“ Une fugue comme une parenthèse que l’on s’offre, un temps d’arrêt dans le temps qui court… ”
Mais voilà qu’aujourd’hui je rencontre Alice Cheron, une française établie en Italie, qui me propose de faire une fugue ! Pas celle qu’on imagine quand on est adolescente, non. Une fugue avec une date de retour. Une fugue comme une parenthèse que l’on s’offre, un temps d’arrêt dans le temps qui court.. Ce terme, qui avait pour moi une connotation négative, prend tout à coup une autre couleur. Alice m’explique sa définition de la fugue, qui est pour elle reliée à la musique. Et je perçois alors toute la beauté de ce terme et tout ce qu’Alice a souhaité en faire.
“ On a tous des moments de vie qui bouleversent, et qui forcent à remettre tout à plat ”
Il arrive que notre quotidien s’emballe. C’est ce qui s’est passé pour Alice. En 2013, elle vit une crise profonde avec son divorce. On a tous des moments de vie qui bouleversent, et qui forcent à remettre tout à plat. Ses rapports aux autres et surtout à elle-même, ses rêves, son identité. En pleine tempête, elle se lance dans l’écriture d’un blog sur l’art de vivre en Italie, où elle vient de s’installer. L’Italie dont elle tombe amoureuse, avant de tomber amoureuse d’un Italien et d’avoir trois enfants avec lui. Femme et maman comblée, elle ressent pourtant un appel pressant : comment se reconnecter à elle-même, se faire une bulle de décompression ? Comment ne pas se perdre dans la course du temps et l’emballement du quotidien ?
Elle part donc trois jours. Seule. A Venise. Ça semble étonnant, mais ne l’est pas tant que ça. Dans cette ville de cœur, elle va faire le plein : le plein de beauté, le plein de musées, le plein de marche à pied. « Pendant ces trois jours, je ne suis que la boussole très personnelle de mon propre plaisir », explique t-elle. Et ça lui fait un bien fou ! « Il y a une sorte de dépressurisation. Je rentre de ma « fugue » avec des solutions, un chemin de réflexion, d’autres questionnements qui émergent… » C’est un véritable retour à soi salvateur.
“ Elle raconte son aventure et exhorte ses lectrices à fuguer elles aussi ”
Transformée par ces trois jours, Alice n’a qu’une envie : en faire part à sa communauté. Elle raconte son aventure et exhorte ses lectrices à fuguer elles aussi « un samedi après-midi au cinéma, une virée à Paris, un musée que vous adorez, trois jours à New-York soyons fou. OSEZ. FAITES. »
Les réponses et confidences qu’elle reçoit lui font sentir qu’elle a mis le doigt sur quelque chose. Son esprit bouillonne et elle commence à imaginer son projet de “fugues italiennes”. « J’envoie mon idée à toutes les femmes qui m’avaient écrit. Je me dis que si elles ne sont pas réceptives, qui le sera ? J’ouvre alors les inscriptions pour une échappée à Florence et je suis complète immédiatement », raconte-t-elle. Dix femmes, qui ne se connaissent pas et qui voyagent seules. Trois temps forts : un temps de partage, un atelier, un moment sur le corps. Alice prépare un programme aux petits oignons, où tout a un sens : « Si on déjeune dans tel restaurant c’est par exemple parce que son propriétaire a une histoire de dingue à partager. », explique t-elle. « J’orchestre l’enchaînement des moments, comme des tableaux. Et ce sont eux qui vont être de véritables interrupteurs à émotions. Je ne sais pas ce que chacune va en retirer ni à quel moment, mais je sais qu’il va se passer quelque chose. »
“ J’emmène des femmes de tous âges et différentes situations de vie ”
En écoutant Alice me raconter tout ça, je lui demande qui sont ces femmes qui éprouvent le besoin de fuguer. Des femmes proches du burn out ? Des cabossées de la vie ? « Non, pas forcément, répond Alice. Il n’ y a pas de portrait type et c’est la plus belle surprise de ce projet. J’emmène des femmes de tous âges et différentes situations de vie. De la mère hyper active à la célibataire sans enfant, en passant par la cinquantenaire qui a besoin de trouver un nouveau souffle. »
Devrait-on alors s’octroyer régulièrement cette bulle ? C’est que je finis par me dire. Et l’idée me plaît bien ! « Une femme de 50 ans est venue car elle avait des soucis relationnels, un entourage où elle ne trouvait plus ce dont elle avait besoin ; une autre, de 60 ans environ, allait devenir grand-mère et elle voulait prendre un temps pour s’y préparer », raconte Alice. Le seul point commun de toutes ces femmes est qu’elles ont besoin d’une respiration car elles se posent des questions. « Or, c’est compliqué de verbaliser ce qui nous tient à cœur et de passer à l’action avec notre entourage » remarque Alice.
“ C’est même ce côté intergénérationnel qui est porteur ”
« Dans les fugues, les femmes vont discuter avec des personnes qu’elles ne connaissent pas. C’est paradoxalement beaucoup plus facile et il n’y a pas la place pour le jugement. Si nous avons une vérité à sortir, c’est l’endroit ! » Pas de méfiance, une grande ouverture d’esprit et de la bienveillance sont les ingrédients qui permettent des échanges de qualité : « Il suffit de la réflexion d’une personne pour nous éclairer. Notre mère aurait pu avoir la même parole mais comme ça vient d’une personne extérieure, on l’entend. » Au sein d’un même groupe, il peut y avoir des âges très différents. La magie opère toujours. C’est même ce côté intergénérationnel qui est porteur. L’expérience d’une femme qui vient de terminer sa carrière peut éclairer le parcours de celle de 25 ans qui démarre la sienne par exemple.
“ Nous vivons dans un environnement dans lequel trouver du sens est devenu primordial ”
Dans nos vies à 100 à l’heure, on a plus que jamais besoin de s’octroyer du temps. Dans une enquête menée par Harris interactive sur les Français et leur rapport au temps, la plupart des répondants déclarent que, face à la perspective d’avoir 2 heures de plus par jour, 61% choisiraient en priorité de prendre du temps pour eux-mêmes.
« On a besoin de faire un pas de côté dans notre quotidien qui est un vrai rouleau compresseur. S’extraire pour mieux réfléchir et se sentir aux manettes de sa propre vie », observe Alice. Et quand on voit l’engouement pour le développement personnel, il n’est pas très étonnant que les fugues d’Alice cartonnent !
D’ailleurs, le tourisme du bien-être est en plein essor. La dernière étude du Global Wellness Insitute en témoigne : un marché de 478 milliards d’euros en 2015 passé à 567 milliards en 2017, soit +6,5% par an, plus du double du tourisme global (3,2%). Nous vivons dans un environnement dans lequel trouver du sens est devenu primordial. Alice a trouvé son « utilité » en osant un pari fou. Elle a réuni tout ce qu’elle aimait pour en faire un concept délicieusement décalé. Et c’est pour cette raison que ça marche ! Elle est partie de ses propres moteurs, en écoutant uniquement sa petite voix.
C’est ce que je retiens de cette rencontre. Et vous ? Quand est-ce que vous écoutez la vôtre pour oser vous offrir un vrai temps et vous retrouver ?
Illustration : un grand merci à Rokovoko