 3) On ne culpabilise plus de demander à l’autre de prendre sa part 4) La charge mentale n’est pas une fatalité, si on change les pratiques 5) Le changement peut arriver plus vite qu’on ne le croit. Et le changement, c’est quand des actes et un nouvel état d’esprit remplacent les déclarations d’intention.
L’éducation des adultes de demain
Autre question qui tourne souvent au dilemme : comment donner aux enfants une éducation non genrée, en choisissant de manière avisée leurs jouets, leurs livres et les dessins animés qu’on leur montre ? Beaucoup de femmes témoignent du fait que leur vie amoureuse a été influencée voire biaisée par les histoires de princes charmants et de princesses passives dont on les a gavées lorsqu’elles étaient petites. Alors, comment faire ? Maxime Ruszniewski cite le conseil irrésistible d’Aurélia Blanc, autrice de Tu seras un homme – féministe – mon fils ! :
« Ce jouet suppose-t-il d’utiliser ses parties génitales ? Oui : ça n’est probablement pas un jouet pour les enfants. Non : ce jouet convient aussi bien aux filles qu’aux garçons. »
Avec le succès de la BD Mortelle Adèle, publiée aux éditions Bayard, le temps des héroïnes affirmées est venu et les livres les mettant en scène se multiplient. Certains revisitent même les contes patriarcaux comme Cendrillon libératrice de la féministe américaine Rebecca Solnit. Maxime recommande des livres et des jeux et prend aussi position sur les films de Disney. « Certains films mériteraient d’être contextualisés… » analyse-t-il. « On expliquera par exemple aux enfants que dans La Belle au bois dormant, le prince n’a pas le droit d’embrasser une femme endormie, puisqu’il n’a pas pu recueillir son consentement ! » Une critique constructive pourra relativiser les comportements de Blanche-Neige qui attend d’être sauvée par un homme ou de La Petite Sirène prête à tout quitter pour un gars qu’elle a vu quelques secondes. Pour se simplifier la vie, l’association Parents et féministes a fait le boulot et propose une liste de livres, films, séries, activités et jeux vidéos. Cette question réglée, vous pourrez donc passer au chapitre suivant intitulé : « Ma fille me réclame sans arrêt du rose et mon fils du bleu, est-ce que c’est mal ? » Idéal pour résoudre les cas de conscience.
A ceux (et celles !) qui vous diront encore et toujours « oh les quotas on en a marre, l’égalité vous l’avez, de quoi vous vous plaignez ? », vous pourrez dégainer à ces Jean-Michel Apeupré de l’égalité hommes-femmes les chiffres implacables collectés par Maxime ou les réparties humoristiques qu’il suggère : « C’est un peu comme si le patron de la sécurité routière disait, après la chute spectaculaire des morts sur les routes ces vingt dernières années : « Allez, on remballe, le travail est fait, on a déjà tellement progressé ! » » D’ailleurs, Jean-Michel, le tableau du ménage sur le frigo indique que tu n’as pas tous tes points pénibilité cette semaine. Les sanitaires t’attendent. Enjoy !
Illustration : un grand merci à Louise de Lavilletlesnuages