“ A partir de 40 ans, les actrices disparaissent des castings, en particulier des longs-métrages ”
Les héroïnes de Sex & the City ont décidément du cran, puisqu’elles sont revenues vingt ans plus tard, avec leurs rides et cheveux gris, dans une 7e saison intitulée And just like that. Provoquant cette fois encore bien des critiques, cette fois sur leur apparence et leur âge. L’actrice Sarah Jessica-Parker, âgée de 56 ans a répondu : « Que dois-je faire ? Arrêter de vieillir ? Disparaître ? ». Ces quelques mots d’une icône de la mode expriment la réalité des femmes, et des actrices qui les représentent dans la fiction. A partir de 40 ans, les actrices disparaissent peu à peu des castings, en particulier des longs-métrages. Pour n’y revenir que grand-mère. En France, elles se sont mobilisées pour lutter contre leur invisibilisation (le “tunnel de la comédienne de 50 ans”). De plus en plus de voix s’élèvent pour questionner les écarts d’âge incohérents entre les acteurs mûrs et les actrices juvéniles, ayant un âge bien au-dessous de leur rôle.
Heureusement, plusieurs signaux forts montrent que les choses changent, notamment dans l’univers des séries qui offrent de très beaux portraits de des femmes mûres : Six Feet Under avec comme chef de famille une femme au foyer non sans secrets, Ruth Fisher (Frances Conroy, 48 ans) ; la redoutable et glaçante avocate de Damages, Patty Hewes (Glenn Glose, 60 ans) ; Top of the Lake et son gourou énigmatique (Holly Hunter, 55 ans); House of Cards, faisant accéder une femme à la présidence des USA (Robin Wright, 47 ans)… Plus récemment, la série israëlienne Hamishim-Cinquante brosse avec un humour caustique -et non sans profondeur- le portrait d’une femme en pleine ménopause, qui se lance à elle-même deux défis pour ses 50 ans : vendre la série qu’elle écrit, et refaire l’amour après 7 ans d’abstinence.
“ Les deux femmes crèvent l’écran sans outils de séduction classiques, par leurs styles d’exercice du pouvoir et leur respect mutuel ”
La quatrième saison de The Crown, sortie en 2020, met en scène deux femmes puissantes et mûres. Margaret Thatcher (incarnée Gillian Anderson, consacrée par la série X-files, et qui affiche sa cinquantaine avec éclat). Et la Reine d’Angleterre arrivant à maturité, incarnée par Olivia Colman, remarquable actrice fort populaire en Angleterre. Le fil directeur et permanent de la saison est la rivalité discrète entre la reine et la première ministre.
« Deux ménopausées » dit crûment le mari de Thatcher. Mais les deux femmes crèvent l’écran sans outils de séduction classiques, par leurs styles d’exercice du pouvoir et leur respect mutuel. On voit l’enjeu de la mise en avant de ces personnages cinquantenaires, qui n’ont plus (ou moins) le souci de la maternité, et peuvent se consacrer, comme leurs homologues masculins, à suivre leur chemin.
“ Il s’agit désormais de représenter toutes les femmes dans leur diversité”
Les séries sur les femmes ont connu un développement explosif depuis #MeToo, et l’on peut constater que la plupart des séries actuelles sont centrées sur des personnages féminins – ou des groupes de femmes.
Il ne s’agit pas seulement d’une nouvelle visibilité des femmes après les séries du 20e siècle largement dominées -à commencer par leurs titres- par les personnages masculins, de Columbo, Starsky & Hutch à Dexter ou Dr House. Il s’agit désormais de représenter toutes les femmes dans leur diversité, le petit écran offrant un terrain d’expressivité privilégié à ces nouveaux visages des femmes, comme dans le générique culte de la série Orange is the New Black, qui a mis en avant des femmes de tous âges, de toutes couleurs et de sexualités variées.
On avait reproché à Sex & the City son casting de femmes uniformément blanches et jeunes. L’étape suivante dans la représentativité des séries et la lutte contre les stéréotypes a été la mise en avant des femmes « racisées » (Kerry Washington, star de Scandal) et des femmes plus âgées, comme Pam Grier dans The L Word, Sandra Oh dans le polar trouble et sexy Killing Eve.
Un exemple remarquable est la série Better Things dont l’héroïne est une actrice de Los Angeles qui court les castings et multiplie les petits rôles miteux tout en élevant seule ses trois filles. Better Things affirme avec constance un point de vue ordinaire, présentant en première personne le quotidien d’une actrice cinquantenaire totalement sans illusions sur le sexisme de sa société.
“ Les séries ont offert aux femmes le statut et la dignité de Méchante ”
Les séries actuelles nous présentent des « vieilles » dans des rôles importants, elles ont aussi fait exploser le concept unique de “La” femme, en offrant aux femmes le statut et la dignité de Méchante, nouveau stade d’émancipation et moyen radical de sortir des rôles maternels ou séducteurs que leur réservait le cinéma.
Le genre des séries policières ou d’espionnage, jusqu’ici masculin, s’est finalement ouvert aux femmes : Gillian Anderson dans The Fall, Helen Mirren dans Prime Suspect ou Caroline Proust dans Engrenages qui construit une figure de policière peu conforme aux modèles féminins. Même Le bureau des Légendes, jusqu’ici centré sur ses beaux héros (Mathieu Kassovitz, Jean-Pierre Darroussin, Mathieu Amalric…), propose dans sa conclusion une analyse du plafond de verre : à la fin de la 5e saison, Marie-Jeanne Duthilleul (Florence Loiret-Caille), étouffant dans une réunion entièrement masculine, se décide à candidater comme directrice du renseignement de la DGSE. Ce n’est pas le moindre paradoxe de cette série virile qu’elle s’achève avec l’ascension de Marie-Jeanne – et même par elle -, puisqu’en proposant, lors de son entretien de recrutement, de fermer le Bureau, c’est elle qui met fin à la série !
Illustration : un grand merci à Rokovoko